Les lettres ouvertes ne suffisent plus. Le grand bâton non plus.

 

Par Déo Hakizimana

J’ai lu et relu l’article publié hier, mardi, sur le site www.burundi.news. concernant les événements survenus dimanche soir au domicile de 5 députés de l’opposition et j’ai noté avec grande attention le mention faite de la lettre ouverte du 22 août 1988. Cette mention soulève trois coïncidences majeures à mon sens.

La première coïncidence, c’est que nous sommes aujourd’hui mercredi, 22 août 2007, très exactement 19 ans, jour pour jour, après la lettre que vingt sept intellectuels parmi eux votre serviteur ont adressé au major président Buyoya de l’époque. Nombre d’analystes nous disent depuis bien des années que ce geste a aidé à tourner une page : celle qui consistait pour les dirigeants phares des années Micombero et alliés d’actionner /manipuler des mécontents, érigés en rebelles, pour ensuite passer au nettoyage ethnique comme en 1972. La « Lettre ouverte de l’époque nous a coûté cher : prisons, exils, tortures… Mais ça valait la peine ! Depuis ce jour-là, rien n’a plus été comme avant. Les ténors de la République, réunis alors en un Comité dit de salut public ont compris que le tabou qu’ils entretenaient depuis des lustres, débouchant sur le massacre de Ntega-Marangara et la disparition de plusieurs intellectuels ne tenait plus.

La deuxième coïncidence, c’est que ce même 22 août 2007 intervient au lendemain de tristes événements confirmant les signaux prémonitoires d’un mois d’août qui annonce des changements majeurs au Burundi. Car je suis convaincu que nos dirigeants sont suffisamment avertis qu’ils ne peuvent plus fermer les yeux devant les mises en garde des derniers jours. Et voilà que le Président Nkurunziza vient d’amorcer, ce mercredi même à Ngozi un pays vers le dialogue avec une partie de la classe politique d’opposition. Nous avions appelé de nos vœux, avec la dernière énergie, que ce dialogue commence. C’est fait et c’est très bien. Pourvu que ça dure !

La troisième coïncidence, c’est que ce moment correspond à un premier bilan (voir ce rapport sur www.cirid.ch) d’une action que nous avions annoncée, également sur différents médias électroniques, depuis que nous avons fait connaître nos préoccupations sur les mesures autoritaires concernant la proclamation d’un probable régime d’exception qui aiderait à gérer les conflits d’intérêts actuels pour les dirigeants qui se disputent le pouvoir.

Qu’il me soit permis de noter, à la lumière de ce qui s’est passé en 1988, lorsque Buyoya fut obligé de changer totalement de politique tout en laissant sa machine policière se défouler sur nous, que la sagesse oblige nos frères et sœurs d’aujourd’hui de cesser la stratégie du grand bâton. Il ne résoudra aucune urgence, au contraire.

Je leur rappelle ce qu’ils savent (et je me limite à mon seul vécu personnel) : le 16 septembre 1988, les « tontons macoutes » de l’époque m’ont torturé. Je m’étais réfugié, quelques jours plus tôt à la Nonciature apostolique de Bujumbura. Mais je fus obligé de me rendre moi-même à la Police secrète parce que c’était le prix à payer pour que des membres de ma famille proches arrêtés en contrepartie de ma fuite soient libérés. Pendant ce temps, tous mes amis d’infortune prenaient le chemin de l’exil ou étaient à leur tour arrêtés.

Plus tard, le Gouvernement était acculé par les pressions des milieux internationaux qui criaient au non respect des droits de l’homme. Il sera obligé de nous relaxer. Moi qui étais qualifié de « tribalo-terroriste », j’ai eu droit à des soins privilégiés à l’Hôpital militaire de Kamenge. Les services secrets me dirent qu’ils surveilleraient le moindre de mes pas. Ce fut fait en effet. Mais ils ont été incapables de m’empêcher de les échapper le 22 février 1989, dans ma fuite qui me mena vers Genève.

C’est ici que j’ai appris comment les autres se battaient, même depuis des capitales lointaines, avec la plume contre des régimes indécents. Mes amis de l’Uprona peuvent en témoigner. Ils en étaient frustrés. Mais je leur ai dit plus tard que ce sont eux qui avaient formé le militant dérangeant que j’étais devenu. Aujourd’hui certains d’entre eux sont redevenus de vrais copains.

C’est à cela que me fait penser la situation de Pancrace Cimpaye, le Frodebiste, réfugié parait-il à l’ambassade US de Bujumbura.

Je dis la même chose à nos frères et soeurs qui nous dirigent : bien sûr, les « lettres ouvertes » auxquelles nous sommes habitués depuis 1988 ne suffisent plus pour changer la donne actuelle. Mais j’ajoute à leur attention : ne laissez pas les arguments à des vautours qui n’attendent que l’échec de l’expérience tentée depuis 2005. Dialoguez plutôt.

Déo Hakizimana. d.hakizimana@cirid.ch