Burundi news, le 11/11/2011

 

            LETTRE OUVERTE A MONSIEUR GASTON HAKIZA, RECTEUR DE              L'UNIVERSITE DU BURUNDI.

 Monsieur le Recteur de l’Université,

 

Je viens de lire avec beaucoup d'attention l'interview que vous avez accordée au correspondant du Journal Iwacu-Burundi suite au meurtre des deux étudiants par les services de la police au sein du campus universitaire de Mutanga et à la remise par le Ministre de la Sécurité Publique d'une somme d'argent aux étudiants membres de la délégation générale représentant les étudiants.

Je dois vous avouer qu'à la lecture de votre interview  je suis tombé des nues.  La révolte et l’indignation  m'ont tout de suite forcé à vous adresser cette présente lettre. A la question qui vous a été posée au sujet de la remise d'une somme d'argent par le ministre de la sécurité publique à tous les représentants des étudiants, vous avez répondu que le montant remis aux étudiants était plus que nécessaire ce jour-là et ce pour des fins de communication...

Ensuite, s'agissant d'une suggestion selon laquelle la fouille perquisition organisée dans la chambre numéro 372 serait un montage, vous osez rétorquer que c'est une opinion que vous ne partagez pas parce que lors de ladite perquisition vous étiez vous-même sur place affirmant que vous avez vous-même constaté que des armes ont été retrouvées dans cette chambre.

Monsieur le Recteur de l'Université, votre réponse est troublante, déconcertante et me laisse pantois : Depuis quand une autorité investie d'un mandat politique en tant que ministre se permet-elle de distribuer des sommes d'argent à quelques représentants des étudiants ?

Dans quelles circonstances avez-vous appris que des sommes d'argent remises à des représentants d'étudiants se justifieraient pour des impératifs de communication ? A quel niveau de communication (entre étudiants eux-mêmes, entre l'autorité politique et les étudiants)   situez-vous le besoin si nécessaire de financement? Enfin, en quoi cette somme d'argent aurait-elle favorisé la communication entre les étudiants et le Ministre de la sécurité publique ?

Concernant votre réponse à la question relative aux suspicions légitimes émises par une opinion et  qui planent sur la fouille-perquisition, vous affirmez que vous ne partagez pas cette opinion parce que vous étiez présent lors de la découverte de ces armes dans la chambre 372. Encore une fois, la réponse que vous donnez à cette question suscite non seulement des interrogations mais aussi de sérieux doutes sur votre impartialité. Pourquoi réfutez-vous toute idée qui suggère une manipulation de cette perquisition ? Pensez-vous qu'à la lecture de vos réponses aux questions du journaliste, une opinion n'aurait pas le droit de suspecter que votre soudaine présence lors des fouilles perquisitions de la police dans la seule chambre du Campus no 372 ne suscite une légitime suspicion que vous étiez au courant des résultats de cette perquisition ?  Pourquoi votre témoignage sur la découverte des armes et équipements militaires dans la chambre 372 (que d'ailleurs nul ne contredit) ne peut-il pas accepter l'hypothèse que ces mêmes armes  auraient pu être introduites avec la complicité active des services de police et de renseignement ?    

La mort de deux étudiants tués par la police chargée au contraire de protéger les citoyens au sein même du campus universitaire de Mutanga constitue un évènement exceptionnellement grave à la suite duquel vous avez le devoir de démontrer vos capacités de maintenir un degré élevé de conscience  morale, de leadership et de responsabilité.

J'entends souvent des Professeurs d'Universités au Burundi exprimer des plaintes légitimes  que le niveau intellectuel et scientifique de nos élèves et étudiants a sensiblement diminué et que par conséquent, une remise en question profonde des politiques et programmes d'enseignement depuis le primaire jusqu'à l'université serait nécessaire.

Votre prestation et le contenu de vos réponses ont contribué à modifier profondément ma perception  du  problème éducatif au Burundi. Je doute sérieusement que vous appréhendez la valeur de l'institution de l'Université du Burundi. Votre interview vient de démontrer à quel degré vous êtes capable de vendre votre conscience pour satisfaire de petits intérêts personnels et votre intervention n’a fait que renforcer  l’image selon laquelle la plus prestigieuse institution publique du Burundi est sérieusement ternie par son Recteur.

A mon humble avis, le plus grand déficit dont souffre notre système éducatif est le déficit de la conscience morale de nos responsables au niveau de l'Université comme votre cas vient de le prouver à travers votre interview.

En effet, Rabelais disait : « science sans conscience n'est que ruine de l'âme ». L'explication philosophique de ce proverbe est disponible sur Internet. Je me donne la peine de la reproduire et de la disséquer. Science, le corps de connaissances, articulées par déduction logique et susceptibles d'être vérifiées par l'expérience. Sans, exprime l'absence. Conscience, c'est celle qui fait de l'homme un sujet, capable de penser le monde qui l'entoure. Rabelais et ceux qui l'ont suivi dans cette perspective assurent que pour être utile à la société, la science doit être conduite par l'âme qui se manifeste à travers la morale.

Ainsi, « pour être humainement féconde et profitable, la science doit être liée à une conscience morale ». Sinon, elle seule conduit l'homme à sa perte, à sa ruine. Comme professeur d'université, vous devriez avoir la connaissance -la science- et aussi des valeurs morales -conscience- vous restreignant  d'adopter  un  comportement susceptible de compromettre votre impartialité, dirait-on, irréfléchie. En effet, ces valeurs morales régissent le comportement des individus en société, particulièrement de l'élite que vous êtes censé  représenter et surtout former. Ces valeurs, disais-je, sont le reflet des lois écrites et non écrites, mais admises.

Permettez-moi de vous rappeler que vous avez la charge prioritaire de transmettre aux futurs décideurs de ce pays des connaissances, des valeurs morales, le sens de la responsabilité et de l'honneur pour que demain, ils contribuent à bâtir un pays avec des repères moulés en forme de lois écrites et non écrites. Donc, vous avez l'obligation de leur inculquer les vertus de l’honneur, de l’honnêteté, de la rigueur d’esprit, du respect du patrimoine commun, du bien public, et des lois de la République. Or, regrettablement, en prenant faits et causes pour le Ministre de la Sécurité Publique vous avez non seulement souillé  irrévocablement la plus prestigieuse institution publique du Burundi mais vous vous êtes compromis par une complicité active ou passive dans la commission des infractions de meurtre et de corruption.

Je voudrais donc par la présente vous conseiller de limiter les dégâts et de sauvegarder le prestige de cette noble Institution en présentant immédiatement votre démission auprès du Ministre de l’Enseignement Supérieur et de la Recherche scientifique. Si vous persistez à soutenir l’insoutenable, non seulement votre autorité morale serait sérieusement compromise à jamais mais vous risquez d’entamer très sérieusement votre crédibilité scientifique.

Je vous prie d’agréer Monsieur G. Hakiza, l’expression de ma considération distinguée.

Fait à Bristol au Royaume Unie, le 07 Novembre 2011

Me Pacelli Ndikumana, sé