Burundi news, le 29/05/2010
Lettre ouverte à Monsieur NDAYICARIYE Pierre-Claver
Président de la CENI
à Bujumbura
Le 29/05/2010
Objet: « Vos » résultats des élections du 24/05/2010
Excellence Monsieur l'Ambassadeur,
J'ai l'honneur de m'adresser à vous en ce moment réjouissant pour certains, mais inquiétant pour d'autres. La période qui s'ouvre, depuis que vous avez publié les résultats « provisoires » des élections du 24/05/2010, pourrait être périlleuse au fur et à mesure qu'il se confirme que votre indépendance supposée n'était qu'une illusion aux yeux de vos compatriotes et de la communauté internationale.
C'est en 1993 que feu le Président NDADAYE Melchior vous avait élevé au rang d'Ambassadeur. Je suppose que vous avez été indigné, comme d'autres démocrates burundais, par son ignoble assassinat perpétré par des éléments de l'armée burundaise ( non identifiés et impunis encore aujourd'hui), avec les conséquences que vous n'ignorez point.
Si je me permets de m'adresser à vous en ce jour, c'est que vous tenez, entre vos mains, le destin de ce pays qui a perdu tant d'enfants depuis l'assassinat d'un Président démocratiquement élu. Son tort était double, aux yeux des putschistes: il était démocrate et Hutu! Je ne voudrais pas que du sang soit encore versé, du fait de la contestation des résultats « provisoires » proclamés par vos services. Pourquoi vous bornez-vous à demander à l'opposition des preuves que « vos » résultats sont truqués, sans démontrer le contraire?
Seule une vérification minutieuse de chaque procès verbal de chaque bureau de vote doit attester la sincérité du scrutin. Si vous persistez à faire la sourde oreille à cette opération-vérité, les 13 partis d'opposition, et leur électorat respectif avec, sont bien fondés à exiger un audit indépendant pour éplucher les procès verbaux que vous cachez!
De surcroît, lorsqu'on analyse la chronologie des divers incidents et anomalies (notamment l'encre prétendument indélébile, le manque « planifié » de différents bulletins de vote, l'appropriation momentané des urnes à domicile, l'absence de procès verbaux, etc...) qui ont émaillé la journée et la nuit du 24/05/2010, entre 6h et des heures très tardives de la nuit, avec une absence totale de synchronisation et de coordination des opérations dans le déroulement du scrutin dans plusieurs bureaux de vote, un grand faisceau de faits troublants laisse penser que des bourrages d'urnes ont pu se produire ici ou là.
Seule une vérification rigoureuse et indépendante vous dédouanerait de tout soupçon, Excellence Monsieur l'Ambassadeur! Pourquoi vous entêtez-vous à vous y opposer? Surtout que (autres conséquence de ces dysfonctionnements) des électrices et des électeurs ont été privés du droit de vote.
Outre que vous devez vous expliquer et nous expliquer si vos arrêtés respectifs sont conformes au code électoral (perfectible), vous êtes en train de confirmer l'insincérité des résultats « provisoires » que vous avez publiés hier qui sont , par conséquent, nuls, jusqu'à la preuve du contraire.
Dans sa « Déclaration Préliminaire-Burundi du 27/05/2010 », la Chef de délégation de la Mission d'observation électorale Burundi 2010 vous recommande, entre autres, l'affichage des procès verbaux et l'amélioration du cadre juridique du code électorale, afin que quiconque puisse contester la sincérité d'un scrutin.
Si vous vous réfugiez derrière des règles ou des lois contestables, vous perdez votre crédibilité. En tant que ex-Ambassadeur du Président NDADAYE, vous avez une obligation morale: celle de donner une chance à la paix, en vérifiant et en recomptant les résultats « provisoires » dont les procès verbaux restent encore inaccessible au public. Nous avons le droit de consulter tous les procès verbaux afin de connaître les « vrais résultats irréfutables et incontestables » attribués démocratiquement, par les électrices et les électeurs, à chaque parti politique et à chaque candidat indépendant. Tout cela doit se faire dans la transparence la plus totale!
Excellence Monsieur l'Ambassadeur,
Vous n'ignorez pas que des membres de l'opposition sont malmenés, intimidés, jetés en prison, voire assassinés par le pouvoir en place, comme si celui-ci avait peur de se faire chasser du pouvoir, par la voie des urnes. Si vous cautionnez ce qui apparaît comme une mascarade électorale, ayez le courage de démissionner, sinon donnez-nous une seule raison pourquoi nous devrions accepter ce « putsch électoral » que le CNDD-FDD est en train de faire contre le peuple burundais!
Vos silences complices, observés tout au long du processus, sur des tas d'irrégularités m'obligent à rectifier les félicitations que je vous avais exprimées lors du report de la date du scrutin. En effet, avec du recul, j'ai compris que vous n'êtes pas indépendant. Et c'est regrettable que vous ayez changé la CENI en Commission Electorale Nationale Dépendante du CNDD-FDD ( CEND-CNDD-FDD, un monstre à trois têtes)!
Comme pour narguer le peuple burundais, le CNDD-FDD s'apprête à fêter en grande pompe « sa victoire » en oubliant qu'il est, peut-être, en train de creuser un énorme trou sous ses pieds dans lequel il tombera, tôt ou tard, et tous ses complices avec!
La suite des élections dont le premier round a eu lieu le 24/05/2010 détermine le succès ou l'échec de tout le processus électoral en cours. Si vous persistez dans votre erreur historique vous aurez montré votre vrai visage au monde, celui d'un ennemi de la démocratie burundaise. Vous nous ramenez à la date fatidique du 28/11/1966, de triste mémoire, qui marquait le début d'un genre nouveau d'accès et de maintient au pouvoir: le putsch, celui de la dictature sanglante dont vous et vos complices du CNDD-FDD semblez nostalgiques.
Les électrices et les électeurs n'ont d'autre choix que celui de refuser ce retour en arrière. Ils ont le droit d'élire leurs dirigeants dans la transparence. Vous êtes une minorité et vous n'avez aucune chance de remporter, face à leur détermination. Et c'est d'ailleurs le triomphe de la démocratie qui vous mettra à l'abri de leur colère actuelle légitime. La sagesse vous dicterait de recourir à un arbitrage neutre et indépendant, au lieu de vous entêter!
Si le CND-FDD et vous-même êtes sûr de « vos résultats », pourquoi n'acceptez-vous de refaire le scrutin du 24/05/2010 dans la transparence et dans les règles de l'art, puisque les électrices et les électeurs les confirmeront, voire les amplifieront, de manière à ce que plus personne n'ait plus rien à redire?
Revenez plutôt aux sentiments qui étaient les vôtres le 21/10/1993, tournez le dos au camp des putschistes au lieu de faire NDADAYE, et toutes les victimes tombées sur le champ d'honneur de la démocratie, se retourner dans leur tombes!
Veuillez agréer, Excellence Monsieur l'Ambassadeur, l'expression de mes sentiments les plus distingués.
NZIBAREGA Bernard