Burundi news, le 04/01/2013

 

                           L E T T R E   O U V E R T E  A U   P R E S I D E N T  N K U R U N Z I Z A

 Par Bernard Nzibarega

CONCERNE : La Question de la CNTB : au delà des controverses ; les vraies questions.

Monsieur le Président,

Malgré ce qu’en dit Monseigneur BAMBONANIRE Sérapion, malgré ce qu’en disent certains de vos conseillers, il y a aujourd’hui un problème CNTB. Il serait gravement hypocrite et lourdement irresponsable  celui- là qui penserait que les récentes «  journées portes ouvertes » du 17 et 18 décembre 2012 ont résolu la question. Au contraire, elles ont apparu pour certains, comme un événement monté de toutes pièces; surtout pour que Mgr Sérapion reçoive le soutien solennel  du Président de la République au moment ou l’homme d’église est au centre d’une grave controverse. Le soutien vient d’être renouvelé de façon renforcée à l’occasion des vœux de nouvel an 2013.

Au delà des passions et des controverses,  il est primordial de rappeler qu’ une des missions premières du Président de la République, dans la Question CNTB,  est de faire respecter la Constitution et les lois, de donner priorité à l’équité, à la réconciliation et à la paix sociale au delà de toute autre considération notamment ethnique ou politique. Le souci de la présente est d’ apporter sa modeste contribution à la réalisation de cette mission.

Lors de la réunion qu’il a organisé à Rumonge en date du 6 novembre 2012 pour les «  rapatriés » et a laquelle il n’avait pas convié les « résidents » alors qu’elle les concernait, le Président de la CNTB a refusé la parole a ceux-ci et s’est adressé à eux en ces termes : «sinazanywe n’abanyaze, nazanywe n’abanyazwe » càd « je suis là non pour les spoliateurs mais pour les victimes de la spoliation ». Pour lui ,  les « résidents » sont tous confondus à des spoliateurs. Certainement que le Président de la République ne cautionne pas une telle dérive.

Monsieur le Président,

 Vous ne pouvez suivre Mgr Sérapion  sur cette voie. De même,  vous ne devriez pas cautionner certains de ses discours marqués par l’intolérance et la violence comme ces expressions faites lors de la même rencontre de Rumonge. Ceux osent critiquer son travail sont… « quelques magistrats et avocats ignares… des politiciens impénitents qui continuent à travailler dans l’obscurité, exactement comme des taupes…la réalité est qu’ils sont, non seulement dans le désarroi,  mais aussi dans l’incertitude pour leur avenir politique, car ils voient leur système fondé sur l’injustice et le mensonge s’effondrer comme la tour de Babel. » Dans la suite, il affirme : «…  toute leur vie, ils ont tout connu, tout fait, sauf la justice et la vérité … ce sont des calomniateurs qui jouent perdant ».

Nous vous laissons le soin d’apprécier à travers les propos ci-haut la qualité de cet homme, qui s’est lui-même  proclamé militant du « parti de Dieu » lors du débat radiodiffusé « Kabizi », et sa capacité à accomplir une mission de réconciliation et de paix.

Comme il se proclame sans nuances aucunes comme le défenseur d’une partie, ou se trouve le défenseur de l’autre partie ?

Monsieur le Président,

Au delà de la personne de Mgr Sérapion Bambonanire qui incontestablement pose problème, la Question CNTB doit être analysée par référence à des questions concrètes  notamment  le respect de la Constitution, le respect des lois, les impératifs d’équité, de réconciliation et de paix sociale; la lutte contre la corruption. 

-        Respect de la Constitution .

  Déjà en 1993,  dans une affaire qui avait fait grand bruit, « l’affaire NAGARI », la Cour Constitutionnelle avait pris un arrêt qui interdisait à la Commission des Rapatriés, équivalent de la CNTB actuelle de prendre des décisions exécutoires parce que ce pouvoir revenait aux cours et tribunaux conformément à une disposition de la Constitution de 1992.

L’article 205 alinéa 1 de la Constitution actuelle dispose : « La justice est rendue par les cours et tribunaux sur tout le territoire du Burundi au nom du peuple burundais ». Aujourd’hui la CNTB prend des décisions immédiatement exécutoires. Non seulement, elle rend justice au mépris de la Constitution; elle est, en outre, dotée de pouvoirs dont ne disposent pas les cours et tribunaux dont les décisions ne sont immédiatement exécutoires que dans des cas rares et exceptionnels.

Et comme pour confirmer sa mission et son autorité «  judiciaires », la CNTB a décidé de revêtir ses décisions de la « formule exécutoire » réservée aux décisions définitives rendues par les cours et tribunaux.

En ravissant la place aux cours et tribunaux, la CNTB viole le principe sacrosaint de la séparation des pouvoirs, pilier de toute démocratie et consacré par l’article 18 alinéa 2   de notre Constitution. En effet, au regard du système constitutionnel qui gouverne le Burundi depuis 2005, il est scandaleux qu’une commission qui est sous l’autorité de la Présidence de la République soit dotée de compétences qui l’autorisent de se substituer aux cours et tribunaux.

                 - Respect des lois.

Mgr Sérapion  Bambonanire et nombre de responsables de la CNTB affirment constamment  que leur mission repose sur le respect strict de la loi. Il s’agit d’un grand mensonge.

 - Ainsi, en matière de terres, une des lois importantes est celle relative au « titre de propriété » qui reconnait la plénitude du droit de propriété et qui ne peut être annulé que par une décision des seuls cours et tribunaux. En violation de cette loi, la CNTB agit comme si les titres de propriété n’avaient aucune valeur.

-La CNTB ignore le principe fondamental de la prescription consacré par les lois du Burundi. Alors que  le citoyen qui réunit les conditions de possesseur paisible et de bonne foi pendant une période déterminée par la loi ( 15 ou 30 ans) est protégé dans son droit de propriété, la CNTB ignore superbement les dispositions légales y relatives.

-Alors que dans tous les états modernes le principe de la continuité de l’état  s’impose à tous, aux institutions comme aux citoyens, la CNTB  considère ce principe comme inexistant.

-La CNTB, version Mgr Sérapion, viole même la loi qui la régit. Ainsi l’article 9 al 2 l’oblige de prendre des décisions guidées par l’impératif de concilier le respect de la loi, de l’équité, de la réconciliation et de la paix sociale. Il ya lieu d’affirmer que l’évêque Sérapion a décidé d’envoyer cette disposition aux oubliettes. La crise autour de la Commission en est le meilleur témoin.

-La loi  sur la CNTB fixe rigoureusement sa compétence aux litiges en rapport avec les crises  càd   celles de  1972 et 1993. Force est de constater qu’aujourd’hui, la voie a été ouverte à toutes les manipulations et tricheries qui permettent à certains juges de la CNTB de juger des causes manifestement irrecevables à des fins inavouées y compris des fins de corruption.

-Pour que les violations de la loi, les manipulations et tricheries diverses soient possibles, Mgr Sérapion a décidé de renvoyer également aux oubliettes le manuel de procédure qui était en vigueur avant son avènement. Dans le vide réglementaire ainsi créé, lui et les présidents de délégations provinciales qu’il a nommés sont libres pour imposer les décisions qu’ils désirent. Conformément à la logique qui est à la base de tout le système CNTB, version Sérapion, les présidences des délégations provinciales ont été aménagées de façon à ce que les provinces qui connaissent le plus de litiges ou qui présentent certaines spécificités (Bururi-Rumonge,Makamba, Bubanza, Bujumbura Rural, Mairie de Bujumbura etc..) soient confiées à des militants zélés du Cndd-fdd pour s’assurer de la conduite et de la maitrise de l’issue des dossiers.

- Et comme pour piéger la justice rendue par la CNTB, il a été nommé des juges qui sont pour la plupart des dirigeants de partis politiques dont les plus connus ont dirigé des mouvements politiques armés comme KARUMBA Joseph du Frolinat et HABIMANA Pasteur du Fnl. La récente intervention de KARUMBA dans les radios au sujet de la polémique autour de la CNTB aura démontré, par sa passion et son parti pris, que la justice rendue par des juges politiques, irrécusables, sans éthique et qui par surcroit ne connaissent pas la loi, court le risque grave et dangereux d’être une imposture.

 -Impératif d’équité, de réconciliation et de paix sociale.

Ces derniers temps, cet impératif a été beaucoup  réaffirmé par des expressions fortes émanant de tous les milieux ;aussi bien de la société politique que de la société civile. Force est de constater que la CNTB dispose, à cet effet de moyens indiscutables. Il ya lieu de constater que pour des raisons contraires aux missions définies par l’Accord d’Arusha pour la paix et la réconciliation, la CNTB a pris l’option d’une voie créatrice d’injustices et de tensions contraire à celle qui avait fait ses preuves avant l’avènement de Mgr Sérapion.

L’on a beaucoup parlé de fonds d’indemnisation qui n’a pas été crée. Cela résulte d’une absence de volonté politique. Ce n’est pas l’argent qui a manqué.

 Par contre , depuis longtemps la CNTB a fait l’inventaire de beaucoup de terres disponibles appartenant à l’ Etat et qui peuvent être utilisées dans le règlement à la fois légal et équitable des litiges. Curieusement la CNTB refuse d’emprunter cette voie. Pour quelles raisons?

 Ainsi, au lieu de se rendre au camp des déplacés de Ruhororo pour créer la zizanie qui s’est amplifiée dangereusement après son passage,  Mgr Sérapion aurait mieux rempli sa mission en attribuant aux gens qui réclament quelques parcelles qui seraient occupées par des déplacés, d’autres parcelles en compensation; que la commune lui aurait indiqué sans difficultés aucune car elles sont disponibles. Cette solution est possible partout ou des problèmes identiques existent; mais certaines autorités  préfèrent créer et entretenir des conflits,  cherchant plutôt à imposer un retour forcé des déplacés sur leurs collines d’origine alors que leur sécurité n’y serait  pas garantie de l’avis les concernés.

 Autre curiosité; au moment ou ces autorités dépensent beaucoup en énergie et en argent pour créer des villages, elles s’emploient à détruire ceux qui existent au lieu de les renforcer en les rendant plus attrayant et favoriser le regroupement et décourager l’habitat dispersé.

-        La lutte contre la corruption.

Certaines informations font état de pratiques de corruption qui seraient derrière certains agissements de la CNTB. Des personnes chercheraient à acquérir des terres et des parcelles par des pratiques de manipulations, fraudes et corruption  en utilisant la voie de litiges justiciables ou non de la CNTB.

Certaines manœuvres et décisions en cours ou déjà intervenues rendent crédibles ces informations. Ce serait le cas, notamment autour de certaines grandes propriétés, comme celles ayant appartenu à la société Ruzizi depuis les années 1930 et qu’on hésite pas à présenter comme ayant été spoliées en 1972, de la ferme de Gifuruzi à Nyanza-Lac, d’une propriété sise à Bulamata dans Bubanza etc…

Monsieur le Président,

A tort ou à raison, une certaine opinion croit que Mgr Sérapion agit sur votre mandat dans une entreprise visant à raviver la question ethnique et à des fins électoralistes. Par ailleurs, le revirement pris par la CNTB ne serait qu’une partie visible d’un plan de spoliations foncières et autres persécutions, toujours dans le cadre d’une stratégie de repli ethnique face aux multiples problèmes économiques et sociaux  auxquels fait face le pays. Il est incontestable que la mobilisation et propagande ethniques constituent des recettes rentables lors des rendez-vous électoraux dans notre pays.

Pour une opinion non avertie, la question CNTB opposerait hutus et tutsis. Force est de constater qu’à beaucoup d’endroits, à l’instar de Rumonge, cette thèse devient complètement erronée.

En conclusion, Monsieur le Président, pour rendre inopérantes toutes ces perceptions, pour résoudre la Question CNTB, vous devez agir non comme Mgr Sérapion ; vous devez agir conformément à la Constitution sur laquelle vous avez prêté serment et en respect de celui-ci. Il est grand temps d’arrêter la dérive initiée par Mgr Sérapion et de s’orienter vers des voies qui créent la justice, l’équité, la réconciliation et la paix sociale.