Témoignage
Source : Kirimba.org
Les mobiles et les commanditaires du massacre des séminaristes de Buta
Par Philibert Nininahazwe
Situé au sud du pays, dans le diocèse catholique de Bururi, le petit séminaire de Buta a été brutalement réveillé, le matin du 30 avril 1997, par le vacarme des bombes et des armes automatiques. Cette institution religieuse qui forme de futurs prêtres a perdu 40 jeunes séminaristes en une seule matinée. Le 30 avril restera donc dans la mémoire des séminaristes et de tout le personnel du séminaire comme une date tragique inoubliable. Huit ans après, les assassins des séminaristes n’ont toujours pas été appréhendés par la justice et la communauté nationale et internationale semblent vouloir oublier cet horrible massacre de jeunes qui a endeuillé de nombreuses familles.
Les signes avant coureurs
Le 20 octobre 1993 quand le président Melchior Ndadaye est assassiné, les séminaristes de Buta apprendront la mort du chef de l’Etat et de plusieurs hauts dignitaires de la Répubique plusieurs jours après l’événement. Le lundi précisément alors que le crime avait été commis le jeudi de la semaine précédente.Le recteur du séminaire de Buta d’alors, l’Abbé Zacharie Bukuru avait l’habitude de tenir les séminaristes au courant de tout ce qui se passait dans le pays.
Des lectures spirituelles animées et qui se terminaient toujours dans un climat de bonne entente avaient créée un sentiment de solidarité entre les séminaristes. Alors que le chaos régnait, à l’époque de l’assassinat de Melchior Ndadaye, dans plusieurs écoles à internat, le séminaire de Buta était resté particulièrement calme. Ceci n’empêchera pas néanmoins qu’un groupe de jeunes Hutu, influencés peut-être par les milieux externes au séminaire, organisèrent leurs confrères pour déserter le séminaire en arguant que leur sécurité était en danger. N’eut été l’intervention de l’Abbé Léopold Mvukiye, plus connu comme guérisseur traditionnel, tous les Hutu auraient quitté le séminaire. Néanmoins, six jeunes séminaristes prendront tout de même la fuite quelques jours après cette première alerte. Ce sont ces séminaristes devenus depuis des combattants du mouvement CNDD qui reviendront massacrer leurs anciens condisciples. Les séminaristes rescapés les ont vus de leurs propres yeux.
Par ailleurs, toujours avant l’attaque du séminaire de Buta, des tracts avaient été distribués tout au tour de l’établissement. Personne ne les avait crus. La direction et les séminaristes eux-mêmes ne pouvaient pas imaginer qu’ils étaient dans la ligne de mire de ces tueurs sans foi ni loi.
"Frères à la vie, frères à la mort !"
L’après midi du 29 avril, un groupe suspect de réfugiés est passé dans les alentours du séminaire de Buta et s’est dirigé vers Bururi, à 12 Km plus loin. Ce groupe a inquiété les responsables du séminaire. Le recteur a tout de suite décidé de demander aux pouvoirs publics de renforcer la sécurité de l’établissement. Une unité du camp Ngozi doit venir incessamment. Quatre fois de suite, Zacharie Bukuru demanda pourquoi les militaires tardaient à venir. La réponse fut toujours la même. Une fois, tard dans la nuit, le recteur viendra tranquilliser ses protégés. Cet entretien avec les séminaristes se terminera, comme d’habitude par une prière et une bénédiction. Mais la promesse n’était toujours pas honorée.
Les séminaristes se réveillent d’habitude à 5 :20 du matin. Les assaillants le savaient sans doute. En effet, c’est aux environs de cette heure que la première balle a sifflé. Suivie de crépitements d’armes dignes d’un combat entre armées puissantes. Une trentaine d’assaillants est entrée dans la salle où dormaient les élèves du cycle supérieur (3ème -1ère). Les élèves tentèrent de fuir et de se cacher sous les lits. « Inutile », commande une assaillante de sexe féminin. Une certaine opinion pense que le commando était composé par des Rwandais Interahamwe et anciens soldats des Forces Armées Rwandaises coupables d’avoir perpétré le génocide de 1994 dans leur pays. La chef du commando intima ainsi l’ordre à tous les élèves de sortir de leurs cachettes et de venir se rassembler devant elle st ses compagnons de lutte. Ce que les élèves furent.
Alors les assaillants leur intimèrent l’ordre de se séparer. « Abahutu ni baje harya. Abatutsi nabo baje ukwabo ». « Les Hutus de ce coté, les Tutsis de l’autre coté ¨ ». A la grande surprise des assaillants, les séminaristes ne bougent pas et restent unis. Ils le resteront jusqu’au bout. Fous de rage, la chef du commando lance la première une grenade dans le groupe des courageux martyrs qui avaient refusé de se séparer. Vingt séminaristes succombent immédiatement à leurs blessures.
Alors que les survivants essayent de porter secours aux blessés, les assaillants continuer leur sale besogne. Ils continuent à tuer avec des armes d’assaut. Un séminariste hutu qui transportait vers l’infirmerie son camarade tutsi sera abattu à l’extérieur du dortoir. Les assaillants partent après le carnage. Ils reviendront néanmoins trois fois de suite pour vérifier s’il y avait un seul survivant.
Convaincus que personne n’avait survécu, les assaillants brûleront les matelas et voleront tout ce qui les intéressait sans aucun scrupule. Ils épargneront quelques séminaristes qui les aideront à transporter le butin mais ils les tueront plus tard. Les élèves du cycle inférieur n’auront la vie sauve que par miracle. Les assaillants ont voulu « kurya impene iyindi iziritse ». Malheureusement trois plus jeunes séminaristes seront tués par balle en prenant la fuite.
Ainsi, pendant plus de quatre heures, le séminaire de Buta est resté sous le contrôle des rebelles du CNDD qui prenaient le plaisir à massacrer la jeunesse du Burundi. Quarante séminaristes et un membre du personnel moururent sur le champ.
Qui sont les commanditaires du « massacre des innocents » de Buta ?
Les séminaristes ont été tués par les militaires du CNDD. Et ils ne le nient pas. Sur les ondes de la BBC (British Broadcasting Corporation), Jérôme Ndiho, alors porte-parole du CNDD déclara que c’était son mouvement qui avait commis ce crime. Il aura même le cynisme et la cruauté d’ajouter que les combattants de son mouvement se sont battus avec des militaires en armes.
Deux jours après le massacre des séminaristes, dans le journal en ligne « burundi-bureau » de Brigitte Erler, l’actuel ministre de l’environnement, Albert Mbonerane, écrira que les combattants du mouvement CNDD avaient attaqué des séminaristes armés. Des armes que leur aurait données Mgr Bernard Bududira, évêque de Bururi. Depuis lors, l’évêque a réclamé le droit de réponse, en vain.
Les auteurs de ces accusations gratuites et mensongères ont toujours argumenté qu’ils avaient des preuves tangibles et que le droit de réponse n’était pas opportun. Peut-être qu’un jour la justice burundaise pourra vérifier les faits. Du moins peut-on l’espérer. Car, les présumés coupables de ces crimes sont toujours en liberté et roulent carrosse dans les rues de Bujumbura, couverts par l’immunité provisoire et par une honteuse impunité.
Quant aux victimes, elles n’ont eu droit, jusqu’à présent, qu’aux larmes de chagrin des leurs. Les massacres de Buta ont été commis le 30 avril 1997. Le lendemain, le 1er mai, la fête des travailleurs s’était déroulée normalement. Le président d’alors avait déjà annoncé publiquement qu’il était prêt à négocier avec les rebelles. Le jour de l’enterrement des séminaristes, il avait déclaré qu’il ferait traduire en justice les assassins. Quatre ans après, il serait la main des rebelles au conseil des ministres.
Leur héroïsme restera gravé à jamais dans la mémoire du séminaire de Buta
Le Pape Jean-Paul II, décédé récemment, a donné des fonds pour faire construire un sanctuaire en mémoire des séminaristes disparus. Il est construit maintenant et chaque 30 du mois, les séminaristes, les parents des enfants disparus et les chrétiens des environs se recueillent devant les tombes de ces martyrs de la fraternité. Le recteur d’alors, Zacharie Bukuru, est entrain de faire construire aussi un monastère tout près de « ses enfants » dit-il, morts prématurément. Il a d’ailleurs écrit un livre intitulé « Les quarante martyrs de Buta : Frères à la vie, Frères à la mort ». Du reste, ce livre vient de décrocher un prix de la littérature chrétienne, en présence du Maire de Paris. Un projet de canonisation de ces jeunes martyrs est devant les cardinaux. Un jour, on parlera peut-être de Saint Jimmy, de Saint Thierry, de Saint Oscar, de Saint Patrick… Saints martyrs de Buta à l’instar des martyrs d’Ouganda.