Burundi news, le
19/12/2011
AMNESTY INTERNATIONAL
Déclaration publique
Index AI : AFR 16/11/2011
ÉFAI
19 décembre 2011
Burundi: Un moment essentiel pour la justice
Le Parlement burundais devrait modifier l’avant-projet de loi portant création
d’une Commission Vérité et Réconciliation (la Commission) pour garantir que les
victimes de crimes relevant du droit international et leurs proches puissent
connaître la vérité et obtenir justice, a déclaré Amnesty International ce jour.
Des centaines de milliers de personnes ont été tuées au cours des années de
conflit et de violence, au cours desquelles toutes les parties se sont livrées à
de graves violations du droit international humanitaire et relatif aux droits
humains.
Après avoir examiné l’avant-projet de loi, Amnesty International appelle le
Parlement du Burundi à faire en sorte que les principes fondamentaux décrits
ci-après et les recommandations qui les accompagnent figurent dans le texte de
loi avant qu’il ne soit adopté. Amnesty International demande également au
gouvernement du Burundi de veiller à ce que la procédure de mise en œuvre de la
Commission soit ouverte et transparente, et de donner la possibilité aux
organisations de la société civile du Burundi de commenter le projet de loi.
Enquêtes judiciaires et poursuites
La Commission ne doit pas se substituer à une procédure judiciaire visant à
établir la responsabilité pénale individuelle. Amnesty International demande
que les responsables présumés de crimes relevant du droit international soient
jugés équitablement par un Tribunal spécial.
L’avant-projet de loi prévoit que la Commission pourra recommander que des
poursuites pénales soient engagées contre les personnes soupçonnées de graves
violations des droits humains, mais il faudrait que le texte précise que le
Tribunal spécial sera doté d’un procureur indépendant qui pourra lancer des
enquêtes et des poursuites sur d’autres affaires que celles qui lui seront
transmises par la Commission, ou classer sans suite des affaires qui lui auront
été recommandées par celle-ci.
Le texte n'explique pas en quoi le mécanisme de suivi garantira l’application
des recommandations de la Commission. Les orientations méthodologiques qui
accompagnent le texte (section 2.2.5) suggèrent que la meilleure option serait
que le mécanisme de suivi soit dirigé au niveau ministériel ou présidentiel. Or,
une telle instance risque de ne pas avoir la volonté politique de mettre en
place un Tribunal spécial. Les décisions politiques en matière de poursuites
pénales pour graves atteintes aux droits humains ne peuvent être prises par des
personnes pouvant elles-mêmes faire l'objet d'enquêtes ou de poursuites
judiciaires.
Le mécanisme de suivi doit être constitué de personnalités sans affiliation
politique et n’étant pas elles-mêmes impliquées dans des atteintes aux droits
humains.
Possibilité d’amnistie pour les crimes de guerre, les crimes contre
l’humanité et le crime de génocide
Le Parlement doit éviter de suggérer de quelque façon que ce soit la possibilité
d’une amnistie pour les crimes de guerre, les crimes contre l’humanité et le
crime de génocide. Le Burundi est tenu, au regard du droit international, de ne
pas accorder d’amnistie ou de mesure similaire aux personnes soupçonnées d’être
responsables de génocide, de crimes contre l’humanité, de crimes de guerre, de
torture, de disparitions forcées ou d’exécutions extrajudiciaires.
L’article 6.3, aliéna 4 dispose que la Commission serait chargée de publier une
« liste des victimes qui ont accordé le pardon ainsi que celle des auteurs,
ayant bénéficié du pardon ». L’article 65 dispose en outre que la Commission
pourrait mettre en place une procédure permettant aux victimes d’accorder leur
pardon aux auteurs de violations: « Dans l’objectif d’un rapprochement et d’une
réconciliation entre les victimes et les présumés auteurs, la Commission élabore
une procédure par laquelle les victimes pourront accorder le pardon aux auteurs
qui l’auront demandé et auront exprimé des regrets. La Commission propose au
Gouvernement un programme d’actions susceptibles de promouvoir la
réconciliation. Ces actions s’inspirent des valeurs culturelles et visent la
formation civique. »
L’avant-projet de loi actuel ne définit pas la notion de pardon. La partie du
rapport portant sur la méthodologie indique que certaines atteintes au droit
international ne peuvent faire l'objet d'une amnistie, mais cette précision ne
figure pas dans le projet de loi en tant que tel. La loi devrait reconnaître
explicitement l’obligation du Burundi de ne pas amnistier les crimes graves
relevant du droit international. L’article 6.3, aliéna 4, et l’article 65
pourraient être retirés de l’avant-projet pour garantir que ce principe ressorte
dans la loi.
Composition de la Commission
L’article 12 dispose : « La Commission comprend 11 membres de nationalité
burundaise, qui portent le titre de "Commissaire" ». L’article 14 confirme plus
loin que « tout membre de la Commission doit être de nationalité burundaise ».
Ces articles excluent la nomination de commissaires internationaux.
Or, Amnesty International avait indiqué dans ses recommandations au Comité
technique que la nomination de commissaires internationaux, aux côtés de
commissaires burundais, permettrait de garantir l’impartialité et l’indépendance
de la Commission. Le projet de loi recommande la création d’un Conseil
consultatif international (articles 23 à 27), mais la loi et le budget qui lui
est assorti, qui ne prévoit pas de traduction, montrent que ce conseil n’aurait
en fait qu’un rôle limité.
Les commissaires doivent être sélectionnés pour leur indépendance avérée et leur
compétence en matière de droits humains. Ils ne doivent pas être liés – ni
perçus comme tels – à des personnes, gouvernements, partis politiques ou autres
organisations susceptibles d’être impliqués dans les atteintes aux droits
humains faisant l’objet d’une enquête, ni être liés à des organisations en
relation avec les victimes. L’article 11 dispose que la Commission est une
institution indépendante. Pour garantir cette indépendance, le texte de loi
devrait également spécifier que les membres de la Commission doivent inclure des
représentants des groupes religieux, des organisations de la société civile et
des différents milieux professionnels.
Protection des témoins et des victimes
Le succès de la Commission dépendra de sa capacité à protéger les personnes et à
leur permettre de se sentir suffisamment en sécurité pour parler librement et
ouvertement.
Amnesty International se félicite de ce que l’article 36 et les articles 48 à 50
recommandent la création d’une unité de protection et d’assistance des victimes
et des témoins, et qu’ils prévoient des mesures spéciales pour aider ces
personnes - notamment celles et ceux qui sont traumatisés, les enfants, les
personnes âgées ou les victimes de violences sexuelles - à participer à ce
processus, à faire enregistrer leur cas, à présenter leur témoignage et à
exprimer leur opinion et leurs préoccupations. L’avant-projet de loi dispose
également que les victimes et les témoins devraient bénéficier d’un soutien
psychologique et juridique tout au long du processus. Amnesty International
recommande que cette unité soit composée d’hommes et de femmes afin d’être mieux
à même de s’occuper des cas de violence sexuelle et de violence fondée sur le
genre à l’encontre de femmes et de jeunes filles.
Amnesty International considère que la présence d’experts internationaux en
matière de protection permettrait de renforcer l’efficacité de la Commission.
Les articles 48 à 50 devraient être modifiés afin de tenir compte de ces
éléments.
Les victimes et les témoins devraient également avoir la possibilité de dire à
la Commission s’ils se sentent en danger du fait de son action. Le texte de loi
devrait clairement faire apparaître l’obligation pour la Commission de prendre
des mesures pour tenir compte des préoccupations des personnes concernées.
Complément d’information
En juin 2011, un comité technique a été chargé de modifier la Loi de 2004
portant création d’une Commission Vérité et Réconciliation. Le rapport final
remis par le Comité au président Pierre Nkurunziza le 18 octobre 2011 contenait
un avant-projet de loi. Ce rapport a été rendu public récemment et doit être
examiné très prochainement par le Parlement.
Le 7 septembre, Amnesty International a publié un document intitulé Burundi.
recommandations au comité technique au sujet de la création d’une commission de
vérité et de réconciliation , qui est accessible en cliquant sur le lien
suivant :
http://www.amnesty.org/fr/library/info/AFR16/007/2011/fr .
La Commission a pour mandat d’enquêter et d’établir la vérité sur les violations
graves des droits humains commises entre le 1 er juillet 1962, date de
l’indépendance du Burundi, et le 4 décembre 2008, date à laquelle le dernier
groupe rebelle, le Parti pour la libération du peuple Hutu-Forces nationales de
libération (Palipehutu-FNL), a signé un accord de paix avec le gouvernement du
Burundi.
