Note de la rédaction : Un article publié le 22 mai 2005 est d'actualité aujourd'hui compte tenu de la crise financière mondiale. L'Afrique est-elle protégée? Certainement non. La banque Fortis qui était majoritaire à la BCB au Burundi est au borde la faillite. Les problèmes de l'euro entrainent automatiquement le franc CFA. Les aides internationales baissent car les pays occidentaux veulent sauver leur système monétaire et le marché financier, plutôt que d'acheter à manger ou de financer des budgets des pays africains.

Plus que jamais, les Africains doivent s'asseoir sur la même table pour parler de cette monnaie unique, une monnaie nouvelle qui pourrait résister aux assauts et spéculations des prédateurs financiers. L'Afrique a des compétences suffisantes pour mettre en place cette monnaie.

Nous avons décidé de publier l'article de 2005 pour remettre à la une  cette idée de monnaie unique.

 

A QUAND LE MARCHE COMMUN ET MONNAIE UNIQUE EN AFRIQUE ?

 

Par Gratien Rukindikiza

 Burundi news, le 22 mai 2005

Il y a plus de 40 ans que l’Afrique a été décolonisée. Elle est partie sur des bases différentes. Les pays colonisés par les anglais ont beaucoup appris à faire des affaires tout en restant dépendants de la Grande Bretagne sous la communauté de Commonwealth. Les pays colonisés par les français ont subi « une assimilation ». Les citoyens de ces pays étaient à l’image des français. Ces pays devaient rester sous le contrôle politique et économique de la France ; soit une nouvelle colonisation connue sous le nom de néo-colonialisme. Les pays des grands lacs colonisés par les Belges ont été privés de formation intellectuelle pour ne pas réclamer l’indépendance. Contrairement à d’autres puissances, la Belgique n’avait pas anticipé la décolonisation. Il y avait moins d’une dizaine de burundais ayant terminé l’université alors que les pays colonisés par la France comptaient même des grands professeurs d’université en France. Le Portugal a été obligé de décoloniser à coup de canons.

L’Afrique n’a pas obtenu l’indépendance sur un plateau d’argent. L’indépendance acquise a été un cadeau empoisonné d’autant plus que les élites africaines n’étaient pas préparées à assumer les hautes fonctions sans être sous la coupe des anciens colonisateurs. Les plus instruits, à savoir ceux qui ont été colonisés par la France, n’ont pas pu décrocher par rapport à l’ancien colonisateur. La politique intérieure  et extérieure se décidait à Paris plutôt qu’à Abidjan ou Dakar. L’économie des pays africains, anciennes colonies françaises, est dirigée de Paris car la banque centrale du  franc  C.F.A. est la banque centrale française. La politique monétaire du franc C.F.A. est décidée à Paris. L’Etat français décide de la dévaluation du franc C.F.A., de la masse monétaire à injecter dans l’économie. Ces pays africains ne disposent pas du droit régalien, celui de battre la monnaie. Or, un pays qui n’a pas de pouvoir de décision sur sa monnaie peut difficilement contrôler son économie. Le Niger peut passer 6 mois sans payer les fonctionnaires alors que le Burundi en guerre avec sa monnaie nationale les paie sans arriérés.

L’Afrique a une économie fragile. Cette fragilité n’est pas due seulement au manque de technologie. L’Afrique possède plus de  matières premières  que d’autres continents. Or, elle reste le continent le plus pauvre. Le retard dû à la colonisation  n’est pas un grand fardeau. La volonté politique des dirigeants de travailler en commun pour un destin commun est le seul salut de l’Afrique. Par ailleurs, le manque de patriotisme panafricain et l’égoïsme des dirigeants africains ne permettent pas de penser à une politique commune économique pour que l’Afrique soit le continent des pays émergents.

L’Afrique a besoin d’un marché commun à moyen terme et d’une monnaie unique à long terme si elle veut se développer. Elle doit conquérir son indépendance économique face à l’Europe et à l’Amérique.

Construire un marché commun est une chose difficile. Difficile moralement car une partie du pouvoir est réduite au profit de la communauté et difficile économiquement car certains pays doivent accepter la concurrence des produits africains et essayer de définir les produits compétitifs sur le marché africain. Il convient alors de revoir la gestion des coûts de revient afin de réduire au maximum le coût de fabrication pour vendre moins cher.

Le marché commun ne peut pas se construire du jour au lendemain. Les pays doivent former des ensembles régionaux avec une harmonisation des politiques douanières. Ils doivent aussi rapprocher des politiques industrielles et commerciales dans le but de créer un marché régional économique. Ce sont ces ensembles régionaux qui donneront naissance au marché commun africain. La communauté économique européenne a commencé avec l’harmonisation de la politique du charbon entre l’Allemagne et la France vers les années 60. Il y a eu aussi le Benelux qui regroupe la Belgique, les Pays bas et le Luxembourg. La communauté économique africaine aura besoin de gestionnaires qui devront rapprocher les points forts des uns et des autres et corriger les points faibles des uns et des autres. 

La communauté économique africaine aura besoin d’une solidarité. On ne peut pas s’enrichir sans problème si le voisin est pauvre. Les pays riches devront financer les pays pauvres pour développer leur économie afin d’augmenter le marché des consommateurs africains. Ces pays riches africains récupéreront leurs mises dans l’augmentation des exportations vers les autres pays africains. Cette communauté devra avoir un budget déterminé en fonction d’un pourcentage du PIB de chaque pays et des dépenses en fonction de la pauvreté de chaque pays. Cette redistribution devra s’accompagner des règles strictes. Comme dans tout mariage, il y a un contrat entre les mariés et ils s’engagent à le respecter. La stabilité des prix, le niveau des taux d’intérêts, les tarifs douaniers, la bonne gouvernance et le respect des droits de l’homme seront les grands atouts à harmoniser et à respecter.

Une commission africaine composée d’experts et de politiciens élus par pays devra statuer sur les conditions à respecter pour entrer dans cette communauté économique africaine. Elle devra fixer les règles de jeu et déterminer les conditions de libre circulation des biens et services dans les pays africains. Cette commission devra aussi s’occuper des négociations avec les gouvernements des pays africains.  Le noyau de cette communauté sera déterminé en fonction des conditions arrêtées.

L’économie africaine a besoin d’une protection. L’Europe avait imposé des barrières douanières aux textiles chinois. L’Afrique devra elle aussi protéger son industrie. Dans le but de transformer la matière première que regorge le sous-sol africain, l’Afrique devra acquérir une technologie performante. Depuis la dernière grande invention des chinois qui est la poudre noire qui sert à fabriquer les armes, la Chine  a plutôt copié les technologies avancées pour rattraper les pays développés. L’Afrique devra mettre sur pieds un système d’intelligence économique, en d’autres termes, le renseignement  économique. Les africains devront se mettre à l’école chinoise de l’espionnage économique. L’histoire la plus connue est celle d’un chinois qui  visita une industrie chimique et qui plongea sa cravate dans la solution chimique européenne. Prétextant la saleté, il  mit sa cravate dans sa sacoche. Arrivé en Chine, il retrouva la composition chimique du produit. Ainsi, la Chine gagna des millions de dollars qui auraient été consacrés à la recherche et surtout quelques années de recherche.

 L’Afrique est incapable de rattraper les pays développés si elle compte sur les inventions de ses chercheurs. Comme disait le Général De Gaulle, les chercheurs qui cherchent, on en trouve, des chercheurs qui trouvent, on n’en trouve pas. Il serait sage de recourir à l’espionnage économique plutôt qu’aux inventions.

La construction de la communauté économique africaine dépendra aussi des pays émergents comme l’Afrique du Sud, l’Egypte, l’Algérie etc… Certains pays seront les moteurs de l’économie. En développant des ensembles autour des économies solides, les pays africains fourniront la matière première à ceux qui peuvent la transformer et la création de la valeur ajoutée permettra d’augmenter la consommation, moteur de la croissance. Ces ensembles régionaux  pourront transformer les matières premières qui sont vendues à bas prix en occident et qui reviennent en Afrique transformées en produits finis chers. La valeur ajoutée qui était empochée par l’occident reviendra à l’Afrique. C’est une honte de voir les citoyens nigérians aller acheter l’essence au Togo qui a acheté le pétrole au Nigéria, grand producteur du pétrole. C’est comme le sucre burundais qui était moins  cher au Rwanda et coûtant les yeux de la tête au Burundi le produisant. L’ouverture des marchés aux produits africains devra servir à la stabilité des prix et à l’esprit compétitif.

L’Afrique devra concevoir un système universitaire tourné vers le professionnalisme,  la créativité et la création d’entreprises privées. Des universités africaines devront être créées pour former la nouvelle élite de demain du secteur privé et de scientifiques. L’essor de l’Afrique occasionnera  sans aucun doute le retour des africains de la diaspora en Afrique pour développer le continent.

Politiquement, les dirigeants devront penser africains et arrêter de servir d’intermédiaires au néo-colonialisme. Ils devront savoir que l’Europe et l’Amérique du nord sont des concurrents et pas des humanitaires ou bailleurs de fonds. En se faisant respecter, l’Afrique montrera que c’est un continent de l’avenir et qu’il faut négocier d’égal à égal. Il suffira d’investir les 600 milliards de dollars des africains investis en Europe et en Amérique pour transformer le continent. Des mécanismes devront être prévus pour encourager le retour des capitaux tout en prévoyant une collaboration avec les gouvernements occidentaux pour rapatrier les fonds des anciens dirigeants coupables de détournements.

L’Afrique devra avoir une politique étrangère cohérente en harmonisant les positions des uns et des autres. Dès que les dirigeants comprendront que les intérêts entre les pays africains sont complémentaires, ils devront harmoniser le combat pour la protection de l’économie africaine.

La commission économique africaine devra étudier l’épineuse question de la dette publique. Aujourd’hui, l’Afrique rembourse en dette extérieure plus qu’elle reçoit en aide. Elle devra négocier cette dette pour une remise de la dette au nom de la justice sociale car ces fonds ont été dilapidés par des gouvernements corrompus dans plusieurs pays et le service de la dette bloque le développement du continent. Les pays colonisateurs n’ont jamais remboursé à l’Afrique les matières premières envoyées en Europe pendant la colonisations sans payer aux africains. Ces richesses valent plus que la dette. Les africains devront exiger, unis, une compensation. A défaut d’une remise, l’Afrique peut adopter une ligne de conduite commune de refus de remboursement. En cas de représailles économiques de l’occident, elle pourra changer de fournisseurs et se tourner vers la Chine, l’Inde et les pays de l’Amérique latine. L’occident aura intérêt à supprimer la dette pour augmenter les investissements en Afrique dont l’équipement sera acheté dans un premier temps chez eux.

L’Afrique devra d’abord régler son problème d’alimentation. La Chine a pu nourrir un milliard 200 millions d’habitants. L’Afrique devra changer ses méthodes agricoles grâce aux subventions à l’agriculture et à l’élevage. L’agriculture portugaise s’est développée ces 15 dernières années grâce aux subventions européennes. Sans les subventions européennes, plus de la moitié des agriculteurs et éleveurs français auraient déposé les bilans. L’Afrique ne peut pas concurrencer les produits agricoles subventionnés alors que les siens n’ont aucun euro de subvention. La banque mondiale et le FMI n’ont pas de leçons à donner à l’Afrique du fait que ces institutions interdisent les subventions dans plusieurs secteurs alors que l’Europe se permet de le faire sans mise en garde de ces institutions financières. L’Afrique est capable de gérer son économie ; elle a le droit d’entreprendre, de réussir, d’échouer, de recommencer pourvu qu’elle soit unie et solidaire.

Le marché commun africain est aussi significatif de la fin des guerres. En effet, la bonne  gouvernance permettrait une bonne tenue des élections, une protection des minorités, un suivi des droits de l’homme et une baisse de la corruption. Les pays africains devront alors constituer une force de maintien de la paix en Afrique. Tout conflit non réglé par les nationaux sera réglé par  la médiation africaine. Une cour africaine de justice devra être créée pour permettre aux citoyens africains de porter plainte contre les pouvoirs en place.

L’entrée dans la communauté économique africaine se fera sur critères. Ainsi, les pays feront un effort pour y entrer et bénéficier de la protection collective de la communauté. Cette communauté pourra à moyen terme harmoniser les politiques sociales.

Toute économie solide est basée sur un mécanisme de protection qui sert de garde-fou. Ce rôle est joué par la banque centrale. La monnaie est l’outil principal pour guider les principaux leviers de l’économie comme la stabilité des prix, la croissance économique, les taux d’intérêt, l’épargne et les taux de change de la monnaie.  L’Afrique a besoin de cet outil. Par ailleurs, l’harmonisation de l’économie est un préalable à l’utilisation de cet outil monétaire. Avant même la promulgation de la monnaie unique, l’Afrique devra harmoniser la politique monétaire pour assurer une cohésion des économies des pays africains.

Comme les intégrations régionales, la monnaie unique pourra se mettre en place dans des pays ayant rempli les conditions indispensables à cette monnaie unique. Ces conditions peuvent être la bonne gouvernance, le déficit budgétaire, la stabilisation des prix et la lutte contre la corruption.  Les autres pays rejoindront progressivement la monnaie unique avec l’aide des poids lourds de l’Afrique et l’assistance technique pour les pays ayant des problèmes à remplir les conditions. L’Afrique occidentale francophone pourra facilement transformer les francs C.F.A. en cette monnaie unique en se rapprochant du rand sud africain. Les monnaies conçues sur le modèle anglais sont proches du rand sud africain et n’auront pas de difficulté à remplir les conditions qui seront fixées sans aucun doute avec une grande influence des anglophones africains. Les pays arabes auront un grand rôle à jouer notamment dans la conception de la banque centrale africaine. Ils devront alors rapatrier les fonds placés en Europe pour les placer dans la banque africaine qui aura pour mission la croissance économique et le financement du développement africain. Cette banque africaine devra s’inspirer de la politique monétaire américaine pour les taux d’intérêts. En période de faible croissance, elle devra baisser les taux d’intérêts pour relancer l’économie et l’emploi.

La monnaie unique africaine fera honneur à l’Afrique. L’Afrique sera parmi le continent en plein essor économique. A la place des aides, l’Afrique aura besoin des investissements. La stabilité des pays africains attirera sans aucun doute les investisseurs étrangers. Une monnaie stable, une économie organisée et une main d’œuvre bon marché et travailleuse, l’Afrique sera le nouveau Eldorado des entrepreneurs occidentaux. La délocalisation des entreprises désireuses de baisser leurs coûts de revient pour concurrencer la Chine passera par l’Afrique.

Du rêve du panafricanisme de N’Krumah, Nyerere, Nasser, Lumumba etc..  naîtra une nouvelle Afrique, respectable et respectée. L’Afrique verra ses fils et filles partis en occident revenir avec de nouveaux talents et compétences à mettre à la disposition de ce rayonnement. L’Afrique naguère des famines, des misères, sera l’Afrique du renouveau, de la croissance. Le berceau de l’humanité sera l’espoir de l’homme et  tranquillisera ces européens effrayés par une soi- disante marée humaine des africains à leur porte. Le flux des migrations changera et on verra ce berceau de l’humanité attirer les citoyens de l’occident.

I have a dream, disait Martin Luther King. J’ai un rêve moi aussi. Mais mon rêve sera demain la réalité ; celle de voir l’Afrique devenir une communauté économique avec une seule monnaie. Un rêve d’une Afrique sans faim, sans misère, une Afrique solidaire, l’Afrique des peuples et non l’Afrique des dirigeants égoïstes.

De l’Europe, je contemple cette construction européenne avec admiration. J’espère que demain, je contemplerai la communauté économique africaine avec beaucoup d’admiration et je m’inclinerai devant l’ effort de chaque africain où qu’il soit, qui aura contribué à la réalisation de cette communauté économique africaine.