LE PRESIDENT NDADAYE ASSASSINE AVEC LA DEMOCRATIE 

 Burundi news, le 21/10/2014

Par Gratien Rukindikiza

Le Burundi a accédé à la vraie démocratie avec les élections de 1993. Un homme civil a battu un militaire aux élections présidentielles. Un Hutu accédait pour la première fois au pouvoir.  Il prônait la paix et le développement du pays. Si la démocratie a commencé avec l'arrivée au pouvoir du Président Ndadaye, elle semble avoir pris le chemin de départ avec l'assassinat du Président Ndadaye.

De 1993 jusqu'aujourd'hui, la chute est régulière. Ceux qui ont assassiné le Président Ndadaye ont assassiné aussi la démocratie. ils ont poignardé le peuple burundais. 

Les assassins et les complices de l'assassinat du Président Ndadaye n'ont pas d'ethnie. Ils ont  plutôt en commun la haine envers le peuple burundais. Contrairement aux idées reçues, Ndadaye a été assassiné par ceux dont les intérêts étaient menacés. Parmi ces gens qui ont planifié l'assassinat du Président Ndadaye, on trouve des Tutsi et des Hutu.

Divergences dans son camp

J'ai déjà écrit que le Président Ndadaye est mort incompris. Surtout incompris par les siens. Ce n'est pas trahir les secrets mais il s'agit de quelques témoignages car j'ai eu le temps de le côtoyer après sa victoire, de discuter de la politique et aussi de l'écouter discuter avec quelques ministres dans un cadre privé.

Le Président Ndadaye avait refusé à certains ministres d'avoir des relations ethnisées avec le Rwanda du temps de Habyalimana. Il prônait des relations d'Etat à Etat au moment où d'autres demandaient des relations de frères à frères. A ce moment, j'ai compris qu'un vrai homme d'Etat dirigeait le Burundi, un homme qui transcendait la conscience prisonnière ethnique.

Après l'échec de la tentative du putsch du 02 au 03 juillet 1993, au moment où je montais la garde du Palais présidentiel, le lendemain dans la matinée, le Président Ndadaye m'a fait une confidence qui m'a bouleversé. Au delà de la confidence, il y avait aussi la confiance. Un Président Hutu qui s'adresse à un officier Tutsi de sa sécurité en lui disant que sa grande crainte est que quelques hauts cadres de son parti profitent de ce genre de tentatives de putsch pour faire massacrer les Tutsi, était une première. Plus encore, il me dit que certains cherchent des occasions pour faire des massacres et qu'il doit se battre pour que ces gens n'y arrivent pas.

Les tenants de l'ethnisme pourraient polémiquer mais je dois dire que peu de Hutu ont compris le Président Ndadaye et peu de Tutsi ont compris Ndadaye aussi.

Assassiné juste une semaine avant un grand remaniement ministériel

Le discours de Mabanda prononcé après son retour de l'Ile Maurice était un vrai tournant, un tournant historique. Un remaniement ministériel était prévu et la récréation était terminée pour certains. Quelques futurs ministres étaient déjà contactés et je me garde de citer quelques uns.

Le Président Ndadaye avait formé le gouvernement pour satisfaire ou calmer  quelques ambitieux. Certains avaient déjà montré leurs limites, parfois leur arrogance envers le Président Ndadaye dans les salons de Bujumbura. Il arrivait, après trois mois, à une phase d'un gouvernement de travail, de professionnels pour développer le pays après le gouvernement des militants.

La démocratie assassinée

Il suffit d'observer ce qui se passe au Burundi pour comprendre que la démocratie a été assassinée en même temps que le Président Ndadaye. Le régime actuel offre une image pitoyable de la démocratie. Le Burundi est cité en exemple des pires dictatures en Afrique.

Les Burundais pleurent l'assassinat du Président Ndadaye et ils sont actuellement dans une peur du lendemain prévu par le trio infernal qui conduit le Burundi vers une tragédie.

Un rapport de l'ONU que je conteste

L'ONU a publié un rapport sur le putsch du 21 octobre 1993 et les massacres qui ont suivi. Les enquêteurs des nations Unies m'ont rencontré à Paris. J'ai accepté de témoigner pour faire avancer la vérité mais à une condition, que toute la conversation soit enregistrée. Ce qui a été fait.

A la sortie du fameux rapport, à ma grande surprise, les enquêteurs qui m'avaient donné l'impression d'être sérieux ont sorti quelques propos que je n'ai jamais prononcés et ont déformé d'autres tout en censurant ce qui n'était pas dans leur schéma. A titre d'exemple, je n'ai jamais dit que le colonel Bikomagu m'a envoyé en mission à l'Ile Maurice. Pour toute personne assurant la sécurité d'un Président, un chef d'Etat major de l'armée ne donne pas des missions et il n'est même pas au courant des déplacements des officiers de sécurité d'un Président.

Très remonté contre certains mensonges, j'avais déposé plainte au tribunal de Grande Instance de Paris en 1996 pour obliger l'ONU à modifier son rapport. Pour des raisons géopolitiques et en pleine bataille entre Américains et Français sur le poste de Secrétaire général des Nations Unies et à la suite des conseils de mon avocat, la plainte a été retirée.

Je me permets de clarifier en apportant ces informations pour préciser que je conteste certains passages évoquant mes témoignages. Par ailleurs, le rapport des ONG a été complet et a repris fidèlement mes témoignages.

Le rôle de l'ONU après l'assassinat du Président Ndadaye n'a pas été bénéfique pour le Burundi. Les informations récoltées étaient dérisoires et mal exploitées. L'ONU n'a pas voulu s'engager pour mener de vraies enquêtes pour juger ceux qui ont assassiné le Président Ndadaye et leurs complices et aussi ceux qui ont organisé des massacres des Tutsi et des Hutu aussi.