Burundi news, le 29/10/2009

   

Témoignage sur Melchior Ndadaye

 

Par Régine Cirondeye

Ottawa, Canada

Octobre 2009

 

Laurence Ndadaye, et famille,

 

Au nom de certain(e)s  qui ont connu le Héros de la Démocratie du Burundi, et qui pourront se reconnaître dans cette missive, humblement, recevez un écho des larmes sourdes et muettes, séchées plus vite que les vôtres, et ceux de vos proches,

de gré, de force, de honte ou d’effroi.

Ces larmes sont celles de certain(e)s des employés et employées de l’ancienne Meridian BIAO Bank Burundi (MBBB), qui ont aimé à leur façon, votre auguste époux.

Ces larmes, contre vents et marées, ont coulé vers le haut[1], mais avec le temps, elles  rejoignent nos joues en contournant des rides qui n’y étaient pas en 1993.

 

Melchior

 

Pour nous à la Banque, votre Melchior était notre Melchior aussi,

Un homme avec un grand « H », humble et clairvoyant.

Un Mushingantahe[2], tel que conté dans les traditions burundaises.

Je me souviens de son fou rire, de sa voix comme si c’était hier.

J’ai eu l’aubaine de l’avoir comme collègue, et comme superviseur.

Mais beaucoup plus comme ami et comme mentor.

Les promus de Melchior font encore long feu dans les banques burundaises.

 

Papa Gueva

 

Melchior, Ndadaye, Président, Héros,

Tous ces noms riment si bien avec Papa Gueva.

Ce nom si mignon décrit le plus mon ami, quand ma tête est repos, au point de l’essor de l’humanité, de l’humain, où ses rêves l’étayaient et où son charisme emportaient ceux qui ont eu la chance comme moi de siffler la vie, la regarder passer quelques secondes à ses côtés. Loin de tout et surtout loin des Judas[3] et al.  

 

Oui je l’aimais Papa Gueva.

Il était la quiétude même dans les prémisses de la MBB Bank. Il est arrivé à point. Nous avons parcouru un bon sentier houleux ensemble vers l’exploration profonde d’un peuple aux facettes multiples qui ne cesse de m’étonner, 16 ans après sa mort : Mon peuple, le peuple burundais.

 

Sur le front des droits humains à la MBB Bank

 

Très vite, nous avons eu le plaisir de l’avoir comme Président  du Conseil des employés. Il était toujours à nos côtés, pour nos crédits,  nos avantages, nos promotions,  contre les vents et les marées qui ont fini par ensevelir la Banque.

De ceux qui l’aimaient plus et surtout ceux qui l’aimaient moins, nul n’était indifférent à ses initiatives salvatrices,  et plus les jours passaient, plus il s’affirmait et se distinguait par ses actes[4] grandioses à la banque. Dieu seul sait ce qui a changé sous son leadership.

 

Témoignages

 

Et entre deux jobs, il me parlait de politique, la voix sereine, sans passion, à sa façon. Mais hier comme aujourd’hui, le sang de la société civile coulait à flots dans mes veines. Et Frodebiste ou pas je restai son amie. Quel démocrate, quel exemple!!!

 

Il a célébré avec nos familles les euphories et les peines de la vie;

et  nous avons célébré avec la leur.

Oui il était comme vous et moi dans la vie de tous les jours.

Clairement il avait ce que vous et moi n’avons pas : un charisme charmant à la Obama[5].

 

« Je serai Président dans quelques jours ».

 

 Durant la campagne électorale, avec son sourire habituel, il m’a dit:

« Régine, je serai Président dans quelques semaines et je vais te dire pourquoi: Tous ces bus remplis de militants des autres partis politiques qui quittent Bujumbura et autres chefs-lieux de province, pour aller dans des lieux de « meetings » ailleurs que chez eux, dans d’autres provinces du pays, ne m’inquiètent pas.  Souviens-toi, ils vont voter chez eux seulement. Mon électorat reste chez lui, c’est moi qui me déplace et le trouve à leurs collines.».

 

Hier comme aujourd’hui la politique m’effraie,  j’ai changé de conversation jambes jointes parce que j’avais plus que saisi, et il le savait.

Entre amis, j’ai commencé à aligner pour lui les postes qu’il pourrait m’octroyer,  pour faire comme tout le monde.

Adroitement, il m’a ramené à ce qu’il a dit, à la case départ: « Je serai Président sous peu ».

 

Tout se soldait par un fou rire connu de tous ceux qui l’ont côtoyé.

 

A quelques jours des élections, de chez lui, il m’appelle pour un document important à lui transmettre par le biais de son chauffeur. Sur une enveloppe bien scellée lui destinée, j’écris en gros : « A son Excellence Mr. Melchior Ndadaye, Président de la République du Burundi ». A la réception de l’enveloppe, il m’appelle, avec la même complicité :

 « au moins toi, Régine,  tu as compris que je serai Président dans quelques jours».

 

Nostradamus

 

Un jour de Janvier 1993, du haut de sa chaise tournante, il m’a dédié un calendrier  de son parti Frodebu avec mention manuscrite et signée:

 « Mme Régine,

Avec toutes mes sympathies, meilleurs vœux pour l’année 1993, année de la victoire de la Démocratie dans notre pays.

Ndadaye Melchior, Président du FRODEBU ,

Il a eu le soin d’écrire Démocratie avec une majuscule.

Peut-être qu’il pressentait que cette année fantôme allait être tout sauf une année de Démocratie pour le Burundi.

Dix mois après la dédicace, il a quitté ce monde, sa famille, ses amis et le Burundi, en me laissant des secrets, des leçons et ce manuscrit.

Et chaque mot est pour moi un devoir en lettres d’or.

Les années s’écoulent, et j’interprète en vain, les nombreuses vérités dans ses vocables personnalisés et dans nos conversations, comme Nostradamus.

Plus j’essaie, plus je m’égare, allez-y interpréter 1993 au Burundi sans émotions!!!.

Toute ethnie confondue, évoquer cette année pourrait bien fausser des pistes du génie que contiennent ces écrits.

Si seulement je savais que 1993, était votre dernière année de vie, Papa Gueva!!!!

Ensemble dans la peine

Laurence et famille,

Sa mort a fait de la peine à plus que vous, votre famille et vos proches, 

A plus que vous et son cercle politique,

Sa vision, son calibre, son charisme ont porté bien au grand lointain,

Sa mort était un sabre dans la peau de plus que lui, plus que vous et plus que les vôtres.

Et votre courage, votre silence si bavard en disent long.

Ce cri de cœur après 16 années de silence étale juste une goutte d’une marée de larmes inédites qui ont coulé vers le ventre[6] pour le Héros de la Démocratie au Burundi.

 

Deuil enfin

Reposez-vous Papa Gueva, Melchior, Ndadaye.

Reposez-vous cher collègue, cher ami, cher mentor.

Reposez-vous en paix, Héros de la Démocratie du Burundi

Démocratie s’écrit avec grand « D », j’en conviens.

Mais surtout,

« Priez pour nous pauvres pécheurs, maintenant et à l’heure de notre mort ».[7]

 

J’attends, tu attends, il attend, nous attendons, vous attendez, ils attendent  - et

comme il et elle ne font plus il en français facile comme jadis - elle attend, elles attendent elles aussi, impatiemment le « Amen » qui clôture cette prière. 

Et il c’est votre peuple.

 

Régine Cirondeye

Et mieux encore, Maman Winnie.

Octobre 2009, Ottawa, Canada

reginecirondeye@hotmail.com

 


 

[1] Traduction libre de « Kuririra mu nda »

[2] Un Mushingantahe est un homme qui incarne la droiture, la sagesse et bien d’autres qualités honorées dans la société burundaise.

[3] Judas est un personnage biblique.

[4] Insinuation expresse, tirée du fameux discours du Prince Louis Rwagasore : « Vous nous jugerez par nos actes et votre satisfaction sera notre fierté ».

[5] Barack Obama, actuel Président des États-Unis d’Amérique.

[6] Traduction libre de « Kuririra mu nda », cacher ses larmes.

[7] Extrait d’une prière connue dans la religion catholique Je vous salue Marie, pleine de grâce... ».