LE PRESIDENT NDADAYE  EST-IL MORT INCOMPRIS ?
 

Par Gratien Rukindikiza

Burundi news, le 21/10/2009

 

 

A travers les discussions des Burundais, Hutu ou Tutsi, de l’intérieur comme de l’étranger, il ressort que le Président Ndadaye est resté incompris de son vivant comme après son assassinat.

Paradoxalement, la grande incompréhension provenait de son camp, et celle-ci a alimenté celle du camp politique adverse.

Les Hutu en général ont eu la même perception que les Tutsi de ses intentions, notamment sur l’armée, les terres, les relations avec le Rwanda, surtout avec le Président Habyalimana, etc….

Cette   version rassurait les Hutu et faisait peur aux Tutsi.
Les proches collaborateurs de Ndadaye passaient des messages en son nom alors que leur contenu était contraire à ses idées.

Au moment de la création du parti U.B.U.(umugambwe w’abakozi b’uburundi) au Rwanda où il était réfugié, son intention, d’après les cofondateurs, était d’adopter une ligne politique de gauche.
Il avait refusé de prendre les armes parce qu’il était convaincu que la voie démocratique était possible.

Il a décidé de rentrer au pays pour travailler avec des Tutsi et pour quitter l’emprise du Rwanda d’après certaines informations.

Rentré sous le régime du Président Bagaza, qui à son tour rentrera d’exil dès sa victoire, Ndadaye a été mal servi par la radicalisation de la conscience ethnique après les massacres de Ntega Marangara.
Certains Hutu avaient besoin d’un Hutu porte-parole, qui pourrait devenir le leader des Hutu, alors que certains Tutsi cherchaient un bouc émissaire pour lui faire endosser le rôle du méchant Hutu.

La campagne des élections présidentielles a démarré alors que le Frodebu ne disposait pas d’assez de forces pour gagner. Ainsi, par manque de préparation et par peur d’affronter la gestion du pouvoir trop rapidement, Ndadaye avait demandé au Président Buyoya de ne pas organiser les élections avant 3 ans, afin de pouvoir s’habituer  à la gestion de l’Etat par un système de cohabitation.

Devant le  refus de Buyoya, Ndadaye et ses collaborateurs ont tout misé sur la victoire car l’échec signifiait leur mort politique.

Les militants du Palipehutu ont infiltré le Frodebu pour le contrôler de l’intérieur. Leur propagande faisait peur aux Tutsi et aux Hutu, membres des autres partis.

Le  refus de Ndadaye, pour des raisons électoralistes, de voter au sein de la ligue ITEKA une résolution condamnant le Rwanda sur les massacres des Bagogwe, a contribué à augmenter la méfiance des Tutsi à son égard.
Dans le but de gagner les élections, les leaders du Frodebu ont fermé les yeux sur certaines propagandes, croyant qu’ils pourraient toujours rectifier après la victoire.

Au moment de sa victoire électorale, plusieurs tendances se côtoyaient au  Frodebu et le Président Ndadaye avait déjà une opposition interne. Sa volonté de rassurer le peuple Burundais traumatisé  par la propagande croisée de l’Uprona et du  Frodebu  n’a pas porté ses fruits car certains membres influents de son parti passaient des messages contraires pour le déstabiliser.
La nomination du Premier ministre Tutsi, membre de l’Uprona, n’a pas pu calmer les traumatismes occasionnés par  les campagnes haineuses menées par l’Uprona et par le Frodebu.

Trois sujets sensibles ont créé un fossé entre Ndadaye et le peuple burundais (Hutu et Tutsi) :

- l’armée et la sécurité,
- la distribution de la terre,
- les relations avec le Rwanda.

Ndadaye avait abandonné ses projets de recrutement par commune pour réformer en douceur l’armée. Il commençait à gagner la confiance de l’armée par ses tournées dans les camps militaires. Il n’avait pas l’intention de se mettre à dos l’armée car il avait bien compris les enjeux  de ses détracteurs, y  compris dans son camp.

Au cours d’une discussion avec lui, il m’a expliqué qu’il craignait surtout que des gens de son camp puissent profiter d’une bavure ou d’une tentative de coup d’Etat pour déclencher des massacres contre les Tutsi, ce qui était évidemment contraire à sa volonté politique.
 Tout cela explique la grande incompréhension des massacres d’octobre 1993.
N’aurait-il été compris que par sa femme et son père, les seuls membres de son parti à avoir appelé publiquement au calme et à l’arrêt des massacres contre les Tutsi?

La distribution des terres de Rumonge aux réfugiés Hutu rentrant était une politique initiée par Nyangoma, ministre de la fonction publique et de l’insertion des réfugiés. Cette initiative a été menée maladroitement. Elle menaçait les intérêts de certains officiers de la région de Bururi qui avaient acquis tant bien que mal ces terres. De ce fait, elle mettait en danger la vie du Président.
Par ailleurs, la campagne de déstabilisation sur ce thème de la distribution de terres, se faisait contre Ndadaye et non contre Nyangoma, alors que le Président Ndadaye n’était pas au courant des détails. Il a dû envoyer le député Bukuru pour vérifier les informations, ce qui a permis de confirmer le dérapage de la politique du ministre Nyangoma.

Contrairement à ce que beaucoup de Burundais pensent, Ndadaye n’a pas eu de bonnes relations avec son homologue Hutu du Rwanda. Le Président Rwandais  Habyalimana n’a pas toléré son indépendance politique. Ndadaye ne s’est pas conduit en petit frère du Président Rwandais et a maintenu des relations d’Etat à Etat malgré la pression de certains ministres.

Il n’a pas hésité à recevoir Kagamé en 1993 à la Présidence alors qu’il était en maquis contre Habyalimana.
Il a surpris Habyalimana lors de sa visite au Burundi, à Ngozi. En effet, dans son discours d’accueil au stade de Ngozi, le Président Burundais a  demandé à son homologue Rwandais d’appliquer la politique d’unité nationale comme au Burundi et de mettre en place les accords d’Arusha.
Assis derrière Habyalimana, j’ai vu celui-ci se gratter les cheveux en signe de colère. Il a immédiatement écrit un petit mot à son directeur de cabinet Sagatwa,  lui demandant de lui faire une liste de sujets susceptibles de fâcher le Burundi.
Je me suis demandé à ce moment-là s’il allait  accuser le Burundi dirigé par Ndadaye d’abriter de bases du FPR de Kagamé ou d’avoir permis au FPR d’attaquer à partir du Burundi, comme cela fut écrit sur un petit papier par Sagatwa.

Au cours des discussions, Habyalimana menaçait Ndadaye de lui envoyer dans la semaine suivante, tous les réfugiés Burundais sur le territoire Rwandais. La rentrée massive des réfugiés aurait déstabilisé Ndadaye politiquement et économiquement. Il lui a été difficile de convaincre Habyalimana déchaîné de ne pas mettre à exécution ses menaces.

Ndadaye avait compris que la gestion des deux pays différait et qu’il pouvait s’affranchir de la tutelle souhaitée par le Rwandais. Malheureusement, dans son camp comme dans le camp adverse, l’incompréhension était totale. La communauté Hutu en général croyait que Ndadaye roulait pour Habyalimana car tous les deux étaient des Hutu. Et la communauté Tutsi avait généralement la même impression. Pourtant, quelques faits et gestes précis démontrent que la réalité était autre.

En Septembre 1993, le Président Rwandais Habyalimana avait encouragé Kabura Cossane, chef du Palipehutu, à attaquer le Burundi.

La haine de Habyalimana contre Ndadaye n’est pas étrangère à l’assassinat de ce dernier. Le chef des renseignements Rwandais était à Bujumbura et assistait en direct de sa chambre d’hôtel au pilonnage du palais de Ndadaye dans la nuit du 21 octobre 1993.
Est-ce une pure coïncidence, un hasard historique?
Et si un protégé de Habyalimana, membre du Frodebu, avait voulu prendre le pouvoir avec la complicité de l’armée ?

Sa mort reste aussi incomprise. Si certains militaires Tutsi croyaient qu’ils tuaient Ndadaye parce qu’il est Hutu, les commanditaires savaient eux, que son péché capital était surtout d’ordre régionaliste. Cette raison peut expliquer l’acharnement de certains militaires Hutu du bataillon para, originaires du Sud, qui venaient chercher Ndadaye pour le tuer.

Son parti politique, le Frodebu, n’a jamais voulu faire une enquête interne pour vérifier les informations concernant une certaine complicité de quelques responsables de ce même parti avec les commanditaires de l’assassinat de Ndadaye.
Décidément, l’incompréhension est bien entretenue pour maintenir une certaine cohérence politique des revendications des uns et des autres et pour maintenir le peuple dans un mensonge permanent.

Ndadaye était incompris de son vivant, le restera-t-il longtemps après sa mort ? La vérité intéresse le peuple burundais, Hutu comme Tutsi, pour tirer les leçons des bavures et aussi du cynisme des politiciens burundais.