Burundi news, le 23/06/2010

 

Tribune libre:

Mgr NGOYAGOYE complice du putsch électoral ?

 

 par BIRIHANYUMA Grégoire

 

J'observe la vie politique de mon pays depuis 46 ans. Je suis son évolution depuis 1964, l'année où j'ai compris que certaines questions dérangeaient. L'assassinat de Monseigneur GIHIMBARE Gabriel en décembre 1964, suivi de celui de NGENDANDUMWE Pierre, quelques semaines après, sont des crimes dont il ne fallait surtout pas chercher à connaître les auteurs. Pourtant les assassins étaient connus.

 

Je suis de ceux qui pensent que la curiosité constitue  la clef du savoir. Aujourd'hui encore beaucoup de questions restent tabous. Résultats? Beaucoup d'innocents en sont morts, continuent d'en mourir! La non assistance à peuple en danger est un délit! Or le Burundi est visiblement en danger: d'où ma réflexion que je partage avec mes compatriotes.

 

Le jour où nous accepterons que toute question est légitime et mérite au moins une réponse, nous aurons jeté des bases solides à l'édifice de la paix, de la justice et de la démocratie, l'unique bouée de sauvetage à tout peuple en danger. Les affrontements politiques, les discriminations ethniques, religieuses, régionales, économiques, sociales ou autres se dilueront d'elles-mêmes dans la symbiose sociale entre tous les enfants de la même mère-patrie, notre cher Burundi. Mais pour y arriver, nous devons affronter la vérité. La politique de l'autruche mène dans des impasses!

 

Le titre de ma réflexion n'est pas une accusation, mais une interrogation. Je ne suis pas en train d'affirmer que Monseigneur  NGOYAGOYE, que je connais par ailleurs, veut voler au secours du pouvoir en place. Néanmoins,  ses affirmations méritent un examen  approfondi, compte tenu du contexte politique actuel et passé. Le rang qui est le sien dans la communauté burundaise des chrétiens devrait lui dicter, à mon humble avis, une absolue neutralité dans ses prises de position politiques.

 

Au nom de toute la hiérarchie de l'église catholique du Burundi, l'archevêque de Bujumbura estime, si je l'ai bien compris, qu'il n'y a pas de raisons majeures qui justifieraient la reprise du scrutin du 24/05/2010. Je saisis la balle au bond pour poser 7 questions  simples (la liste serait trop longue) à tous ceux (dont Mgr NGOYAGOYE) qui s'opposent à la reprise du scrutin du 24/05/2010:

 

Première question : Avez-vous lu le code électoral et pouvez-vous affirmer que celui-ci a été rigoureusement respecté depuis le début du processus électoral en cours jusqu'au jour d'aujourd'hui ? Moi j'en ai lu la version française et je constate, avec regret, qu'il a été foulé au pied par la CENI. Est-ce que la version en kirundi a été distribuée aux électrices et aux électeurs? Leur avez-vous demandé ce qu'elles/ils pensent des irrégularités listées par l'ADC-IKIBIRI dans leur mémorandum, avant de conclure que les élections communales du 24/05/2010 n'ont pas à être refaites ?

Deuxième question : Avez-vous trouvé normal de ne pas pouvoir voter dans le secret absolu, en dépit des affirmations mensongères de la CENI dans son message publicitaire selon lequel « Amatora abera mw'ibanga » compte tenu du type d'isoloir qui n'en est vraiment pas un ?

Troisième question : Avez-vous pu, personnellement, vérifier ne serait-ce qu'un échantillonnage de procès verbaux des bureaux de vote pour être sûrs et certains que les résultats attribués à chaque liste (de chaque parti politique et/ou liste indépendante) reflète la volonté des électrices/électeurs) dans la transparence absolue ? Si vous avez vu ces précieux documents,  vous devriez être gênés par ce privilège que la majorité des citoyens du Burundi et du monde réclament encore aujourd'hui à la CENI!

Quatrième question : Approuvez-vous que des militants des FNL, du MSD, de l'UPD, du FRODEBU, du CNDD, du CNDP et d'autres membres de l'ADC-IKIBIRI soient systématiquement et arbitrairement traqués,  assassinés, torturés, emprisonnés, intimidés parce qu'ils expriment librement leurs opinions ?

Cinquième question : Trouvez-vous normal que, selon une unité de monitoring des media établi par la MOE UE (Mission d'Observation Electorale de l'Union Européenne au Burundi), du 9 au 18 mai 2010, la Première chaîne de la Radio Nationale ait accordé 77% du temps de parole au CNDD-FDD, que la 2ème chaîne lui ait consacré 59% et la télévision nationale 50% ? Selon la même source, le temps d'antenne octroyé aux principaux partis, une moyenne de 40% a été attribuée au CNDD-FDD contre 17% à l'UPRONA (tiens donc!), 13% aux partis des FNL et du MSD, 9% à l'UPD, 5% au FRODEBU et 3% au CNDD de NYANGOMA Léonard. Trouvez-vous une telle répartition équitable et démocratique?

Sixième question :  Seriez-vous tant hostile à l'instauration d'un état de droit au Burundi ? Si vous  êtes réellement pour le  strict respect des droits de l'homme, il ne vous suffit pas de présenter vos condoléances aux familles endeuillées. Il vous faut surtout condamner, publiquement et sans ambages,  le pouvoir en place qui commandite de tels crimes, vous joindre à vos ouailles qui revendiquent le strict respect de la loi, l'indépendance de la justice, la liberté de circulation et d'expression ainsi que l'éradication de l'impunité.

Septième question : Que pensez-vous de la privation du droit de vote aux Burundais de l'étranger qui n'ont pas participé au scrutin du 24/05/2010, en contradiction avec l'arrêté de la CENI n°11/CENI du 09/01/2010 portant sur l'inscription au rôle électoral des Burundais résidant à l'étranger, dans son article 2 ? Demandez-vous à vos fidèles de  faire confiance à une CENI qui ne respecte ni ses propres arrêtés ni le code électoral afin de pouvoir bidouiller des résultats électoraux à sa guise? Sauriez-vous les raisons qui poussent la CENI à travailler  dans l'opacité la plus totale ? N'en êtes-vous pas gêné, Monseigneur ?

 

Propositions de sortie de crise

 

Il serait inutile et irresponsable de critiquer sans faire de propositions constructives, surtout que, le devoir de tout citoyen responsable est de contribuer à prévenir la dégradation du climat politique et sociale déjà délétère.

 

Depuis l'arrivée du CNDD-FDD au pouvoir, Mgr NGOYAGOYE n'ignore pas que  beaucoup de crimes non encore élucidés ont été commis. Depuis le début de cette année 2010, année  électorale, d'autres crimes se sont ajoutés, n'en déplaise aux responsables du CNDD-FDD qui nous répètent, non sans une certaine dose de cynisme,  que le peuple vient de les récompenser, lors du scrutin controversé du 24/05/2010, tout en refusant d'admettre que des fraudes aient pu avoir lieu! Détiennent-ils des preuves indiscutables de leur soi-disant « victoire » non encore prouvée? Pourquoi ne les montrent-ils pas avant de foncer vers les autres scrutins en solitaires ?

 

Monseigneur GIHIMBARE, Monsieur NGENDANDUMWE, Monsieur Rémi GAHUTU, les Présidents NDADAYE et NTARYAMIRA seraient probablement encore en vie aujourd'hui s'ils étaient Tutsi et s'ils avaient cherché à défendre les intérêts de leur ethnie principalement. Ils étaient tous Hutu certes, mais ils avaient en commun le noble idéal de vouloir réconcilier tous les citoyens de notre pays. Grâce à eux, les clivages ethniques sont aujourd'hui dépassés, malgré quelques relents sentis dans le camp du parti présidentiel (cas de Pasteur Habimana).

 

Le CNDD-FDD  a été élu démocratiquement en 2005: nous en avons les preuves.  Rien ne permet d'affirmer qu'il en est de même en ce qui concerne le scrutin du 24/05/2010! Quelqu'un peut-il démontrer à la face du monde que la prétendue campagne électorale en cours n'est pas une farce de mauvais goût ?

 

Puisque Mgr NGOYAGOYE fait confiance aux observateurs de la Conférence des Evêques du Burundi et qu'il fait foi aux jugements rendus par les CEPI, est-il en mesure de nous dire sur quoi ces dernières se sont basées  pour rendre leurs verdicts, puisque le cadre juridique concernant les contentieux électoraux est, selon la MOE UE, d'un flou total? Encore une fois, a-t-il lu le code électoral ?

 

Encourager le CNDD-FDD à poursuivre, en solo, la course à la présidentielle c'est, rien d'autre,  qu'une malheureuse manoeuvre de division du peuple burundais dont celui-ci se passerait bien! L'heure des divisions est révolue et l'heure de l'union a sonné. Le peuple, me semble-t-il, salue la naissance opportune de l'ADC-IKIBIRI qui, paradoxalement, pourrait sauver les responsables du CNDD-FDD de la vindicte populaire, si la tension ne se calme pas rapidement. Cette naissance spontanée est symptomatique du désir profond d'en finir avec un pouvoir qui a montré ses limites dans la consolidation attendue de la démocratie et du progrès.

 

Jusqu'à la preuve du contraire, la majorité des citoyens burundais sont en faveur de la reprise de tout le processus électoral sur de nouvelles bases de transparence et de strict respect de la loi et du code électoral. N'en déplaise à Mgr NGOYAGOYE, à Monsieur NDAYICARIYE et au Président NKURUNZIZA! Je pense que bon nombre de prêtres, de religieuse, de séminaristes, de simples catholiques soutiennent l'ADC-IKIBIRI, même si cela déplaît à l'archevêque de Bujumbura!

 

Si Monseigneur NGOYAGOYE soutient la poursuite du processus électoral en dépit du bon sens, il sera aussi tenu responsable des affrontements prévisibles entre celles et ceux qui seront privé(e)s d'office de leur droit légitime d'élire leur président  et celles/ceux partisan(e)s du monolithisme politique.

 

Mais, pour être logique jusqu'au bout, Mgr NGOYAGOYE devrait, en toute honnêteté,  appeler tous les catholiques burundais de l'intérieur et de l'étranger d'obéir à leurs consciences, soit de rester à la maison le jour du scrutin du 28/06/2010, ne serait-ce que pour des raisons de sécurité, soit d'aller participer au « plébiscite » que lui-même a l'air de soutenir. Mais son attitude est loin de faire progresser la démocratie. Aux catholiques burundais d'en juger. Ils ne sont plus dupes!

 

Mes propositions de sortie de crise consistent à:

 

·        « INAMA ISUMBA INGIMBA »: revenir à la raison et stopper net la mascarade électorale en cours pour discuter des modalités de reprise du premier scrutin avant de passer aux suivants, sous l'oeil vigilant des médiateurs indépendants;

·       constituer, de toute urgence mais sans précipitation, un conseil des « bashingantahe » à majorité féminine composé de citoyen(ne)s toutes et tous vierges de toute culture étrangère comme seule médiation crédible car issue du peuple souverain;

·        retoucher en profondeur le code électoral, surtout en matière de règlement des contentieux;

·        veiller à ce que le code électoral soit rigoureusement respecté et que aucun(e) citoyen(ne) burundais(e) ne soit tenu(e) à l'écart du processus électoral;

·        garantir l'indépendance totale du dit conseil de médiation dans ses débats et dans ses prises de décisions qui s'imposeront à tous les protagonistes: citoyens »,  politiciens et électorat;

·        seconder la nouvelle CENI pour réorganiser de nouveaux scrutins sur des bases nouvelles de transparence totale;

·        constituer une nouvelle CENI, véritablement indépendante, qui ait la confiance du pouvoir,  de l'opposition et de l'électorat;

 

Je demande solennellement aux responsables du CNDD-FDD qui briguent nos suffrages pour un deuxième mandat de se rappeler que sans la démocratie ils n'auraient pas exercé le premier mandat  comme ils viennent de le faire.

 

Qu'ils se rappellent aussi que le peuple est seul détenteur de tout pouvoir légitime. Ils doivent apporter des preuves irréfutables qu'il n'y a pas eu de fraudes lors du scrutin incriminé du 24/05/2010. Sinon ils resteront présumés fraudeurs. Quant à Mgr NGOYAGOYE,  il doit justifier les raisons de son soutien au pouvoir qui reste sourd aux nombreux conseils en faveur de la suspension ou de l'arrêt du processus, tant que le litige issu des résultats du scrutin du 24/05/2010 n'est pas tranché équitablement.

 

Ne disons-nous pas que « Uwanka isazi ata akanuka » (éloigne les ordures et évite les mouches) ? Puisque le CNDD-FDD est sûr et certain que si le scrutin du 24/05/2010 était refait il recueillerait encore plus de suffrages et l'opposition serait encore plus laminée, pourquoi donc se prive-t-il de ce plaisir légitime pour démontrer sa popularité présumée, et qu'il est surtout fair-play ? Il doit aussi se rappeler qu'exercer le pouvoir implique une lourde responsabilité devant l'histoire.

 

Je lui propose, en toute modestie, de trouver un moyen de consulter démocratiquement le peuple pour savoir si la majorité est en faveur ou non de la reprise du scrutin du 24/05/2010. Il doit, surtout, se garder de contraindre la population à se rendre aux urnes le 28/06/2010, au risque de passer pour des dictateurs! Les électrices et les électeurs doivent se sentir libres de plébisciter ou de ne pas plébisciter le Président NKURUNZIZA, même si nous n'avons aucune preuve que les résultats qui nous seront annoncés correspondront à la réalité! Le scénario qui s'annonce est à la fois affligeant et sans enjeu, ce qui ne grandit pas l'image du Burundi dans le concert des nations!

 

Si je me trompe, prouvez-moi le contraire mais, il devient de plus en plus évident que si le CNDD-FDD persiste à refuser d'entendre raison en s'enferrant obstinément dans sa logique selon laquelle « le peuple nous a élus, nous fonçons coûte que coûte »,  il est en train de diviser au lieu d'unir les Burundais. Dans ce cas, qu'il ait l'honnêteté de reconnaître que le caractère démocratique de ses méthodes reste à démontrer! L'entêtement ne paye jamais; d'autre part,  « bien mal acquis ne profite jamais »!

 

Ce qui se passera le 28/06/2010 ne sera rien d'autre qu'un coup d'état électoral que, j'ose espérer, Mgr NGOYAGOYE, ne cautionne pas,  au risque de faire fuir  de plus en plus de catholiques burundais vers d'autres obédiences religieuses ou areligieuses.

 

Persister à poursuivre le processus électoral, alors même que le premier scrutin de la série est entaché de nombreuses irrégularités, même niées gratuitement par la CENI et le CNDD-FDD, équivaut à construire un édifice sur des fondations de sable mouvant. Même sans être architecte, on peut prédire sans risque de se tromper, qu’ un tel édifice est voué à l'effondrement! Est-ce cela que veulent le Président NKURUNZIZA, la CENI et les responsables du CNDD-FDD ?

 

Le dernier mot appartient au peuple qui, j'en suis persuadé, ne se laissera pas faire. Aurions-nous affaire au triumvirat NGOYAGOYE, NKURUNZIZA, NDAYICARIYE ? Il n' y a pas de « putsch électoral » sans putschistes qui finiront, un jour, par être identifiés et, espérons-le, jugés selon les règles démocratiques qui régissent l'état de droit que les démocrates burundais ont le devoir moral d'édifier.

 

En attendant les démocrates seraient mieux avisés de préparer une autodéfense intelligente. Leur seule arme c'est le peuple, mais il n' y a pas d'arme plus efficace. Une question d'organisation.

 

D'ores et déjà, si Mgr NGOYAGOYE veut se déplacer le 28/06/2010 pour  plébisciter l'unique candidat NKURUNZIZA, il en a le droit. Mais, il n'a pas le droit de demander à ses fidèles d'aller plébisciter un seul candidat, ce qui est, par ailleurs, anticonstitutionnel.

 

Un dernier mot à l'attention des membres des forces de défense et de sécurité qui doivent garder à coeur qu'ils font partie du peuple dont ils doivent garantir la sécurité en toute indépendance. Leur intérêt, à eux aussi, c'est que la démocratie triomphe. Le peuple doit pouvoir compter sur leur protection. Ils doivent refuser toute velléité putschiste , dans l'intérêt supérieur du peuple qui est au-dessus de celui de leur hiérarchie qui peut aller à l'encontre des intérêts de leurs compatriotes.

 

Vive la résistance du peuple burundais  contre toute tentative de putsch électoral vouée nécessairement à l'échec si l'ADC-IKIBIRI s'organise intelligemment avec le concours du peuple. A malin malin et demi! LA DEMOCRATIE BURUNDAISE DOIT TRIOMPHER.