QUAND NKANGANYI SE TROMPE D’ENNEMI, par Dr Joachim HARERIMANA.

Publié sur le site Burundi bwacu

samedi 7 octobre 2006.
 
 

Suite à ma "lettre ouverte" au Président de la République, Mr. Charles Nkanganyi vient de sortir une réaction dans laquelle il m’est franchement impossible de me reconnaître, surtout lorsqu’il affirme entre autres choses graves, et je cite :

"M. Joachim Harerimana utilise la masque de "théologien" pour semer la haine et la division religieuse dans notre pays : l’objectif ultime de sa "lettre ouverte" est de monter la majorité catholique contre la minorité musulmane en jouant sur l’appartenance religieuse des dirigeants du pays…. M. Harerimana n’a rien écrit de "scientifique" comme il dit et certainement il ne connaît rien de plus sur Dieu que vous et moi, malgré le titre pompeux de "Dr. Théologien".

Très probablement, Nkanganyi ne se rappelle pas que, au lendemain de la cérémonie d’investiture du Président Pierre Nkurunziza, j’ai été le premier et le seul à m’exprimer longuement sur la question qui nous occupe aujourd’hui, dans mon article intitulé "Burundi : Pour une saine collaboration entre la religion et la politique". Ce texte est toujours disponible par exemple dans les Archives des sites www.burundibwacu.org et www.arib-info.

Au moment où j’écrivais, je me trouvais dans l’impossibilité d’accéder au texte original du discours du Chef de l’Etat, et je me suis contenté d’en citer des extraits que différents journalistes accrédités pour la circonstance au Palais de Kigobe ont livrés à l’opinion nationale et internationale, pour partager avec les internautes quelques considérations personnelles sur la question de la laïcité de l’Etat, un des thèmes parmi les plus chers même à la réflexion théologique de tous les temps.

Tout d’abord et certainement comme beaucoup d’autres croyants de mon pays, je me suis mis à rêver d’un avenir différent pour mon peuple, en me disant qu’un Président aussi croyant devait nécessairement faire la différence avec ses prédécesseurs, et j’étais convaincu que sa foi profonde ne pouvait le porter à réaliser que de bonnes choses pour notre pays.

Et j’écrivais alors :

"Personnellement, je suis très heureux que le Burundi ait finalement un Président franchement croyant, qui craint Dieu dans le sens le plus biblique du terme, et qui espère puiser dans cette relation privilégiée avec le Tout-Puissant, toute la force, la lucidité et les énergies nécessaires pour servir honnêtement son pays, dans la justice et le droit. J’en suis particulièrement heureux car , étant moi-même un croyant convaincu et pratiquant, j’espère de toutes mes forces qu’avec un Gouvernement dirigé par un homme de ce calibre, les affaires de notre pays vont enfin être gérées dans le respect du Bien Commun, et que les malversations, les pots de vin, les gaspillages et les détournements des fonds publics à tous les niveaux ne seront plus qu’un vieux souvenir".

Toutefois, je me suis empressé de manifester ma perplexité quant à certaines affirmations qui me semblaient hasardeuses et peut-être même dangereuses, en rapport avec la conviction de Nkurunziza selon laquelle Dieu lui-même lui aurait envoyé des prophètes dans le maquis pour lui annoncer ce qu’il allait devenir plus tard. Et je disais :

"S’agissant en particulier de ces "prophètes"qui auraient été envoyés par Dieu en 1999 pour révéler à l’heureux élu qu’il serait devenu un jour Président de la République, je ne puis m’empêcher de rappeler à qui l’aurait oublié que les combattants du FNL d’Agathon Rwasa se battent, eux aussi, la Bible à la main et au rythme d’hymnes religieux, et qu’ils affirment obéir scrupuleusement en tout à des oracles du Tout-Puissant."

J’ai alors senti comme un devoir de rappeler à quiconque m’aurait lu que, puisqu’elles relèvent ontologiquement de la conscience personnelle, nos convictions religieuses ne doivent jamais être mêlées aux affaires de l’Etat, et je soulignais :

"Les leaders politiques ont droit, eux aussi, à leurs convictions religieuses ou autres, à condition qu’ils comprennent que cela doit relever de leur vie privée et ne peut donc jamais interférer dans la gestion des affaires de l’Etat, qui, lui, doit rester laïc et pluraliste".

Quant à la nécessité de la coexistence pacifique entre les croyants de credos différents dans une société pluraliste comme l’est le Burundi d’aujourd’hui, je reprends in extenso ce que je me suis senti obligé d’écrire alors, eu égard surtout au risque que je voyais venir pour les uns et les autres de s’attribuer unilatéralement tous les mérites de la lutte pour la démocratie :

"Finalement, le Président Nkurunziza aura toujours raison et le droit de remercier le Bon Dieu qui l’a sauvé des marécages de la Malagarazi, pendant que son épouse louera légitimement la collaboration des Eglises Protestantes d’Amérique, d’Australie et d’ailleurs à la lutte de l’ex- rébellion dirigée par son époux. Ils n’oublieront pas, cependant, que le nouveau Président du CNDD-FDD, l’Hon. Radjabu Hussein, musulman pratiquant sans pour autant être fanatique, aura la même raison d’être reconnaissant en priant selon les règles de sa religion, envers Allah , l’un ou l’autre cheikh qui aura ouvert sa bourse pour soutenir la lutte armée, ainsi que les nombreux jeunes musulmans de Kamenge, Kinama, Buyenzi et ailleurs qui ont embrassé le fusil pour la noble cause de la défense de la démocratie.

En même temps, personne ne devra feindre d’ignorer l’énorme soutien matériel et moral, les sacrifices souvent au-delà du supportable de tant d’hommes et de femmes professant la foi catholique, l’ignoble assassinat du Nonce Apostolique pour son engagement sans faille pour la cause de la paix dans notre pays, ainsi que les milliers de jeunes issus de tous les credos dont le sang versé sur toutes les collines du Burundi est en train de féconder l’arbre de la vie, de la paix et de l’ordre nouveau."

Aujourd’hui, à une année de distance, Nkanganyi m’accuse de "prêcher l’extrémisme et la division religieuse dans notre pays", pour avoir pensé et écrit que, par leur comportement, le Chef de l’Etat et le Président du CNDD-FDD sont en train de pécher gravement contre la laïcité de l’Etat, cette colonne portante de tout système démocratique qui se respecte. Personnellement, je ne suis pas surpris par pareille réaction, du moment que j’ai eu l’audace de toucher à deux personnages dont tout le monde a une peur bleue au Burundi, Nkanganyi y compris.

L’attitude de ce dernier et consorts me rappelle alors l’histoire de ces Généraux espagnols en grande tenue qui, au chevet du dictateur Franco en état de coma irréversible, avaient commencé à se chuchoter l’un à l’autre que, finalement, l’Espagne allait respirer et recommencer à vivre comme tous les autres peuples libres. Toutefois, tout en sachant pertinemment que le dictateur était cliniquement mort, le plus haut gradé d’entre eux leur fit signe de se taire en disant :"Silence ! Il risque de nous entendre et il nous le fera payer très cher dès qu’il se réveillera de son coma".

Et exactement comme ces Généraux qui ont peur d’un dictateur pratiquement mort, il y a beaucoup de burundais qui sont tellement tétanisés par la crainte de Nkurunziza et de Rajdabu, qu’ils se garderaient même de respirer à leur passage.

C’est ainsi que, aux dires des habitués, il n’est permis à aucun membre de la chorale "Alleluia" de chanter plus haut ou plus fort que le Chef de l’Etat, pour que la voix de ce dernier soit entendue de tout le monde et imprime son rythme aux mélodies exécutées au cours des célébrations auxquelles il participe ou qu’il préside lui-même dans les enceintes du Palais présidentiel.

Pareillement, personne ne s’étonne plus que, au football, aucun gardien de buts d’une équipe adverse n’arrive jamais sur un ballon tiré par le Chef de l’Etat, car ce dernier doit nécessairement marquer des buts qui donnent la victoire à sa propre équipe placée sous la protection directe de Dieu. Voilà pourquoi on ne verra jamais tomber le joueur Nkurunziza suite à une bousculade ou d’un croc-en-jambes de la part d’un défenseur de l’équipe adverse.

D’autres informations concordantes citent le cas de ces hauts responsables politiques qui, très préoccupés, téléphonent aux amis le soir de la célébration religieuse au Palais présidentiel, pour leur confier qu’ils n’ont pas été invités à la prière, et qu’ils se demandent sérieusement s’ils ne sont pas déjà tombés en disgrâce auprès de Nkurunziza.

En tout cas et n’en déplaise à Mr. Nkanganyi, ce n’est pas moi qui suis en train de prêcher la haine et la division religieuse au Burundi, mais bien le Chef de l’Etat qui, après avoir transformé le Palais présidentiel en temple, profite de sa position et de ses descentes officielles et publiques sur le terrain, pour faire prier ses concitoyens selon son propre culte, en faisant fi de leur propre appartenance religieuse, de leur indifférence ou de leur athéisme.

Pareillement, je pense que Mr. Nkanganyi n’aura pas le courage de nier ce que tout le monde sait au Burundi, soit que la décision présidentielle de déclarer chômées deux fêtes musulmanes est tout à fait illégale pour n’avoir jamais été votée par le Parlement.

De même qu’il viole la loi le comportement du Président du CNDD-FDD qui, systématiquement et avec l’aval du Chef de l’Etat, se substitue au Ministère des Affaires Etrangères lorsqu’il s’agit de contacts avec un pays à majorité islamique comme l’Arabie Saoudite, la Libye, la Turquie, le Nigéria ou le Soudan, pour annoncer officiellement à la Nation l’ouverture des relations diplomatiques avec eux.

Sans parler de cette autre évidence qui crève les yeux, soit que personne ne peut trouver du boulot sur toute l’étendue de la République, si son dossier n’est pas approuvé par le Président du CNDD-FDD. Et là-dessus, Nkanganyi lui-même sait que je ne mens pas en disant que, aujourd’hui, il suffit de porter un nom musulman pour que votre dossier soit traité dans les meilleurs délais et avec une grande sollicitude.

C’est enfin cette même logique qui vient d’imposer à la République du Burundi une Vice-Présidente dont tous les témoignages - y compris ceux de ses proches - disent qu’elle continue de mentir sur sa véritable identité, mais qui, parce que musulmane et en violation de tous les réglements en vigueur, a été élue sans le quorum requis et par acclamation par une Assemblée Nationale totalement divisée.

Cela étant, à défaut du courage de la vérité, Mr. Nkanganyi devrait au moins avoir celui du silence, pour éviter de défendre l’indéfendable, encourageant par là le Chef de l’Etat ainsi que le Président du CNDD-FDD à violer, non seulement le principe de la laïcité de l’Etat, mais aussi et surtout la liberté de foi et de conscience de leurs concitoyens.

Quant à mes connaissances théologiques, rien ne m’oblige de démontrer au détracteur Nkanganyi que j’ai effectivement un diplôme de "Docteur en Théologie" auprès d’une prestigieuse Université européenne. Il lui reviendrait plutôt de me dire sur quoi il se base pour affirmer que je n’en sais pas plus sur Dieu que lui, d’autant plus que mon écrit n’a jamais prétendu parler de Dieu, mais bien - ce qui est différent - de deux responsables politiques qui se servent du nom de Dieu pour parvenir à des fins politiques, en violation des règles démocratiques les plus élémentaires.

Mais en ma qualité de Théologien, je sais très bien qu’il est fort dangereux pour nom de Dieu lui-même, pour les citoyens ainsi que pour les libertés individuelles, de mêler la religion à la politique, car ce Dieu politicien de fabrication locale est toujours changeant et caméléon, bon lorsque les affaires marchent comme nous souhaitons, impuissant et sourd à nos prières dès que les choses tournent mal.

Bien plus, la foi politisée de notre Président et de Mr Radjabu Hussein devient un danger réel pour notre démocratie naissante, car il y a le risque que demain ils rendent "Dieu" responsable de leurs erreurs et de leurs petitesses. Voilà pourquoi ils doivent nécessairement changer d’orientation, ou bien, s’ils venaient à persister dans l’errance, être aidés par leurs compagnons du CNDD-FDD surtout, à céder le fauteuil à d’autres dirigeants respectueux de la conscience de leurs concitoyens, ainsi que des règles démocratiques de notre pays.

La balle reste donc d’une part dans le camp de nos sénateurs et députés qui ont le devoir de mettre fin à la violation continue de la Constitution par le Chef de l’Etat, et d’autre part dans le camp des militants et militantes du CNDD-FDD qui doivent vaincre la peur pour amener Radjabu à corriger le tir ou à céder à quelqu’un d’autre la Présidence du Parti majoritaire.

Quant à Nkanganyi, à l’instar de Kabuto qui ne semble pas avoir assimilé la leçon reçue à l’occasion de la fête de Noël 2005 et qui n’est pas fichu de se comparer aujourd’hui au roi David, et exactement comme Nkurunziza et Radjabu qui confondent les affaires de leur "Dieu" avec celles de la Nation, il apprendra à ses dépens que ce domaine est des plus sensibles, et qu’il doit être laissé à ceux qui en connaissent les secrets et les dangers.

Dr. Harerimana Joachim Théologien Œcuméniste