Source : Burundiréalité

POURQUOI PIERRE NKURUNZIZA DOIT PARTIR

Arthur Kazima Akinama

 

Bujumbura, 2008-01-31 (Burundi Réalités Agence Presse) - C’est un malheur pour un peuple que d’être gouverné par un personnage méchant, corrompu, hypocrite et incorrigible. Mais c’est aussi pour lui une honte de manquer du courage nécessaire pour s’en débarrasser. Certes, la question des moyens et des dangers encourus se pose. Et les âmes très attachées à la paix peuvent craindre qu’elle ne soit compromise. A celles-ci je réponds avec John Locke : " Si les personnes sages et vertueuses lâchaient et accordaient tranquillement toutes choses, pour l’amour de la paix, à ceux qui voudraient leur faire violence, hélas ! Quelle sorte de paix serait celle-là, qui consisterait uniquement dans la violence et dans la rapine, et qu’il ne serait à propos de maintenir que pour l’avantage des voleurs et de ceux qui se plaisent à opprimer" . C’est pour aller au-delà de cette mauvaise paix, de cette paix des bandits que je me fais le devoir de participer à la préparation du changement qui un jour (prochain peut-être) aura lieu, car : " De la connaissance naît le combat, du combat la liberté et les conditions matérielles de la recherche du bonheur."

Les peuples ont le droit de destituer les mauvais dirigeants.

La déclaration d’indépendance des Etats-unis, signée le 4 juillet 1776 à Philadelphie, disposait dans son préambule : „ Nous tenons pour évidentes par elles-mêmes les vérités suivantes : tous les hommes sont créés égaux ; ils sont doués par le Créateur de certains droits inaliénables ; parmi ces droits se trouvent la vie, la liberté et la recherche du bonheur. Les gouvernements sont établis parmi les hommes pour garantir ces droits, et leur juste pouvoir émane du consentement des gouvernés. Toutes les fois qu’une forme de gouvernement devient destructive de ce but, le peuple a le droit de la changer ou de l’abolir et d’établir un nouveau gouvernement, en le fondant sur les principes et en l’organisant en la forme qui lui paraîtront les plus propres à lui donner la sûreté et le bonheur.« Ces paroles fortes ont inspiré bien des combats et éclairés l’élaboration du droit moderne. Aujourd’hui les peuples n’acceptent plus d’être gouvernés dans l’arbitraire et la brutalité. A chacun, il est reconnu le droit de résister à la tyrannie. Ce droit était déjà défendu au 17ème siècle par John Locke, pour qui les peuples „ sont absous du devoir de l’obéissance et…peuvent s’opposer à la violence et aux injustices de leurs princes et de leurs magistrats, lorsque ces princes et ces magistrats font des entreprises illicites contre eux, qu’ils s’en prennent à leurs libertés, qu’ils leurs ravissent ce qui leur appartient en propre, qu’ils font des choses contraires à la confiance qu’on avait prise en leurs personnes et à la nature de l’autorité dont on les avait revêtus. « C’est ce droit de résister à la tyrannie qui est reconnue dans le préambule de la Déclaration universelle des droits de l’homme de 1948 qui considère „ qu'il est essentiel que les droits de l'homme soient protégés par un régime de droit pour que l'homme ne soit pas contraint, en suprême recours, à la révolte contre la tyrannie et l'oppression «

Le président Pierre Nkurunziza peut être destitué

Deux possibilités indépendantes sont prévues par la constitution burundaise. La première est une déchéance prononcée, pour faute grave, abus grave ou corruption, par les deux chambres du parlement réunies comme le prévoit l’article 116 : „ Le Président de la République peut être déclaré déchu de ses fonctions pour faute grave, abus grave ou corruption, par une résolution prise par les deux tiers des membres de l’Assemblée Nationale et du Sénat réunis. « Ici ce sont les deux chambres qui ont la liberté d’apprécier les faits, indépendamment de toute autre juridiction. Le législateur a considéré par ces dispositions qu’un président qui est jugé gravement fautif et corrompu, et qui est désavoué par les deux tiers des élus du peuple, n’est plus digne de diriger le pays. Mais il lui est fait grâce d’une poursuite judiciaire.

La deuxième possibilité concerne la haute trahison comme faute très grave commise par le président dans l’exercice de ses fonctions et qui est pénalement sanctionnée. Cette possibilité est présentée par l’article 117 comme il suit :

„ Le Président de la République n’est pénalement responsable des actes accomplis dans l’exercice de ses fonctions qu’en cas de haute trahison.

Il y a haute trahison lorsqu’en violation de la Constitution ou de la loi, le Président de la République commet délibérément un acte contraire aux intérêts supérieurs de la nation qui compromet gravement l’unité nationale, la paix sociale, la justice sociale, le développement du pays ou porte gravement atteinte aux droits de l’homme, à l’intégrité du territoire, à l’indépendance et à la souveraineté nationales.

La haute trahison relève de la compétence de la Haute Cour de Justice.

Le Président de la République ne peut être mis en accusation que par l’Assemblée Nationale et le Sénat réunis en Congrès et statuant, à vote secret, à la majorité des deux tiers des membres.

L’instruction ne peut être conduite que par une équipe d’au moins trois magistrats du Parquet Général de la République présidée par le Procureur Général de la République. «

Dans ce cas le parlement réuni en congrès se contente de mettre le président en accusation, le relais étant ensuite pris par le parquet général pour l’instruction devant la Haute cour de Justice qui délibère.
L’article 118 prévient que : „ Lorsque la procédure de mise en accusation du Président de la République pour haute trahison est déclenchée par le Parlement, le Président de la République ne peut pas dissoudre ce dernier jusqu’à l’aboutissement de la procédure judiciaire. «

Il convient de rappeler que la Haute Cour de Justice est composée de la Cour Suprême (dont les membres sont nommés par le Président de la République sur proposition du Ministre ayant la justice dans ses attributions, après avis du Conseil Supérieur de la Magistrature et avec l’approbation du Sénat) ; et de la Cour Constitutionnelle composée de sept membres nommés également par le Président de la République après approbation par le Sénat et ayant un mandat de six ans non renouvelable. La Haute Cour de justice est présidée par le Président de la Cour Suprême ; le Ministère public est représenté par le Procureur Général de la République. (Article 233) „ Les décisions de la Haute Cour de Justice ne sont susceptibles d’aucun recours si ce n’est en grâce ou en révision. «(Article 234). S’il est condamné, le président de la République est déchu de ses fonctions. (Article 235)

Pierre Nkurunziza : le président du parjure

La formule du serment prévu par l’article 106 de la constitution est la suivante :

" Devant le peuple burundais, seul détenteur de la souveraineté nationale, moi, (énoncer le nom), Président de la République du Burundi, je jure fidélité à la Charte de l’Unité Nationale, à la Constitution de la République du Burundi et à la loi et m’engage à consacrer toutes mes forces à la défense des intérêts supérieurs de la nation, à assurer l’unité nationale et la cohésion du peuple burundais, la paix et la justice sociales. Je m’engage à combattre toute idéologie et pratique de génocide et d’exclusion, à promouvoir et à défendre les droits et libertés individuels et collectifs de la personne et du citoyen, et à sauvegarder l’intégrité et l’indépendance de la République du Burundi. "

Or Pierre Nkurunziza n’a été fidèle qu’à lui-même et à ses amis : il n’a respecté ni défendu la constitution, les intérêts supérieurs du pays, la paix, les droits de l’homme et la justice sociale.

Violation insouciante de la constitution.

Le chef de l’Etat burundais a-t-il lu la constitution du pays une seule fois ? Quand on observe sa conduite, on est tenté de répondre par la négative. En effet les observateurs dénombrent au moins une trentaine de dispositions constitutionnelles qu’il a violées ou laissé violer. Ont été notamment bafouées la laïcité de l’Etat, la liberté de réunion, d’association, d’expression ; le droit à la vie, à la paix et à la sûreté de sa personne. Des personnalités ont été arrêtées, injustement accusées de complot, emprisonnées et torturées. L’immunité des sénateurs et députées a été foulée aux pieds, le pouvoir judiciaire a été mis en tutelle et politiquement vassalisé.

Crimes contre l’humanité

Les crimes contre l’humanité sont définis à l’article 7 du statut de Rome de la Cour Pénale Internationale. Onze actes sont constitutifs de crimes contre l’humanité, à savoir, le meurtre, l’extermination, la réduction en esclavage, la déportation ou le transfert forcé de population, l’emprisonnement, la torture, le viol, la persécution pour des motifs discriminatoires, la disparition forcée, le crime d’apartheid, et tout autre acte inhumain causant volontairement de grandes souffrances ou une atteinte grave à l’intégrité physique ou à la santé mentale ou physique. Ces actes doivent être perpétrés dans le cadre d’une „ attaque généralisée ou systématique « contre les membres d’une population civile en raison de son appartenance nationale, politique, ethnique, raciale ou religieuse.

Or, incontestablement, les assassinats massifs comme ceux de Muyinga, de Kinama et d’ailleurs, ont été commis sur des civils, à cause de leur appartenance politique présumée à l’opposition. Une guerre non déclarée mais systématique a été lancée, dans laquelle l’opposant est traqué sous le qualificatif de criminel FNL. En couvrant ces crimes, en protégeant activement les coupables dont bon nombre se recrutent dans sa propre garde, le chef de l’Etat s’est rendu coupable de crimes contre l’humanité. De même la torture pratiquée par le Service National de Renseignement ou sécurité présidentielle, le maintien en poste, voire la promotion de personnes impliquées dans des assassinats ou des actes de torture démontrent la responsabilité du chef de l’Etat. L’ex commandant de la 4ème région militaire, le colonel Vital Bangirinama, vient de rendre public un mémorandum sur les assassinats d’une trentaine de personnes présumées membres du FNL-PALIPEHUTU. Il a avoué son forfait en ces termes : " J’ai ensuite transmis les ordres reçus au Cdt MANIRAMBONA (S1 camp) accompagné de Sgt NTIRAMPEBA pour qu’ils acheminent pendant la nuit ces criminels à la position de RUVUBU à bord d’un véhicule pour être exécuté clandestinement. " Il aura fallu des protestations de la presse et de l’opinion internationale pour que ce commandant soit, non pas arrêté et jugé conformément à la loi, mais simplement relevé de ses fonctions, juste pour calmer l’opinion, probablement en attendant la nomination à un poste juteux. Exécuter de façon extrajudiciaire et" clandestine" ses opposants présumés, voilà le style de Pierre Nkurunziza.

Crime contre la démocratie

L’article premier de la constitution stipule que „ Le Burundi est une République indépendante, souveraine, laïque, démocratique , unitaire et respectant sa diversité ethnique et religieuse. " Une république démocratique, cela suppose le respect du multipartisme et l’organisation d’élections libres, périodiques, justes et transparentes. En effet : " Dans tout Etat, l'autorité des pouvoirs publics ne peut être fondée que sur la volonté du peuple exprimée à la faveur d'élections sincères, libres et régulières, tenues périodiquement au suffrage universel, égal et secret. "

Or, malgré les multiples irrégularités constatées et dénoncées lors des dernières élections, aucune disposition n’est prise pour corriger et prévenir les manquements observés. La CENI a été dissoute, et aucune réflexion n’a été engagée pour expertiser les changements constitutionnels et légaux nécessaires à une démocratie plus apaisée. Le pays s’achemine probablement vers des élections bâclées, non préparées, et émaillées de mille et une incongruités. Préoccupé par sa campagne permanente, le chef de l’Etat reste sourd aux suggestions pertinentes en la matière. Ce refus de mettre en place des conditions électorales équitables est un crime grave contre la démocratie et une circonstance aggravante pour Pierre Nkurunziza.

Crime contre la paix

Aucune élection juste et libre n’est possible pendant la guerre ou sous la pression de bandes armées et d’escadrons de la mort. Or, le président Nkurunziza est jusqu’ici incapable de conclure des accords définitifs avec le FNL-PALIPEHUTU. L’évolution de ses prises de position est tellement inconstante que l’on est obligé de conclure à la mauvaise foi, pire, à la stratégie du pourrissement jusqu’aux prochaines échéances électorales. Entre temps, l’insécurité est le lot quotidien des Burundais.

Certains hommes du pouvoir entretiendraient des escadrons de la mort pour intimider et éliminer les adversaires. L’on se souvient à ce sujet de l’agression armée et synchronisée perpétrée contre certains députés de l’opposition la nuit du 19 au 20 août 2007, après que le journal du parti au pouvoir INTUMWA a désigné les députés de l’opposition à la vindicte populaire. Même si aucune enquête n’a abouti au sujet de cette attaque, l’on a appris de source digne de foi qu’il s’agissait d’un escadron envoyé par l’un des généraux proches de Nkurunziza… Non vraiment, Pierre Nkurunziza ne consacre pas toutes ses forces à la défense des intérêts supérieurs de la nation au premier rang desquels se trouvent indiscutablement la paix et la sécurité. Et bien plus :" Pour que la paix ait un sens pour la multitude des êtres humains qui n’ont connu jusqu’ici que la souffrance -en temps de paix comme en temps de guerre -, elle doit se traduire en pain et en riz, en habitat stable, en santé et en éducation ainsi qu’en dignité humaine et en liberté. " Toutes choses qui semblent être le dernier souci du président par défaut qu’est Pierre Nkurunziza.

Crimes économiques

Le président Nkurunziza est poursuivi par la clameur publique à cause de la corruption et des malversations économiques. Pendant longtemps on a jeté l’anathème sur l’ancien numéro un du parti au pouvoir, Hussein Radjabu. Il était présenté comme la tête de pont d’un réseau mafieux de corruption visant à drainer des commissions mal acquises vers les caisses du parti.

Le président Nkurunziza n’a jamais dénoncé ces pratiques. Pire, les responsabilités remontent toujours vers le palais présidentiel. Que ce soit dans la vente du Falcon 50 présidentiel au sujet de laquelle l’ex ministre des finances D. Ngowembona a déclaré avoir exécuté les ordres de ses supérieurs, ou dans le dossier Interpetrol, dans le circuit du pétrole nigérian, et de nombreux autres dossiers de corruption qui ont fait perdre au pays plusieurs milliards de francs, P. Nkurunziza se trouve d’une façon ou d’une autre en amont et en aval de pratiques contraires à la transparence et à l’éthique de la bonne gouvernance.

Au demeurant, quand le ministre Karenga Ramadhani déclara que le gouvernement aurait bien pu donner l’avion présidentiel gratuitement, le chef de l’Etat ne l’avait pas désavoué ! Pourtant l’article 69 de la constitution à laquelle il a juré fidélité dispose que :

" Les biens publics sont sacrés et inviolables. Chacun est tenu de les respecter scrupuleusement et de les protéger. Chaque Burundais a le devoir de défendre le patrimoine de la nation. Tout acte de sabotage, de vandalisme, de corruption, de détournement, de dilapidation, ou tout autre acte qui porte atteinte au bien public est réprimé dans les conditions prévues par la loi. "

Je crois les entendre répliquer en invoquant un vilain proverbe féodal : „ Reka sha ! Kiribwa indya ntikiribwa ivu !« ce qui peut se traduire familièrement ainsi : " Laisse-moi cela ! Le pays, on en mange la bouffe et non la terre."

La panthère est dans la maison.

On l’imagine, le système est sur le qui-vive. Son érosion permanente et ses rivalités internes le rendent agressif. Chaque potentat se crée un escadron de la mort pour ses basses besognes. C’est ainsi que l’opinion publique a été sidéré d’apprendre de la part du ministre de la défense et des anciens combattants que l’ex commandant de la 4ème région militaire n’avait pas été arrêté malgré ses crimes, parce qu’il avait à sa disposition un arsenal impressionnant et dissuasif ! Certains députés ne vont plus dans leur fief électoral car ils craignent d’être victimes d’attentats ciblés. Les principaux leaders de l’opposition seraient déjà sur une liste noire de gens à abattre. Pour se donner du crédit, le régime tente de ranimer les clichés ethniques. En vain car les gens savent que ce n’est ni un pouvoir hutu, ni un pouvoir tutsi, mais tout simplement un mauvais pouvoir.

Un proverbe rundi dit bien : " Umuntu atinya ingwe ntatinya iyamwinjiranye « : ce qui se traduit „ L’homme craint la panthère, mais il ne craint pas celle qui a déjà fait irruption dans sa maison". Cela veut dire qu’il n’a plus le droit de fuir, de se cacher, de chercher à se dérober. Il doit trouver le moyen de la mettre dehors avec le moins de dégâts possibles pour sa famille.

Conclusion

La démocratie burundaise doit avancer et se doter de bases solides. Or sur le chemin de ce noble idéal, Pierre Nkurunziza apparaît objectivement comme un obstacle dangereux. Le peuple burundais, qui a su se lever et consentir des sacrifices pour mettre fin au dictat de l’oligarchie, manquera-t-il de ressources pour se débarrasser de la nouvelle dictature représentée par Nkurunziza et son système ? La société civile a déjà manifesté son rejet du système Nkurunziza, par des grèves et des protestations. Les intellectuels ont également exprimé leur refus d’être gouvernés par un personnage corrompu, simulateur et peu crédible. La classe politique a manifesté son inconfort en bloquant temporairement le fonctionnement des institutions politiques. Tout cela est comme un appel lancé au parlement pour qu’il prenne ses responsabilités et signifie son congé à Nkurunziza, comme la constitution lui en donne le droit. Parjure, violation massive de la constitution, crimes contre l’humanité, crime contre la démocratie, crime contre la paix, crimes économiques, tous ces manquements sont des fautes graves, pire, c’est une haute trahison de la nation.

Nkurunziza doit partir.
 


i. John Locke, Deuxième Traité du gouvernement civil (1690)

ii. Jean Ziegler, L’empire de la honte, Fayard, nouvelle édition, 2007, p.31
iii. Anthologie des droits de l’Homme. Nouveaux Horizons .Textes établis par Walter Laqueur et Barry Rubin. (1979) Traduit de l’américain par Thierry Piélat, Paris, avril 2002, p.138.
iv.Elle est aussi rappelée à l’article 163, alinéa2v. C’est nous qui mettons en italique
vi. Déclaration sur les critères pour des élections libres et régulières, adoptée en 1994 par l’Union interparlementaire, §1.
vii.Texte de Ralph Bunch, (prix Nobel de la paix en 1950), gravé au sol de l’United Nations Plaza, à New York.
viii.Le congrès extraordinaire de Muyinga, tenu ce 26 janvier 2008 vient d’exclure du parti présidentiel, Alice Nzomukunda et Denise Sinankwa respectivement ex vice-présidente de l’assemblée nationale et ex ministre des finances
.