LE POUVOIR DU PRESIDENT NKURUNZIZA, EST-IL MAL PARTI?

Par Gratien Rukindikiza

 Burundi news, le 28 septembre 2005

Une question que beaucoup de burundais se posent à voix basse. Ai-je le droit de me la poser ouvertement ? Oui, car je garde ma liberté d’expression même si j’ai soutenu le CNDD-FDD dans la campagne électorale passée. Oui, j’ai soutenu ce parti pour un changement et j’ai le droit comme le peuple burundais à m’attendre à des changements. Je ne peux pas être comme un militant zélé, et d’ailleurs je n’ai jamais été membre de ce parti, qui ne voit rien quand son parti ou le pouvoir issu de son parti commet des erreurs.

Faut-il attendre avant de dénoncer ce qui ne va pas ? Faut-il faire comme les cadres du Frodebu qui ont dénoncé les erreurs du parti après un échec électoral ? Certains disent qu’il faut donner le temps au temps, d’autres disent que le pouvoir se corrige au départ et non à la fin du mandat.

Le faux départ a été surtout cette déclaration à l’investiture concernant la gratuité de l’enseignement primaire avant de se poser la question des conséquences. Aujourd’hui, cette promesse exige 36 milliards de francs bu, soit 36 millions de $US. Cette somme est énorme. Les enfants ne sont pas tous inscrits faute de places. Les fonctionnaires ne sont pas payés et il sera difficile d’embaucher 2 500 nouveaux enseignants au moment où l’Etat manque d’argent. Cette mesure a été prise dans la précipitation et il ressort que les conseillers du parti n’ont pas fait leur travail d’informer les chefs, au risque même de se faire critiquer. S’ils n’ont pas été écoutés, la suite leur a donné raison.

Le gouvernement risque de mettre toutes les rentrées d’argent dans cette promesse budgétivore ; ce qui va pénaliser les autres secteurs comme la santé et l’économie.

La religion est devenue le « nouveau salut burundais ». Jamais un Président de la République n’avait été aussi croyant et surtout ne l’avait autant affiché. Un Président qui affirme que la devise sera : «  Prier, travailler, travailler et prier ». Que fera celui qui ne croit pas en Dieu. Les athées ont le droit d’exister. Au Burundi, il y en a. Ils feront la moitié du programme de la devise. Un Président de la République peut être croyant ou pas mais ne doit pas l’afficher comme sa vie privée.  Ce n’est pas parce que le Président croit beaucoup qu’il doit rendre compte de ses activités aux églises. L’Etat burundais est laïc. Les religieux sont des acteurs socio-économiques comme les entrepreneurs, les associations etc… S’engager à rencontrer les religieux tous les lundi, un jour par semaine comme les conseils des ministres peut –être interprété comme un gouvernement parallèle des églises.

La religion peut-être à la base du bien comme du mal. Je ne peux pas discuter du spirituel ; mais quand il se mêle à l’Etat, il ne peut pas échapper à des critiques.

Au-delà d’une  discussion sur la place de la religion dans le pouvoir actuel, il y aura sans aucun doute un conflit de religion. Le conflit est déjà là car l’église catholique voit d’un mauvais œil un Président de la République protestant, très croyant et qui l’affiche. Elle craint une sorte de propagande pour le protestantisme. En cas de conflit avec l’Eglise catholique, la leçon sera donnée par l’ancien Président Bagaza qui en a fait les frais.

Certains faits divers ne rassurent pas ceux qui attendent un vrai changement. Ce cas de Ntawe qui a été emprisonné dans une tente à Gitega par le Président de la République par le fait qu’il n’avait pas payé ses employés 2 mois de salaires a défrayé la chronique. Le Président Nkurunziza, n’a-t-il pas agi vite ? Et pourtant, Ntawe a commis la même faute que le Président Nkurunziza lui-même. Les fonctionnaires n’ont pas été payés et le détenteur du pouvoir est Nkurunziza ; donc aussi coupable que Ntawe. Le Président Nkurunziza, coupable de ne pas avoir payé ses fonctionnaires, emprisonne le chef d’entreprise Ntawe, coupable de ne pas avoir payé des employés. En plus, le client de Ntawe est le Président Nkurunziza qui n’a pas payé les factures. Ntawe a construit une route pour le compte de l’Etat qui n’a pas voulu le payer. N’étant pas payé, il ne pouvait pas payer ses employés. Ntawe pouvait demander un découvert à la banque pour payer ses employés. Eventuellement que la banque ne pouvait pas accepter comme l’Etat n’a pas pris un découvert pour payer ses employés et ses fournisseurs.

Une mesure vient d’être prise. Toute personne accusée de détourner les fonds publics sera, en plus de la sanction judiciaire, publiée dans les journaux et son nom sera cité aussi à l’église. Qu’est ce qui va se passer si la police se trompe comme elle fait souvent en accusant un innocent ? Citer quelqu’un à l’église ou l’afficher dans les médias avec l’intention de nuire est contraire aux droits de l’homme.

Pour donner un exemple, je demande que le pouvoir laisse la société civile enquêter sur les ministres et les hauts cadres du CNDD-FDD sur d’éventuelles malversations déjà commises sous l’ancien régime de Ndayizeye et de les citer à l’église et dans les médias. Si le pouvoir accepte, il faudra qu’il analyse les conséquences et réfléchisse après sur l’opportunité de la décision.

L’omniprésence de l’église commence à inquiéter les burundais. Je pense que c’est une stratégie du départ qui sera vite rectifiée.

La seule punition judiciaire est suffisante. Aucune loi ne peut stipule une triple peine, judiciaire, médiatique et ecclésiastique.

Pourquoi les militants du CNDD-FDD sont-ils devenus muets ? Silence, on distribue les postes ! Je sais que plusieurs observent et ne veulent pas réagir avant la fin des affectations. Un bon militant ne fait pas qu’acclamer. Il a le rôle de conseiller, il doit surtout critiquer ce qui ne va pas. Le temps de « oui chef » est révolu. Si les militants ont peur de dire la vérité pour ne pas déplaire, le parti aura des problèmes à l’avenir. En l’absence des critiques internes au sein du parti et d’une opposition valable, le CNDD-FDD court le risque de se retrouver à la place des anciens grands partis burundais.

L’optimisme exige, le pouvoir de Nkurunziza n’est pas mal parti. Par ailleurs, la balle se trouve dans le camp gouvernemental et du parti CNDD-FDD. Certaines choses doivent être améliorées si on positive. Dire la vérité est aussi faire un clin d’œil pour un bon entendeur. Celui qui n’écoute pas les critiques n’est pas capable de se corriger non plus.