Burundi news, le 09/12/2009

Hommage à un grand mémorialiste Burundais

 Par Jean Marie Ngendahayo

 

Avec son livre « Le Burundi face à la Croix et à la Bannière . » Charles Baranyanka nous offre un livre-mémoire.

 

Quand on commence la lecture de cet ouvrage, le temps s’arrête ou plutôt un passé jusqu’ici mythique et mystérieux renaît de ses cendres et nous voyons les royaumes inter lacustres naître, certains prospérer et d’autres se fondre en des sociétés plus fortes et mieux organisées. Nous plongeons résolument au fin fond des secrets dynastiques, des pans des codes ésotériques du royaume du Burundi naissant et de celui du Rwanda en essor sont subrepticement levés pour laisser deviner une civilisation multiséculaire d’une finesse, d’une profondeur et d’une complexité jusqu’ici encore insuffisamment étudiées. Au fil des évènements et des époques, des proverbes nous sont expliqués, des expressions consacrées mises à nu et des poèmes épiques repris. Un éclairage  nouveau met en lumière ce qui a constitué la véritable colonne vertébrale de notre pays : un état de droit.

 

A travers les siècles, le royaume du Burundi et les royaumes voisins de la même région constituent une aire de civilisation irréductible à l’esclavage islamiste (transsaharien et transocéanique à l’Est du continent africain) qui remonte au 8ème siècle au moins et, plus récemment à l’esclavage  transatlantique du 15ème siècle à l’orée du 19ème[1]. La région des Grands Lacs Africains nous apparaît comme étant en fait la dernière région inviolée par les prédateurs du continent noir venus d’Asie, du Moyen-Orient d’abord puis d’Europe ensuite. Cette dernière invasion sera celle qui fera découvrir au Burundi « la croix et la bannière » en effet. C’est la seconde partie du livre de Charles Baranyanka qui, en toute subtilité, joue de nouveau avec son titre si parlant et le transforme en une expression évoquant « Karyenda » d’abord. Mais là, rien de nouveau, le mot se rapporte au symbole de la dynastie Ganwa, au pouvoir. Mais c’est le second membre du titre : (…) à l’ombre de la croix et de la bannière ».  L’expression perd de sa valeur symbolique pour redevenir objective, factuelle. Le pouvoir Ganwa est aux prises avec l’irruption du Christianisme d’une part et la domination de l’empire Allemand jusqu’au Traité de Versailles (1919) avant d’être sous Mandat belge d’autre part.

 

Nous voyons alors la lutte acharnée que mène un peuple pour sa souveraineté, pour sa dignité. Des figures historiques émergent de cette épopée : nous découvrons des rois preux et justes, des princes vils et cruels, des sujets loyaux et héroïques. Nous sommes stupéfaits de lire une hagiographie décomplexée du colon et du missionnaire quand ils apportent amitié, respect et réconfort. Une critique toute aussi franche de ceux qui furent veules et/ou méprisants. Charles Baranyanka se met en devoir de rappeler régulièrement ce qu’il doit à son père, Pierre Baranyanka. Son père, l’inspirateur de l’ouvrage, son père héros des temps anciens en ramenant un territoire entier usurpé par le voisin du Nord. Son père héros moderne qui a sauvé la plaine de la Rusizi en passe d’être annexée au voisin de l’Ouest. A travers cet éloge, le fils montre aussi combien il est difficile d’épouser la thèse officielle du dossier de l’assassinat du prince Rwagasore[2]. On subodore ce qui en a coûté à Charles Baranyanka de devoir, pour raison d’état sans doute, donner raison au procès de Bujumbura qui mena à l’échafaud ses deux frères et ses deux cousins et qui jeta son père en prison dans des conditions humiliantes. Près d’un demi siècle plus tard, courageusement et lucidement Charles Baranyanka a essayé de remettre les choses dans leur juste perspective. Il démontre que de conflit entre « Bezi et Batare » n’existait que dans les officines d’intoxication impérialistes de l’époque. Lui-même, fils de Pierre Baranyanka, Mutare par excellence, était un compagnon politique indéfectible de Rwagasore ! Des Bezi de lignée prestigieuse, comme Pierre Bigayimpunzi, faisaient partie du Front Commun. Mais c’est surtout le communiqué conjoint du 15 Juillet 1960 intitulé « Communiqué à la population du Burundi » signé par Louis Rwagasore et Joseph Biroli qui jette un véritable émoi à toute cette tragédie. Comment des hommes auraient-ils pu signer un tel texte imprégné de tant sagesse et de fraternité et s’entretuer treize mois plus tard ?

J’avoue que jusqu’ici j’avais été influencé par la thèse de Jules Chomé[3] dans cette affaire. Mais en y regardant de plus près et surtout en prenant le peine d’analyser certains documents qui nous parviennent aujourd’hui[4], on est en droit d’exiger une révision de ce procès tout au moins dans le cadre de la future Commission Vérité et Réconciliation que connaîtra tôt out tard notre pays. Si les familles princières aujourd’hui sont réconciliées, il reste à lever le contentieux belgo-burundais sur cette question. Et le mérite de Charles Baranyanka n’aura pas été moindre que de terminer son livre par ce douloureux chapitre national et familial dont les conséquences néfastes n’ont jamais été mesurées à leur juste valeur. Ce fut « la croix et la bannière » pour beaucoup d’entre nous…

 

Ce livre de mon oncle maternel, Charles Baranyanka, m’a ému au plus haut point. Parce qu’il fera référence désormais. Rien ne sera dit ou écrit sur notre culture sans s’en référer à un titre ou un autre. Sans doute y a-t-il des sujets à controverse et je suis le premier à ne pas du tout partager la critique excessive qu’il nous fait de la personnalité du roi Mwambutsa IV. Au sortir du Groupe Scolaire d’Astrida, mon père Aloys Ngendahayo, fit son stage de chef en province de Bururi aux côtés du roi. Il a toujours dit avoir rarement vu juge plus intègre et plus subtil que notre roi Rubangisha Rubangiricenge. D’autres sages, comme Valentin Bankumuhari[5], me diront combien il était déferrant à l’endroit des plus âgés que lui – il les saluait systématiquement par « Urazirikanye »[6] !- et à quel point il écoutait les points de vue opposés aux siens et en tenait compte dans ses conclusions délibératives au sein du Conseil du Mwami et plus tard au sein du Conseil du Pays. Je me serais aussi attendu, dans la première partie du livre, voir décrites les liens rituels, magiques et cosmogoniques qui nous liaient si intimement au royaume du Buha[7]. N’eût été les aléas du partage colonial de l’Afrique, le Buha serait aussi proche culturellement du Burundi que le Rwanda, sinon davantage… 

 

Comme on dit dans notre culture « Nta nyambo itagira agahonzi » (Nul n’est parfait !). Charles Baranyanka vient de publier un ouvrage remarquable qui redonne espoir à un peuple aujourd’hui meurtri et tiré à hue et à dia par des leaders qui ont peine à s’inscrire dans la tradition du Bushingantahe[8] et de Ingingo[9]. C’est l’auteur qui nous rappelle en page 60 que : « Ahari abagabo hagwa amata ntihagwa amaraso » ! ( Là où il y des Bashingantahe – Hommes d’honneur -  coule le lait et non le sang).

 

Merci Charles de nous redonner courage et fierté. Tu nous rappelles avec justesse et style ce que Paul Henri Spaak[10] a dit et qui nous interpelle tous : « Il n’est pas trop tard, mais il est temps ! »

 

Il est temps de renouer avec notre histoire, notre civilisation basée sur le culte du droit et de l’honneur.

 

Jean-Marie Ngendahayo

Texas, Etats-Unis d’Amérique

 

Décembre 2009

 

 


 

[1] Lire « Le Génocide Voilé . », Tidiane N’Diaye, Gallimard, 2008

[2] Il est jusqu’aujourd’hui « politiquement correct » de considérer le clan Baranyanka comme auteur de l’assassinat du prince Louis Rwagasore.

[3] In Remarques Africaines Nos 41-42-43-44 Du 14 Décembre 1962 : « L’Affaire Rwagasore », Jules Chomé. Il était l’avocat de la famille Rwagasore.

[4] Il est par exemple fort utile et intéressant de prendre connaissance d’une conférence publique donnée par Joseph Biroli en 1954 devant un parterre de hauts cadres coloniaux et où il prône sans ambages la fin de la colonisation !

[5] Je recommande son livre peu cité et pourtant très précieux sur la période dite de la « Tutelle » belge :  « Le Conseil Supérieur du Pays du Burundi » , Valentin Bankumuhari, Presses Lavigerie, Bujumbura, 1982.

[6] Forme des plus polies pour s’adresser à un plus âgé et plus important que soi en Kirundi.

[7] Le Professeur Emile Mworoha le décrit admirablement dans son ouvrage intitulé « Peuples et Rois de l’Afrique des Lacs : le Burundi et les Royaumes voisins du XIXè Siècle » Emile Mworoha, Dakar-Abidjan, NEA, 1977.

[8] Ce concept s’apparente aussi à celui de « UBUNTU » que nous partageons avec tant d’autres nations africaines. Il signifie, pour faire court, avoir le sens de l’honneur.

[9] C’est un concept qui se réfère au respect de la loi, de l’équité et de la vérité en toutes circonstances..

[10] Paul Henry Spaak (1899-1972) fut un grand homme d’état belge et il est considéré comme un des pères fondateurs de l’Europe