Burundi news, le 20/11/2008

La nostalgie de l’esclavage sévirait-elle au Burundi ?

 

        Par Léonidas NDORICIMPA

Quand j’ai lu, dans les actualités du site « Burundi Transparence » l’article du 17 octobre 2008 sur la rencontre de football entre les Intamba du Burundi et les Etalons du Burkina Faso, un énorme détail m’a sauté aux yeux et mon sang n’a fait qu’un tour ! Et pour cause .

Le détail en question se trouve dans le paragraphe suivant :

«  La veille du match Burundi-Burkina Faso, la communauté burkinabé a convié les Etalons à un cocktail à la 3, rue Rumaliza au quartier asiatique où se trouve la résidence du chef de mission d’Avocats sans frontières, Luther T.Yameogo. »

Rue RUMALIZA à Bujumbura ?! Avais-je la berlue ? Apparemment pas .

J’ai eu une réaction de colère indignée de citoyen d’une part, et d’ancien maire de Bujumbura d’autre part .

Certes la dite rue Rumaliza semble se trouver au quartier asiatique et le dit Rumaliza était arabe et asiatique .

Pour l’avoir fait, je sais que ce n’est pas une sinécure que de baptiser avec cohérence et harmonie les rues, avenues, boulevards, places et autres impasses dans une nouvelle agglomération.

Attribuer à une quelconque voie le nom d’un personnage est, à ma connaissance, reconnaître et magnifier les qualités et les valeurs de ce personnage hors du commun .

Rapportons-nous par exemple aux boulevards qui portent les noms dynastiques de nos monarques, aux avenues Louis Rwagasore, Pierre Ngendandumwe, Patrice Lumumba et cetera .

Eu égard aux défis divers et variés que le Burundi doit affronter de nos jours, d’aucuns pourraient voir dans ma réaction une espèce de combat d’arrière-garde, de goût pour des tracas subalternes, de nationalisme à fleur de peau , voire obtus. Que nenni.

Il se trouve que Mohammed  bin Khalfan dit Rumaliza était un célèbre leader esclavagiste basé à Ujiji d’où il partait pour multiplier ses postes fortifiés sur les rives congolaises et burundaises du Lac Tanganika entre 1884 et 1894. Il régnait sur une communauté de commerçants qui constituaient comme une nouvelle ethnie d’aristocrates swahili dits wangwana , c’est-à-dire « civilisés » par opposition à ce qu’ils appelaient dédaigneusement  « bashenzi », entendez par là « sauvages païens » .

C’est ce même Rumaliza qui, non satisfait de contrôler les plaines de l’Imbo, s’avisa de franchir la crête à l’est de l’Uzige ( à peu près l’actuelle Bujumbura) en 1886 pour conquérir le Burundi . Mal lui en prit en détruisant l’enclos royal de Buhoro .

En effet, faut-il le rappeler, le Mwami Mwezi Gisabo  infligea une cuisante défaite, à Kiyenzi, aux tirailleurs de Rumaliza qui renonça définitivement à ses rêves de conquête .

 Ainsi, comme pénétré des idées quarante huitardes de ses contemporains français abolitionnistes de 1848 , le Mwami Mwezi préservait les Barundi des affres de l’esclavage.

Il convient de souligner que longtemps après le règne du prestigieux monarque, quantité de résolutions et autres dispositions juridiques furent prises à l’encontre de l’esclavage dans notre pays et ailleurs dans le monde.

En ce qui concerne le Burundi, l’article 26 de la Constitution dispose que :

« Nul ne sera tenu en esclavage ou en servitude . L’esclavage et le trafic d’esclaves sont interdits sous toutes ses formes. »

Ailleurs dans le monde, signalons 3 exemples :   la Cour Pénale Internationale (17/7/1998), la promulgation en France de la loi Taubira ( 21/5/2001) ainsi que la Conférence Internationale de  Durban  contre le racisme .

Le statut de la Cour Pénale Internationale fait de la « réduction en esclavage » un crime qui relève de la compétence de cette juridiction .

Lors de la 3ième Conférence Mondiale contre le racisme organisée par l’UNESCO , du 2 au 9 septembre 2001 à Durban, certaines délégations ( il y en avait 170) ont exigé des excuses individuelles de la part de chaque Etat s’étant engagé dans l’esclavage, ainsi que la reconnaissance de celui-ci en tant que crime contre l’humanité , accompagnée de réparations.

 Quant à la loi Taubira , elle  précise , en son article premier : « La République française reconnaît que la traite négrière transatlantique ainsi que la traite de l’Océan Indien d’une part, et l’esclavage d’autre part, perpétré à partir du 15ième  siècle , aux Amériques et aux Caraibes , dans l’Océan Indien et en Europe contre les populations africaines , américaines, malgaches et indiennes constituent un crime contre l’humanité . »

Pour revenir au fameux cas d’espèce Rumaliza, celui-ci ne pourrait avoir à Bujumbura une  quelconque voie qui arbore son nom, fût-ce une impasse .

Si non ça serait , toutes proportions gardées, comme attribuer un boulevard à Adolphe Hitler à Jérusalem, une avenue Slobodan Milosevic à Srebrenica, une rue Vorster à Soweto ou une place Charles Taylor à Monrovia …

Cela étant, les programmes scolaires et les programmes de recherches en histoire ou autres  sciences humaines doivent accorder aux forfaits de notre aventurier omani la place conséquente qu’il mérite.

Pour venir à la rescousse des autorités municipales , je leur propose de débaptiser la rue Rumaliza pour la rebaptiser dignement rue de KIYENZI .

Ainsi le Burundi ne donnera plus l’impression de ramer à contre-courant de l’Histoire en tressant des couronnes à un individu que le sens commun doit vouer aux gémonies .

 

                                   Léonidas NDORICIMPA .