Analyse

La nouvelle stratégie africaine de la Suisse passera aussi par le Burundi

La Présidente de la Confédération Helvétique a donc entamé un périple africain qui l’amènera dès cette semaine vers une dizaine de pays dont le Sénégal, le Bénin, le Tchad et les pays du « noyau dur » (Burundi, RD Congo et Rwanda) de la région des Grands Lacs.

Mme Micheline Calmy Rey découvrira ici un contexte totalement nouveau, différent de celui que la Suisse avait connu lorsqu’elle considérait le Rwanda comme pays à forte concentration de son aide. On peut dire en effet que les logiques de guerres à répétition héritées de l’actualité de 1990 lorsque le FPR (Front patriotique rwandais) a ouvert les hostilités pour finalement prendre le pouvoir en juillet 1994, ont vu une évolution stratégique différente.

Même si les bruits de botte restent encore à craindre, si l’on regarde les mouvements de troupes qui s’opèrent encore dans l’est congolais ou les commentaires alarmistes qui jalonnent le piétinement des processus de paix, les va-t-en guerre de la région savent que le compromis pour la paix a gagné du terrain. La Présidente Suisse, pour laquelle le thème de la consolidation des processus en cours y trouvera un des meilleurs champs d’essais.

C’est le Burundi qui le premier a donné les premiers signaux dans cette nouvelle conjoncture. L’ancienne armée gouvernementale souvent tentée par des coups d’Etat semble tenir en respect son establishment à s’incliner devant l’autre logique, celle des urnes.

Le pays devient ainsi, timidement, presque à l’insu des faiseurs d’opinions, le nouveau point stratégique qui accueille les infrastructures de la reconstruction régionale. Il semble que cet emballement est commandé par l’ultime exigence de stabiliser l’est du sous continent congolais, d’où toutes les crises régionales majeures sont parties depuis les années Soumialot, jusqu’aux rebondissements pilotés par la famille Kabila.

Les stratèges rêvent donc évidemment de se doter d’une sorte de point de chute, et ce point semble être Bujumbura qu’un politologue belge appelle « Le Balcon du Congo ». La capitale burundaise est en effet désirable pour ses atouts uniques dans la région : un lac Tanganyika profond, de taille respectable, très poissonneux, avec des plages vierges d’une beauté rare, qui vous relient plus facilement à la très prisée Afrique australe. Elle est érigée sur un axe qui faisait rêver l’ancien premier ministre britannique Cecil Rhodes qui, au début du 20ème siècle, voulait relier Captown actuel (Afrique du Sud) au Caire (Egypte) dans le contexte de l’expansion de l’Europe occupante.

Bujumbura est aussi située presque à mi-chemin entre l’Atlantique et l’Océan Indien. Sa classe politique reste certes fragile, mais fort peu envahissante, sachant jouer quand c’est nécessaire le jeu du non alignement positif pour ménager les intérêts des puissants. 

C’est ici d’ailleurs que vient de s’installer le secrétariat de la Conférence internationale de Nairobi (fin 2006) dont la mission était d’imaginer une sorte de « Plan Marshall » pour les Grands Lacs africains. Le nouveau Secrétaire général de la CEPGL, la Communauté économique des pays des Grands Lacs, qui sort de plus de 15 ans de coma, est un élu burundais. La Banque centrale de la ZEP, cette fameuse zone économique préférentielle d’échange qui regroupe 16 pays d’Afrique centrale, orientale et australe est revenue à Bujumbura, après avoir déserté les lieux sous la pression des purifications ethniques sanglantes des années 1993-1996.

Mme Micheline Calmy Rey verra donc des expériences originales en cours d’expérimentation, comme le font les Nations Unies, qui ont créé pour la première fois un bureau dit « intégré », qui coiffe sous les auspices du Pnud, les missions onusiennes en prolongement de la mission d’imposition de la paix qui a pris fin le 31 décembre 2006, laissant la place au BINUB (Bureau intégré des Nations Unies au Burundi).

Quant à Berne, elle y a lancé dernièrement ce qu’elle nomme « Maison de la Suisse au Burundi », qui réunit un service politique (sécurité humaine), un service d’aide à la coopération et un autre s’occupant d’interventions humanitaires, avec mandat sur les pays voisins.

On chuchote que le Burundi devrait  rejoindre la liste des pays de la concentration de l’aide suisse. Après la suspension en 1989-1990 de la coopération bilatérale suisse suite aux massacres de Ntega Marangara, ce serait en fait le couronnement d’efforts de nouveaux rapprochements qui ont connu leur intensité à la veille des années 2000. Un professeur de l’Institut du fédéralisme de Fribourg a notamment co-présidé avec un sud africain une commission ayant rédigé à au moins 80%, l’accord de paix d’Arusha, qui a conduit la fin de la guerre au Burundi.

En 1996 déjà, Berne avait appuyé une action indépendante venue de la société civile, qui a organisé à Genève en présence de Burundais de toutes tendances, un atelier technique d’étude sur l’importance des réformes constitutionnelles dans la pacification de ce pays. Organisé par le Cirid (Centre indépendant de recherches et d’initiatives pour le dialogue) basé à Vernier en lien avec l’Institut ci-haut cité, cet atelier a été une première, qui fut suivie de plusieurs autres initiatives. Elles sont axées sur l’émergence d’une gouvernance démocratique décentralisée et d’une société civile active dans ce processus, qui est une des priorités pivots de la stratégie suisse en Afrique des Grands lacs.

Déo Hakizimana,

Président du Centre indépendant de recherches et d’initiatives pour le dialogue

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