INVITE: Prime Nyamoya Source : Iwacu -Burundi « L’Université de Ngozi, une
utopie devenue réalité ! »
Simple, ouvert et très accueillant, cet intellectuel de haut vol est né
à Kiryama en province de Bururi où son père « astridien » travaillait
comme assistant vétérinaire. Prime Nyamoya c’est un CV en béton. Les
humanités latin-mathématiques à l’Athénée Royal de Bujumbura. Un diplôme
de candidature en Sciences Commerciales au Burundi en octobre 1969. Une
licence en sciences économiques appliquées à l’Université Catholique de
Louvain.
Prime Nyamoya. Au fond de mon cœur, j’aurais souhaité faire des études littéraires ou d’histoire qui étaient mes branches de prédilection à l’école secondaire mais je sentais confusément que ma carrière n’aurait été nulle part. En quelque sorte, le choix de l’économie a été pour moi un mariage de raison et je ne regrette pas aujourd’hui cette décision d’il y a quarante ans. Iwacu : Quarante ans déjà. Quels souvenirs gardez-vous de cette époque ?
Prime Nyamoya
: Les années soixante et septante ont été magiques pour ma génération.
Juste après l’Indépendance en juillet 1962, il y avait beaucoup
d’optimisme et de joie de vivre que l’on a du mal à imaginer
aujourd’hui. Côté culture, Bujumbura était une ville vivante avec ses
cafés et boîtes de nuit où l’on jouait et dansait la grande musique
congolaise. Il y avait aussi la musique moderne que nous découvrions :
les Beatles, Rolling Stones, Santana, Jimmy Hendricks et tant d’autres
qui ont marqué cette époque. Iwacu : Et vous avez découvert l’Europe…
Prime Nyamoya : un monde
différent avec ses multiples richesses culturelles : le cinéma, le
théâtre, les bibliothèques,… J’ai commencé à comprendre la recherche
permanente du progrès en Occident, un legs du Siècle des Lumières, qui a
permis à l’Europe de dominer le monde, c’est-à-dire les autres. Iwacu : Quelles étaient les valeurs dominantes de la jeunesse à cette époque ?
Prime Nyamoya
: Comme tant de jeunes Africains d’hier et d’aujourd’hui : quête de la
connaissance, conscience de la liberté et avidité de saisir le monde,
pour reprendre la formule admirable de Jean Lacouture dans sa magistrale
étude Les Jésuites. Iwacu : vous avez connu aussi les Etats-Unis. Prime Nyamoya Plus tard, au milieu des années 1970, je suis allé poursuivre des études de 3ème cycle aux Etats Unis où j’ai découvert le Nouveau Monde avec ses propres valeurs morales marquées par le puritanisme protestant et sa grande diversité culturelle. Iwacu : Et en dehors des études,Prime Nyamoya : la découverte du Jazz fut pour moi, la révélation de toute une vie. Le Jazz, cette musique née de la douleur. Des morceaux comme Black and blue de Louis Amstrong ou So What de Miles Davis vous en disent long sur la condition du Noir en Amérique que tous les traités d’histoire ou de sociologie. C’est la force de l’art.
Iwacu : Aux Etats-Unis vous vous
êtes spécialisé dans quel domaine ? Prime Nyamoya : Ma spécialité concerne la macroéconomie qui englobe à la fois les aspects monétaires et les finances publiques. J’ai écrit de 1972 à ce jour plus de cinquante articles dont certains ont été publiés dans des revues professionnelles. Par un pur hasard, à l’Université de Boston, j’avais choisi de suivre un cours intitulé Economie et Entreprises Publiques. Plus tard, au Burundi, il m’a été d’une grande utilité parce que j’ai travaillé, à partir de 1981, sur l’ensemble du secteur public marchand, première étude de la Banque Mondiale sur le sujet. J’ai acquis par la suite une certaine expertise qui m’a permis de mener plusieurs missions au pays et à l’étranger en tant que consultant. Iwacu : Vous avez vécu plusieurs années à l’étranger, sur le plan strictement humain quel enseignement avez-vous tiré de toutes ces années loin du pays ? Prime Nyamoya : Lorsque je rentre des Etats-Unis début 1980, je venais de passer presque un tiers de ma vie à l’étranger, essentiellement en Europe et en Amérique. Et durant toute ma vie d’étudiant et plus tard dans ma carrière professionnelle, j’ai eu l’occasion de visiter plus de quarante pays sur les quatre continents. Forcément, au contact des civilisations et peuples divers, j’ai acquis graduellement les valeurs de tolérance et d’esprit d’ouverture au monde. Travailler quelques mois avec tous les peuples du monde au sein du siège des Nations Unies à New York en 1976 m’a permis d’atténuer fortement les préjugés que j’avais pu nourrir vis-à-vis des autres. Et c’est là où j’ai enfin compris le message que Senghor a transmis dans toute son œuvre et spécialement dans ses poèmes. Il avait finalement raison : l’avenir de l’Humanité se trouve dans le métissage. Et pas seulement culturel. Les Etats Unis, première puissance du monde, en est un exemple vivant. Mais il suffit également de se rendre à Nairobi ou Johannesburg pour se rendre compte que le monde est déjà devenu cosmopolite. Iwacu : Contrairement à plusieurs intellectuels de votre génération vous êtes resté en dehors de la politique. Pourquoi ? Prime Nyamoya : D’abord, je ne suis resté pas en dehors de la politique ni insensible au gouvernement de la cité, au sens originel grec de la Polis. Mon père, Albin Nyamoya, s’y était beaucoup impliqué depuis la création de l’Uprona du Prince Rwagasore en 1958 jusqu’à sa mort en janvier 2001. Tout au long de son parcours politique, je fus donc un témoin privilégié d’un pan de l’Histoire de ce pays. Et puis, ceux qui ont dirigé depuis la 1ère République à nos jours, appartiennent généralement à ma génération, certains sont même actuellement d’anciens étudiants. Tant qu’il était vivant, il m’était difficile de lui faire concurrence sur ce terrain. Il est aussi vrai que la politique politicienne de la plupart des dirigeants burundais a quelque chose de profondément choquant et rebutant pour un esprit idéaliste. En 45 ans d’histoire depuis l’indépendance, à part Rwagasore qui avait une véritable vision politique, on cherche en vain un autre leader qui lui arriverait à la cheville. C’est tout de même un triste constat. Peut-être que Melchior Ndadaye aurait pu devenir autre leader charismatique dont il avait la trempe mais sa mort prématuré ne le lui a pas permis de dévoiler son potentiel. Iwacu : Ndadaye a travaillé dans le milieu bancaire, l’avez-vous connu ?
Iwacu : Monsieur Prime Nyamoya, vous êtes habituellement discret, excusez-moi d’y revenir, mais depuis quelques jours votre nom est revenu dans la presse, à la suite de l’annonce de votre limogeage à la tête de la BCB, qui a été différemment interprété comment vivez-vous cela ?
Prime Nyamoya
: Croyez-moi, ce n’est pas de ma part un vain sentiment d’orgueil blessé
mais des propos désobligeants sur mon limogeage me laissent plutôt
indifférent parce que j’en sens l’inanité. C’est peut être au
détachement des choses dû à l’âge. Je préfère croire avec François
Mauriac que la vraie grandeur ignore les offenses des petits. L’objet de
ma mise à l’écart de la BCB, tient, d’après ce qui me parvient des
rumeurs de Bujumbura, à trois éléments : Iwacu : Est-ce que l’affaire est tranchée ?
Prime Nyamoya
: La lettre du Ministre des Finances informe le Président du Conseil
d’Administration que l’Etat a retiré sa confiance en M. Prime Nyamoya à
partir du 07 septembre. L’affaire sera donc tranchée définitivement au
prochain Conseil d’Administration qui aura lieu dans quelques semaines.
Iwacu : Au niveau de la gestion de la BCB qu’est-ce que l’on vous
reproche ?Prime Nyamoya : Rien ne m’est reproché au niveau de la gestion
financière de la BCB qui se porte plutôt bien, ni sur son management en
général. En tant qu’administrateur directeur général, je dirige la BCB
depuis janvier 2003. Sous le premier mandat, les bénéfices nets de la
Banque s’élevaient à 248 millions de francs burundais fin 2003 pour
atteindre à 2,5 milliards pour l’exercice 2006. On s’attend à fin 2007 à
un résultat proche de 3 milliards, soit une rentabilité sur fonds
propres qui dépasse le ratio de 35%, ce qui est plus que satisfaisant,
sans être exceptionnel pour les banques de cette taille.
Iwacu
: Certains analystes estiment que Prime Nyamoya s’est attaqué à « des
intérêts puissants et nuisibles », quel est votre commentaire ? Prime Nyamoya : Dans le domaine des affaires, l’éthique et la déontologie n’ont malheureusement pas toujours le dessus sur les pratiques contraires à la bonne gouvernance, comme on dit aujourd’hui. Surtout s’il s’agit effectivement des intérêts puissants et nuisibles à l’intérêt général. Peu de personnes s’en rendent compte ou pire, préfèrent s’en abstenir, ce qui est pour moi la plus grande forme de démission civique. J’en appelle donc au sens de responsabilités et de devoirs de la société civile burundaise qui mérite par ailleurs des encouragements dans ses efforts d’un monde meilleur pour la Polis. Iwacu : Un projet qui vous tient à cœur : l’Université de Ngozi .Vous êtes parmi les têtes pensantes de cette institution. Vous souhaitez faire découvrir ce projet à la diaspora burundaise… Prime Nyamoya : Oui, car l’Université de Ngozi, première institution privée d’enseignement supérieur, a été créée en 1999 comme un défi et une grande ambition face à la pauvreté extrême du Burundi, initiative prise dans un contexte de guerre civile. C’était à l’époque une utopie, synonyme d’une idée irréalisable. Mais les résultats sont là pour prouver que les promoteurs de l’UNG avaient eu raison de poursuivre ce projet qui démontre, malgré les problèmes financiers, que les magnifiques ambitions font faire les grands choses, comme le dit si bien Victor Hugo. Iwacu : Mais le Burundi est un pays pauvre. L’université de Ngozi est une institution privée. Comment faites-vous pour qu’elle soit à la portée des plus modestes ? Concrètement un fils de paysan d’une zone pauvre de Ngozi peut-il entrer à l’université ? Prime Nyamoya La plupart des étudiants sont d’origine fort modeste mais parviennent cependant à entreprendre des études universitaires, grâce à l’appui des parents essentiellement, et aux bourses pour les plus démunis. Avec des frais de scolarité de l’ordre de 200.000 francs, soit à peine l’équivalent de 200 dollars, l’UNG arrive à peine à couvrir un tiers de son budget. Il faut en plus un supplément non négligeable pour la vie d’étudiant de tous les jours. C’est pour cette raison que l’UNG a lancé l’initiative d’une soirée Fund Raising samedi le 25 août 2007 au cours de laquelle plus de 20 millions de nos francs ont été recueillis en moins de deux heures. Les fonds serviront à payer les arriérés des honoraires des professeurs visiteurs, spécialement en Faculté de Médecine ainsi que les redevances pour les frais de stage. Iwacu : Et qu’est-ce qui a changé pour Ngozi ?
Prime Nyamoya : Mais la création
de l’UNG a complètement transformé la ville de Ngozi à cause
d’importants investissements immobiliers effectués par le secteur privé.
Et l’effet multiplicateur continue à se faire sentir notamment au niveau
du secteur moderne des services, dans une région essentiellement rurale.
Le parc hôtelier de Ngozi est actuellement le plus important après celui
de Bujumbura, la capitale, avec plus de 300 chambres. Iwacu : Beaucoup se plaignent de la baisse du niveau de nos étudiants, est-ce que l’université de Ngozi échappe à la critique ?
Prime Nyamoya
: La baisse du niveau général des étudiants au Burundi est un phénomène
déjà ancien dont les causes sont suffisamment connues pour les
identifier toutes dans cette interview. On peut mentionner cependant la
généralisation de l’enseignement secondaire et universitaire. On ne peut
pas le regretter en soi : il vaut mieux une personne formée, même
imparfaitement, que celle qui n’a jamais mis les pieds à l’école. Il est
vrai que l’enseignement d’élite que notre génération a connu il y a
30-40 ans ne pouvait pas survivre à la démocratisation et à la poussée
d’une demande élevée des parents pour la formation de leurs enfants. Ce
qui est somme toute légitime. Iwacu : Que devrait faire l’Etat ? Prime Nyamoya : L’Etat doit intervenir pour imposer des normes minima aux universités privées, pour éviter qu’il y ait un marché de dupes pour les étudiants floués par un enseignement au rabais. Mais nous allons revenir à la question plus loin.Iwacu : Il y a plusieurs universités privées actuellement au Burundi, vous êtes économiste, est-ce que vous pensez que c’est vraiment profitable pour le pays de sortir chaque année des universitaires qui viennent gonfler la masse de chômeurs ? Voyez par exemple tous ces « licenciés en communication » qui sortent des différentes universités alors que les débouchés sont trop peu nombreux. Est-ce qu’il ne faudrait pas plutôt investir dans les formations techniques style ITAB, ETS, ITS, etc.Prime Nyamoya : Il ne faut pas regretter qu’il y ait plusieurs universités privées. Elles répondent à une demande énorme émanant des lauréats d’enseignement secondaire classique, auquel se sont ajoutés ceux des lycées communaux. C’est vrai que l’on observe une situation chaotique mais le marché du travail, va faire le tri des universités performantes et moins performantes. Le phénomène des universités qui viennent gonfler la masse des chômeurs est assez connu en Afrique et suffisamment inquiétant. Iwacu : A l’université de Ngozi comment conciliez-vous formation et débouché ? Prime Nyamoya : Le département Informatique connaît un franc succès sur le marché du travail dans la région des Grands Lacs et les lauréats n’ont pas grand mal à trouver des emplois. Ceci démontre que si l’on cible bien le marché et que l’on offre en même temps une formation exigeante et de qualité, le problème des débouchés ne se pose plus. Toute la question est évidemment de savoir comment réunir ces deux conditions.
Iwacu : Bientôt la première
promotion de médecins sortie de l’université de Ngozi !
Prime Nyamoya
: Oui et nous en sommes très heureux ! L’an prochain, la Faculté de
Médecine va sortir ses premiers lauréats et nul doute qu’ils vont
répondre à une demande énorme actuellement non satisfaite. Permettez-moi
de profiter de cette occasion qui m’est donnée pour saluer l’initiative
lancée par une association franco-burundaise en France présidée par le
Dr Déo Rugemintwaza. Elle vient de collecter des dons pour financer
l’envoi d’une vingtaine de professeurs visiteurs depuis juillet dernier.
Je formule le vœu que son exemple soit suivi par d’autres initiatives du
genre. Iwacu : Aujourd’hui vous lancez un appel à la diaspora burundaise pour qu’elle soutienne l’université de Ngozi. Comment peut-elle aider ?
Prime Nyamoya : samedi le 25 août
2007, dans le grand amphithéâtre de l’UNG à Ngozi, les organisateurs ont
pu récolter plus de 20 millions. Cette expérience nous a donc convaincus
qu’il fallait nous adresser à la diaspora burundaise par Internet, via
votre site. Je reste convaincu que l’UNG y trouvera certainement un écho
favorable en mobilisant des ressources financières non négligeables. Iwacu: Sans vous offenser, la diaspora peut se poser des questions sur la gestion des fonds qui seraient récoltés au profit de l’université de Ngozi ? Prime Nyamoya : Je suis un adepte de la transparence et je dois rassurer tout de suite la diaspora burundaise que les fonds seront gérés directement par Mgr Stanislas Kaburungu, longtemps évêque de Ngozi et actuellement recteur et président du Conseil d’Administration, et moi-même en tant que vice-président. L’utilisation de ces fonds sera déterminée par les membres du Conseil à qui nous ferons régulièrement rapport sur la base d’un audit externe. En outre, nous communiquerons régulièrement la situation financière à nos bienfaiteurs par Internet pour les tenir au courant de la destination de leur argent donné à l’UNG. Iwacu : Vous seriez intéressé par des dons matériels ? Prime Nyamoya : Nous accueillons avec gratitude les dons en espèces ainsi que les dons en nature. Même du matériel d’occasion nous intéresse ! Tout ce qui peut servir à l’UNG et à ses étudiants sera le bienvenu : ordinateurs, équipements didactiques et fournitures de bureau, et même des véhicules, mais seulement pour les marques représentées au Burundi à cause des problèmes de maintenance et de disponibilité des pièces de rechange. Nous remercions par avance la diaspora burundaise pour son rôle d’ambassadeur pour les jumelages et partenariats avec d’autres établissements d’enseignement supérieur qu’elle pourra initier au nom de l’UNG. Iwacu : Et les compatriotes qualifiés qui souhaiteraient venir enseigner bénévolement, vous pouvez par exemple leur assurer un minimum de commodité, le logement par exemple ? Prime Nyamoya : Nous exhortons les Burundais de la diaspora à suivre l’exemple des médecins franco-burundais qui ont déjà commencé à donner des enseignements à l’UNG. Les autres facultés : de Droit et des Sciences Economiques, des Lettres et Sciences Humaines, et des Sciences, ont d’immenses besoins en professeurs et chercheurs. Malgré la modicité de ses moyens, UNG s’engagerait à assurer le logement et un perdiem pour couvrir les frais locaux, étant entendu que le coût de transport international et les honoraires seraient pris en charge par les volontaires eux-mêmes et/ou les associations. Iwacu : Comment voyez vous l’université de Ngozi dans dix ans ?
Prime Nyamoya
: Pour reprendre à mon compte une expression célèbre, par tempérament,
je crois plus à l’optimisme de la volonté qu’au pessimisme de la raison.
Le Burundi, je l’espère, va résolument tourner la page des heures les
plus sombres de son Histoire des dernières années. Les citoyens aspirent
à l’amélioration de leur niveau de vie, parmi les plus bas au monde,
alors que le Burundi ne manque point d’atouts pour leur offrir mieux.En
octobre 2001, le Financial Times Guide avait consacré à la ville de
Ngozi un article spécial intitulé : Economic Experiment Thrives Amid
African Conflict. Le journaliste y décrivait en termes élogieux comment
la création de l’Université de Ngozi et d’autres réalisations, alors que
le pays était en pleine en guerre civile, avaient contribué à ramener la
paix dans cette province : In the small town of Ngozi, in Burundi,
capitalism is creating an oasis of calm while ethnic war continues all
around. Je lui avais confié ma conviction au cours de l’ interview : “It
is not simply a coincidence : there is a correlation between responsible
business practices, and political stability and security. Ngozi shows
how private initiative, based on a common goal, can achieve peace in
conflict zones”. J’en reste toujours convaincu. |