INVITE: Prime Nyamoya

Source : Iwacu -Burundi

« L’Université de Ngozi, une utopie devenue réalité ! »
 

Simple, ouvert et très accueillant, cet intellectuel de haut vol est né à Kiryama en province de Bururi où son père « astridien » travaillait comme assistant vétérinaire. Prime Nyamoya c’est un CV en béton. Les humanités latin-mathématiques à l’Athénée Royal de Bujumbura. Un diplôme de candidature en Sciences Commerciales au Burundi en octobre 1969. Une licence en sciences économiques appliquées à l’Université Catholique de Louvain.
A partir de 1972, il entame une carrière universitaire essentiellement à l’Université du Burundi comme enseignant à la Faculté des Sciences Economiques et Administratives. Il devient doyen de Faculté de 1983 à 1986, période pendant laquelle de nombreux contacts professionnels ont été noués avec les autres universités et organismes internationaux : Communauté Européenne, Banque Mondiale, CNUCED, ONUDI, principalement. Il va co-gérer à la fois les assistances techniques et financières de Suisse et du PNUD avec une vingtaine de professeurs étrangers.
En 1987, il devient Secrétaire Général de la Chambre de Commerce et l’Industrie du Burundi, une Chambre restructurée entièrement avec environ 5000 membres, répartis sur tout le pays. Durant cette période, il effectue de nombreuses missions à l’étranger, dans le cadre des activités de l’Association des Chambres de Commerce franco-africaines et du COMESA notamment. Un contrat d’assistance technique est signé avec le Centre du Commerce International (CCI) à Genève et des contacts ponctuels sont noués avec les organismes dépendant du système des Nations Unies (PNUD, CNUCED, ONUDI,…), la Banque Mondiale (Société Financière Internationale, Africa Project Development Facility,…), des institutions créées dans le cadre du Common Market for Eastern and Southern Africa (COMESA), de la Communauté Européenne, directement ou à travers la Délégation à Bujumbura ainsi qu’avec les coopérations bilatérales.
De 1989-1992, la CCI-Burundi est étroitement associée à la formation des politiques macroéconomiques, notamment dans le cadre des politiques d’ajustement structurel mis en place par la Banque Mondiale et le Fonds Monétaire International. C’est dans ce cadre, que la Chambre va recevoir en 1989 mandat de superviser un projet de 5 millions de dollars américains pour l’appui au secteur privé, en partenariat avec les banques commerciales de la place.
A partir du mois d’avril 1992 à juin 2002, il travaille comme directeur général de la société de consulting, Organisation et Gestion Industrielles, OGI en sigle, sa propre société de services. Dans ce cadre, il fait des centaines de missions au Burundi ou à l’étranger dans les domaines de l’audit financier, du conseil juridique et des études économiques. En janvier 2003, ce riche parcours est couronné par la nomination au poste d’administrateur directeur général de la prestigieuse BCB.
Passant sans cesse de la théorie en tant qu’enseignant et chercheur, à la pratique, comme consultant et gestionnaire d’une grande institution bancaire actuellement, Prime Nyamoya est considéré comme un des meilleurs économistes du pays. A 59 ans, ce père de six enfants, à l’aise avec les grands et les plus humbles, se laisse facilement aborder.


Iwacu : Alors, vous avez toujours voulu être économiste !

Prime Nyamoya. Au fond de mon cœur, j’aurais souhaité faire des études littéraires ou d’histoire qui étaient mes branches de prédilection à l’école secondaire mais je sentais confusément que ma carrière n’aurait été nulle part. En quelque sorte, le choix de l’économie a été pour moi un mariage de raison et je ne regrette pas aujourd’hui cette décision d’il y a quarante ans.

Iwacu : Quarante ans déjà. Quels souvenirs gardez-vous de cette époque ?

Prime Nyamoya : Les années soixante et septante ont été magiques pour ma génération. Juste après l’Indépendance en juillet 1962, il y avait beaucoup d’optimisme et de joie de vivre que l’on a du mal à imaginer aujourd’hui. Côté culture, Bujumbura était une ville vivante avec ses cafés et boîtes de nuit où l’on jouait et dansait la grande musique congolaise. Il y avait aussi la musique moderne que nous découvrions : les Beatles, Rolling Stones, Santana, Jimmy Hendricks et tant d’autres qui ont marqué cette époque.
C’est d’ailleurs l’écrivain V.S.Naipul, prix Nobel de Littérature, dans son livre célèbre A Bend in the River, « A la Courbe du Fleuve », situé à Kisangani qui fait dire à un de ses personnages : « We must go there, patron… They tell me that in Bujumbura it is like a little Paris ». Bujumbura était en quelque sorte la version miniaturisée de Paris de l’Afrique des Grands Lacs.

Iwacu : Et vous avez découvert l’Europe…

Prime Nyamoya : un monde différent avec ses multiples richesses culturelles : le cinéma, le théâtre, les bibliothèques,… J’ai commencé à comprendre la recherche permanente du progrès en Occident, un legs du Siècle des Lumières, qui a permis à l’Europe de dominer le monde, c’est-à-dire les autres.
Aujourd’hui on observe que ces valeurs incarnées par l’Occident ont été reprises à leur compte par d’autres nations dites émergentes, avec le succès économique que l’on sait. Peut-être un jour, l’Afrique Noire aussi. Il est permis de rêver.

Iwacu : Quelles étaient les valeurs dominantes de la jeunesse à cette époque ?

Prime Nyamoya : Comme tant de jeunes Africains d’hier et d’aujourd’hui : quête de la connaissance, conscience de la liberté et avidité de saisir le monde, pour reprendre la formule admirable de Jean Lacouture dans sa magistrale étude Les Jésuites.
On peut affirmer sans ambages que les valeurs dominantes de notre jeunesse étaient indiscutablement l’altruisme et la foi en l’avenir. La pensée marxiste qui a imprégné cette époque y était certainement pour quelque chose.

Iwacu : vous avez connu aussi les Etats-Unis.

Prime Nyamoya Plus tard, au milieu des années 1970, je suis allé poursuivre des études de 3ème cycle aux Etats Unis où j’ai découvert le Nouveau Monde avec ses propres valeurs morales marquées par le puritanisme protestant et sa grande diversité culturelle. Iwacu : Et en dehors des études,Prime Nyamoya : la découverte du Jazz fut pour moi, la révélation de toute une vie. Le Jazz, cette musique née de la douleur. Des morceaux comme Black and blue de Louis Amstrong ou So What de Miles Davis vous en disent long sur la condition du Noir en Amérique que tous les traités d’histoire ou de sociologie. C’est la force de l’art.

Iwacu : Aux Etats-Unis vous vous êtes spécialisé dans quel domaine ?
 

Prime Nyamoya : Ma spécialité concerne la macroéconomie qui englobe à la fois les aspects monétaires et les finances publiques. J’ai écrit de 1972 à ce jour plus de cinquante articles dont certains ont été publiés dans des revues professionnelles. Par un pur hasard, à l’Université de Boston, j’avais choisi de suivre un cours intitulé Economie et Entreprises Publiques. Plus tard, au Burundi, il m’a été d’une grande utilité parce que j’ai travaillé, à partir de 1981, sur l’ensemble du secteur public marchand, première étude de la Banque Mondiale sur le sujet. J’ai acquis par la suite une certaine expertise qui m’a permis de mener plusieurs missions au pays et à l’étranger en tant que consultant.

Iwacu : Vous avez vécu plusieurs années à l’étranger, sur le plan strictement humain quel enseignement avez-vous tiré de toutes ces années loin du pays ?

Prime Nyamoya : Lorsque je rentre des Etats-Unis début 1980, je venais de passer presque un tiers de ma vie à l’étranger, essentiellement en Europe et en Amérique. Et durant toute ma vie d’étudiant et plus tard dans ma carrière professionnelle, j’ai eu l’occasion de visiter plus de quarante pays sur les quatre continents. Forcément, au contact des civilisations et peuples divers, j’ai acquis graduellement les valeurs de tolérance et d’esprit d’ouverture au monde. Travailler quelques mois avec tous les peuples du monde au sein du siège des Nations Unies à New York en 1976 m’a permis d’atténuer fortement les préjugés que j’avais pu nourrir vis-à-vis des autres. Et c’est là où j’ai enfin compris le message que Senghor a transmis dans toute son œuvre et spécialement dans ses poèmes. Il avait finalement raison : l’avenir de l’Humanité se trouve dans le métissage. Et pas seulement culturel. Les Etats Unis, première puissance du monde, en est un exemple vivant. Mais il suffit également de se rendre à Nairobi ou Johannesburg pour se rendre compte que le monde est déjà devenu cosmopolite.

Iwacu : Contrairement à plusieurs intellectuels de votre génération vous êtes resté en dehors de la politique. Pourquoi ?

Prime Nyamoya : D’abord, je ne suis resté pas en dehors de la politique ni insensible au gouvernement de la cité, au sens originel grec de la Polis. Mon père, Albin Nyamoya, s’y était beaucoup impliqué depuis la création de l’Uprona du Prince Rwagasore en 1958 jusqu’à sa mort en janvier 2001. Tout au long de son parcours politique, je fus donc un témoin privilégié d’un pan de l’Histoire de ce pays. Et puis, ceux qui ont dirigé depuis la 1ère République à nos jours, appartiennent généralement à ma génération, certains sont même actuellement d’anciens étudiants. Tant qu’il était vivant, il m’était difficile de lui faire concurrence sur ce terrain. Il est aussi vrai que la politique politicienne de la plupart des dirigeants burundais a quelque chose de profondément choquant et rebutant pour un esprit idéaliste. En 45 ans d’histoire depuis l’indépendance, à part Rwagasore qui avait une véritable vision politique, on cherche en vain un autre leader qui lui arriverait à la cheville. C’est tout de même un triste constat. Peut-être que Melchior Ndadaye aurait pu devenir autre leader charismatique dont il avait la trempe mais sa mort prématuré ne le lui a pas permis de dévoiler son potentiel.

Iwacu : Ndadaye a travaillé dans le milieu bancaire, l’avez-vous connu ?


Prime Nyamoya Pour la petite histoire, il a failli être mon collaborateur direct à la Chambre de Commerce et d’Industrie en avril 1989 mais il avait préféré rejoindre la Meridien Bank où il avait été également sollicité. Nous avons continué cependant à échanger de temps à autre des idées sur l’économie, domaine qui le fascinait beaucoup, contrairement à la grande majorité de classe politique et de l’élite intellectuelle burundaise, qui manquent singulièrement de culture économique dans ce monde de la globalisation.

Iwacu : vous attendez donc votre heure pour entrer en politique ?

Prime Nyamoya : Dans quelques années, je terminerai ma vie professionnelle active et à ce moment la politique me tentera sans doute, s’il y a un parti capable de transcender les clivages ethniques et régionaux qui ont empoisonné la vie politique de ce pays. Qui visera plutôt un grand dessein, comme disait jadis De Gaulle. Une grande ambition pour le développement de cette nation d’une grande et vieille culture, longtemps meurtrie et martyrisée par ses propres enfants.

Iwacu : Monsieur Prime Nyamoya, vous êtes habituellement discret, excusez-moi d’y revenir, mais depuis quelques jours votre nom est revenu dans la presse, à la suite de l’annonce de votre limogeage à la tête de la BCB, qui a été différemment interprété comment vivez-vous cela ?

Prime Nyamoya : Croyez-moi, ce n’est pas de ma part un vain sentiment d’orgueil blessé mais des propos désobligeants sur mon limogeage me laissent plutôt indifférent parce que j’en sens l’inanité. C’est peut être au détachement des choses dû à l’âge. Je préfère croire avec François Mauriac que la vraie grandeur ignore les offenses des petits. L’objet de ma mise à l’écart de la BCB, tient, d’après ce qui me parvient des rumeurs de Bujumbura, à trois éléments :
• le cautionnement donné par la BCB dans l’affaire Interpétrol d’un montant de 6 milliards, réclamé par le ministère des Finances. Or, d’après la loi, la caution ne peut être libérée que contre un jugement en bonne et due forme. Effectivement, le montant ne peut être exigible par le Parquet Général de la République que sur présentation d’un jugement coulée en force de chose jugée, comme disent les spécialistes du Droit. Ce qui n’est toujours pas le cas à ce jour ;
• la cession des 55% des actions Belgolaise déjà finalisée dans une convention exclusive depuis deux ans avec les futurs repreneurs. Or, le gouvernement insistait auprès du vendeur que 15% des actions soit cédée « aux intérêts burundais locaux » non encore identifiés. L’argument du vendeur est que les futurs repreneurs n’avaient pas l’intention d’acquérir une part minoritaire dans la BCB qui ne leur permet aucune marge de manœuvre au niveau de la gestion quotidienne, notamment de la nomination des administrateurs, y compris naturellement celle du directeur général ;
• le gouvernement avait voulu exiger, avec ses 10% du capital social, - 45% si l’on y inclut les actions détenues par les entreprises publiques, qui sont entrain par ailleurs d’être vendues dans le cadre de la politique de privatisation ( BCC, OCIBU notamment)-, que son représentant assure la Présidence du Conseil, en plus du poste d’administrateur directeur général. Les actionnaires majoritaires n’ont évidemment pas accédé à sa demande, pointant du doigt une concentration de pouvoir sans justification juridique, au sens du Code de Commerce de 1996.

Iwacu : Est-ce que l’affaire est tranchée ?

Prime Nyamoya : La lettre du Ministre des Finances informe le Président du Conseil d’Administration que l’Etat a retiré sa confiance en M. Prime Nyamoya à partir du 07 septembre. L’affaire sera donc tranchée définitivement au prochain Conseil d’Administration qui aura lieu dans quelques semaines. Iwacu : Au niveau de la gestion de la BCB qu’est-ce que l’on vous reproche ?Prime Nyamoya : Rien ne m’est reproché au niveau de la gestion financière de la BCB qui se porte plutôt bien, ni sur son management en général. En tant qu’administrateur directeur général, je dirige la BCB depuis janvier 2003. Sous le premier mandat, les bénéfices nets de la Banque s’élevaient à 248 millions de francs burundais fin 2003 pour atteindre à 2,5 milliards pour l’exercice 2006. On s’attend à fin 2007 à un résultat proche de 3 milliards, soit une rentabilité sur fonds propres qui dépasse le ratio de 35%, ce qui est plus que satisfaisant, sans être exceptionnel pour les banques de cette taille.

Iwacu : Vous comprenez les raisons de ce limogeage annoncé avec un bilan aussi positif?
Prime Nyamoya :Le grief que certains hommes du pouvoir me font est que je n’aurais pas joué loyalement leur jeu qui aurait consisté pour moi à adopter sans nuance ni analyse critique leur position pour le moins équivoque, comme un vrai militant de parti. Ce que je ne suis pas aujourd’hui, ni ne serai demain. Pour n’importe quel parti. D’abord et avant tout, je suis un gestionnaire et un manager.

Iwacu : Certains analystes estiment que Prime Nyamoya s’est attaqué à « des intérêts puissants et nuisibles », quel est votre commentaire ?
 

Prime Nyamoya : Dans le domaine des affaires, l’éthique et la déontologie n’ont malheureusement pas toujours le dessus sur les pratiques contraires à la bonne gouvernance, comme on dit aujourd’hui. Surtout s’il s’agit effectivement des intérêts puissants et nuisibles à l’intérêt général. Peu de personnes s’en rendent compte ou pire, préfèrent s’en abstenir, ce qui est pour moi la plus grande forme de démission civique. J’en appelle donc au sens de responsabilités et de devoirs de la société civile burundaise qui mérite par ailleurs des encouragements dans ses efforts d’un monde meilleur pour la Polis.

Iwacu : Un projet qui vous tient à cœur : l’Université de Ngozi .Vous êtes parmi les têtes pensantes de cette institution. Vous souhaitez faire découvrir ce projet à la diaspora burundaise…

Prime Nyamoya : Oui, car l’Université de Ngozi, première institution privée d’enseignement supérieur, a été créée en 1999 comme un défi et une grande ambition face à la pauvreté extrême du Burundi, initiative prise dans un contexte de guerre civile. C’était à l’époque une utopie, synonyme d’une idée irréalisable. Mais les résultats sont là pour prouver que les promoteurs de l’UNG avaient eu raison de poursuivre ce projet qui démontre, malgré les problèmes financiers, que les magnifiques ambitions font faire les grands choses, comme le dit si bien Victor Hugo.

Iwacu : Mais le Burundi est un pays pauvre. L’université de Ngozi est une institution privée. Comment faites-vous pour qu’elle soit à la portée des plus modestes ? Concrètement un fils de paysan d’une zone pauvre de Ngozi peut-il entrer à l’université ?

Prime Nyamoya La plupart des étudiants sont d’origine fort modeste mais parviennent cependant à entreprendre des études universitaires, grâce à l’appui des parents essentiellement, et aux bourses pour les plus démunis. Avec des frais de scolarité de l’ordre de 200.000 francs, soit à peine l’équivalent de 200 dollars, l’UNG arrive à peine à couvrir un tiers de son budget. Il faut en plus un supplément non négligeable pour la vie d’étudiant de tous les jours. C’est pour cette raison que l’UNG a lancé l’initiative d’une soirée Fund Raising samedi le 25 août 2007 au cours de laquelle plus de 20 millions de nos francs ont été recueillis en moins de deux heures. Les fonds serviront à payer les arriérés des honoraires des professeurs visiteurs, spécialement en Faculté de Médecine ainsi que les redevances pour les frais de stage.

Iwacu : Et qu’est-ce qui a changé pour Ngozi ?

Prime Nyamoya : Mais la création de l’UNG a complètement transformé la ville de Ngozi à cause d’importants investissements immobiliers effectués par le secteur privé. Et l’effet multiplicateur continue à se faire sentir notamment au niveau du secteur moderne des services, dans une région essentiellement rurale. Le parc hôtelier de Ngozi est actuellement le plus important après celui de Bujumbura, la capitale, avec plus de 300 chambres.
 

Iwacu : Beaucoup se plaignent de la baisse du niveau de nos étudiants, est-ce que l’université de Ngozi échappe à la critique ?

Prime Nyamoya : La baisse du niveau général des étudiants au Burundi est un phénomène déjà ancien dont les causes sont suffisamment connues pour les identifier toutes dans cette interview. On peut mentionner cependant la généralisation de l’enseignement secondaire et universitaire. On ne peut pas le regretter en soi : il vaut mieux une personne formée, même imparfaitement, que celle qui n’a jamais mis les pieds à l’école. Il est vrai que l’enseignement d’élite que notre génération a connu il y a 30-40 ans ne pouvait pas survivre à la démocratisation et à la poussée d’une demande élevée des parents pour la formation de leurs enfants. Ce qui est somme toute légitime.
On peut cependant espérer qu’avec le temps, le niveau va graduellement se relever à cause de la concurrence au niveau marché de travail dans lequel les entreprises vont impitoyablement recruter les meilleurs éléments. Ceci obligera tous les établissements d’enseignement à améliorer leurs méthodes.

Iwacu : Que devrait faire l’Etat ?

Prime Nyamoya : L’Etat doit intervenir pour imposer des normes minima aux universités privées, pour éviter qu’il y ait un marché de dupes pour les étudiants floués par un enseignement au rabais. Mais nous allons revenir à la question plus loin.Iwacu : Il y a plusieurs universités privées actuellement au Burundi, vous êtes économiste, est-ce que vous pensez que c’est vraiment profitable pour le pays de sortir chaque année des universitaires qui viennent gonfler la masse de chômeurs ? Voyez par exemple tous ces « licenciés en communication » qui sortent des différentes universités alors que les débouchés sont trop peu nombreux. Est-ce qu’il ne faudrait pas plutôt investir dans les formations techniques style ITAB, ETS, ITS, etc.Prime Nyamoya : Il ne faut pas regretter qu’il y ait plusieurs universités privées. Elles répondent à une demande énorme émanant des lauréats d’enseignement secondaire classique, auquel se sont ajoutés ceux des lycées communaux. C’est vrai que l’on observe une situation chaotique mais le marché du travail, va faire le tri des universités performantes et moins performantes. Le phénomène des universités qui viennent gonfler la masse des chômeurs est assez connu en Afrique et suffisamment inquiétant.

Iwacu : A l’université de Ngozi comment conciliez-vous formation et débouché ?

Prime Nyamoya : Le département Informatique connaît un franc succès sur le marché du travail dans la région des Grands Lacs et les lauréats n’ont pas grand mal à trouver des emplois. Ceci démontre que si l’on cible bien le marché et que l’on offre en même temps une formation exigeante et de qualité, le problème des débouchés ne se pose plus. Toute la question est évidemment de savoir comment réunir ces deux conditions.

Iwacu : Bientôt la première promotion de médecins sortie de l’université de Ngozi !
 

Prime Nyamoya : Oui et nous en sommes très heureux ! L’an prochain, la Faculté de Médecine va sortir ses premiers lauréats et nul doute qu’ils vont répondre à une demande énorme actuellement non satisfaite. Permettez-moi de profiter de cette occasion qui m’est donnée pour saluer l’initiative lancée par une association franco-burundaise en France présidée par le Dr Déo Rugemintwaza. Elle vient de collecter des dons pour financer l’envoi d’une vingtaine de professeurs visiteurs depuis juillet dernier. Je formule le vœu que son exemple soit suivi par d’autres initiatives du genre.
 

Iwacu : Aujourd’hui vous lancez un appel à la diaspora burundaise pour qu’elle soutienne l’université de Ngozi. Comment peut-elle aider ?

Prime Nyamoya : samedi le 25 août 2007, dans le grand amphithéâtre de l’UNG à Ngozi, les organisateurs ont pu récolter plus de 20 millions. Cette expérience nous a donc convaincus qu’il fallait nous adresser à la diaspora burundaise par Internet, via votre site. Je reste convaincu que l’UNG y trouvera certainement un écho favorable en mobilisant des ressources financières non négligeables.
 

Iwacu: Sans vous offenser, la diaspora peut se poser des questions sur la gestion des fonds qui seraient récoltés au profit de l’université de Ngozi ?

Prime Nyamoya : Je suis un adepte de la transparence et je dois rassurer tout de suite la diaspora burundaise que les fonds seront gérés directement par Mgr Stanislas Kaburungu, longtemps évêque de Ngozi et actuellement recteur et président du Conseil d’Administration, et moi-même en tant que vice-président. L’utilisation de ces fonds sera déterminée par les membres du Conseil à qui nous ferons régulièrement rapport sur la base d’un audit externe. En outre, nous communiquerons régulièrement la situation financière à nos bienfaiteurs par Internet pour les tenir au courant de la destination de leur argent donné à l’UNG.

Iwacu : Vous seriez intéressé par des dons matériels ?

Prime Nyamoya : Nous accueillons avec gratitude les dons en espèces ainsi que les dons en nature. Même du matériel d’occasion nous intéresse ! Tout ce qui peut servir à l’UNG et à ses étudiants sera le bienvenu : ordinateurs, équipements didactiques et fournitures de bureau, et même des véhicules, mais seulement pour les marques représentées au Burundi à cause des problèmes de maintenance et de disponibilité des pièces de rechange. Nous remercions par avance la diaspora burundaise pour son rôle d’ambassadeur pour les jumelages et partenariats avec d’autres établissements d’enseignement supérieur qu’elle pourra initier au nom de l’UNG.

Iwacu : Et les compatriotes qualifiés qui souhaiteraient venir enseigner bénévolement, vous pouvez par exemple leur assurer un minimum de commodité, le logement par exemple ?

Prime Nyamoya : Nous exhortons les Burundais de la diaspora à suivre l’exemple des médecins franco-burundais qui ont déjà commencé à donner des enseignements à l’UNG. Les autres facultés : de Droit et des Sciences Economiques, des Lettres et Sciences Humaines, et des Sciences, ont d’immenses besoins en professeurs et chercheurs. Malgré la modicité de ses moyens, UNG s’engagerait à assurer le logement et un perdiem pour couvrir les frais locaux, étant entendu que le coût de transport international et les honoraires seraient pris en charge par les volontaires eux-mêmes et/ou les associations.

Iwacu : Comment voyez vous l’université de Ngozi dans dix ans ?

Prime Nyamoya : Pour reprendre à mon compte une expression célèbre, par tempérament, je crois plus à l’optimisme de la volonté qu’au pessimisme de la raison. Le Burundi, je l’espère, va résolument tourner la page des heures les plus sombres de son Histoire des dernières années. Les citoyens aspirent à l’amélioration de leur niveau de vie, parmi les plus bas au monde, alors que le Burundi ne manque point d’atouts pour leur offrir mieux.En octobre 2001, le Financial Times Guide avait consacré à la ville de Ngozi un article spécial intitulé : Economic Experiment Thrives Amid African Conflict. Le journaliste y décrivait en termes élogieux comment la création de l’Université de Ngozi et d’autres réalisations, alors que le pays était en pleine en guerre civile, avaient contribué à ramener la paix dans cette province : In the small town of Ngozi, in Burundi, capitalism is creating an oasis of calm while ethnic war continues all around. Je lui avais confié ma conviction au cours de l’ interview : “It is not simply a coincidence : there is a correlation between responsible business practices, and political stability and security. Ngozi shows how private initiative, based on a common goal, can achieve peace in conflict zones”. J’en reste toujours convaincu.
J’espère être là dans dix ans pour célébrer les progrès de l’UNG et ses retombées sur la ville de Ngozi, dynamique, moderne et ouverte au monde, où il fera bon vivre. C’est mon souhait le plus ardent.Propos recueillis par Antoine Kaburahe