Il faudrait donner plus d’importance à l’opposition pour démocratiser le Burundi

 Burundi news, le 31 mars 2007

Par Pierre Claver Niyonkuru

Québec city

Si on observe la façon dont le Burundi a été dirigé, on tire directement la conclusion que ce pays n’a jamais été bien dirigé, qu’il n’a jamais goûté aux merveilles de la démocratie. Si l’on prend en considération la période post monarchique, de l’UPRONA au CNDD-FDD, en passant par le FRODEBU, de Micombero à Nkurunziza, notre chère patrie n’a connu que des escrocs menteurs qui ne pensent qu’à leurs intérêts personnels et jamais aux intérêts supérieurs de la Nation.

Je sais que beaucoup de sang des filles et des fils du Burundi a déjà été versé dans la lutte pour la démocratie; hélas, ne nous fatiguons pas, si nous voulons une démocratie saine au Burundi, il faut continuer la lutte. Par ailleurs, la lutte pour la démocratie ne finit jamais, c'est un voyage éternel. Rappelons le, l'histoire de la démocratie s’est toujours constituée d'accidents heureux et malheureux...

 Au Burundi, la place de l’opposition est ambiguë, on pourrait même dire que l’opposition n’existe que sur papiers. Néanmoins, cette dernière constitue un élément important dans la protection de la démocratie, un chien de garde dans un pays démocratique. 

Chez nous, le multipartisme postcolonial a vu le jour sous Buyoya1. Ce dernier avait accepté la démocratie, pas parce qu’il y croyait mais parce qu’il pensait pouvoir mentir aux Burundais pour qu’ils votent pour lui. La preuve en est que, peu après avoir passé le pouvoir à son successeur en 1993, il n’a pas tardé à commencer les manœuvres pour revenir à la présidence. On se rappellera que Buyoya2 a divisé tous les partis politiques en ailes, du moins les plus forts, le sien y compris. Objectif : museler et contrôler l’opposition.

A la fin de son livre, Mission Possible, il écrit : «Quand j’aurai terminé ma tâche de restauration de la paix, je partirai » ![1] Tout le monde se demande aujourd’hui la paix qu’il a laissée aux Burundais.

Les nouveaux patrons de Bujumbura, quant à eux, sont venus avec une autre stratégie de museler l’opposition : monter un coup d’Etat de toutes pièces pour emprisonner à perpétuité des innocents, emprisonner les journalistes et les membres de la société civile pour que plus personne n’ose parler. Heureusement, monsieur Sinduhije, la RPA, la Radio Isanganiro et la société civile étaient là pour tout «checker» et dénoncer.

En réalité, il n’y a pas de dirigeant qui aime l’opposition, encore moins un dirigeant africain. Mais certaines méthodes utilisées pour se débarrasser de l’opposition sont criminelles. La méthode CNDD-FDD par exemple est plus que criminelle. Si les Burundais n’avaient pas dénoncé ces machinations à temps, des citoyens auraient pu rester en prison à vie, juste parce que les dirigeants issus du CNDD-FDD, assoiffés de s’accaparer de tous les pouvoirs et contents de devenir maîtres du pays, avaient décidé ainsi. «A shame» !

En fait, c'est la logique du maître et son esclave qui a fonctionné : quand l’esclave a l’occasion de prendre la place du maître, il fait exactement ce que ce dernier faisait.   

 Je crois fermement que diriger un pays comme le Burundi n'est pas facile, mais je suis aussi de ceux qui ont la conviction que la démocratie est la pacification des mœurs politiques. Ce qui signifie qu'en démocratie la violence sous toutes ses formes doit être bannie. A mon humble avis, on ne recoure à la violence que quand l'on est à court d'arguments. Autrement dit, nos dirigeants ont fait recourt à la violence parce qu’ils ne savaient pas expliquer les emprisonnements, la vente illégale de l’avion présidentiel, les tueries des membres présumés du PALIPEHUTU-FNL, pour ne citer que quelques exemples.  

Quand j’ai appris l’acquittement de monsieur Ndayizeye et ses coaccusés et que le coup d’Etat n’était qu’un montage, j’ai réalisé que je viens d’un pays où le ridicule ne tue pas du tout. Aujourd’hui, le président Nkurunziza qui nous a appris l’existence de ce coup d’Etat mafieux par la voie des ondes n’a jamais osé demander pardon aux Burundais. Monsieur Nkurunziza et son gouvernement ont menti au peuple burundais et à la communauté internationale, et à mon avis, ne pas s’excuser auprès d’un peuple qui nous a donné le pouvoir est un manque de respect pur et simple envers celui-ci.

Si nous disons que nous sommes un Conseil national pour la défense de la démocratie-forces pour la défense de la démocratie, et que nous montons un coup d’Etat de toutes pièces pour museler l’opposition, que nous tuons des gens ( les cas de Kinama et Muyinga) parce qu’ils ne partagent pas nos opinions, que nous emprisonnons des journalistes pour rien,… on pourrait bien se demander pourquoi nous avons dû sacrifier tant de vies humaines en luttant pour la démocratie alors que nous mêmes, nous n’y croyions pas.

Aujourd’hui, Hussein Radjabu est devenu le bouc émissaire de toutes les bavures mais je vois mal une seule personne humaine, si puissante soit-elle, commettre tous ces forfaits toute seule ! Comprenez bien ! Je ne suis pas en train de défendre l’honorable Hussein Radjabu mais tout ce que je veux souligner ici est que Nkurunziza et sa «gang» ne sont pas «clean» non plus. L’histoire ne tardera sans doute pas à nous le prouver…

En ce qui concerne la place de l’opposition, je reste convaincu qu’une réelle démocratie ne peut jamais s’établir sans qu’il n’y ait pas une réelle opposition.

En effet, l’opposition joue le rôle de garde fou au pouvoir du gouvernement. Elle doit donc être écoutée car, en réalité, c’est elle qui défend les intérêts du peuple quand le pouvoir les bafoue. On devrait donc octroyer plus de moyens au chef de l’opposition et lui donner la parole. Par exemple, on devrait lui donner des fonds pour la recherche et le personnel afin de pouvoir, si besoin il y a, dénoncer les abus du pouvoir en place. Donc, il serait normal que le chef de l’opposition ait une résidence, une voiture, un salaire, … lui accordés par l’Etat, question de sauvegarder la démocratie que nous souhaitons tant.

Certaines personnes me diront que ça serait un gaspillage mais je crois que nous gaspillons plus en laissant nos dirigeants gérer nos maigres ressources à leur gré. Ils ne savent pas différencier la chose publique et la chose privée, rappelez-vous ! 

Le dirigeant africain a tendance à croire que sans opposition, il est libre mais en réalité en muselant l’opposition on ne résout pas les problèmes, on les déplace dans le temps.

Des sources nous indiquent qu’à l’heure actuelle au Burundi, il est de plus en plus difficile de trouver un emploie quand on n’est pas membre du parti au pouvoir. Au cas où, ces informations seraient vraies, je me demande vers où le Burundi s’achemine. Il est vrai que le Burundi n’a pas assez de «jobs» pour toutes ses filles et tous ses fils mais si être membre du parti au pouvoir est devenu une condition sine qua none pour avoir un emploi, je me demande ce qui est l’issue de ce système. De temps plus que nos dirigeants, tant ceux d’hier que ceux d’aujourd’hui, au lieu de favoriser le développement, ils dilapident même le peu de ressources que nous avons.

Bref, si nous voulons une démocratie au Burundi, nous devons tous apprendre à valoriser l’opposition et son rôle si non, nous ne faisons aucune différence avec les régimes que nous avons farouchement combattus. 


 

[1] Buyoya, Pierre, Mission Possible, Paris : l’Harmattan, 1998, page 158