OU VA L'AFRIQUE?

Burundi news, le 25/12/2010

Par Gratien Rukindikiza

Cinquante ans après les indépendances africaines, il y a lieu de se poser la question du chemin franchi par ce contient et de son avenir. Jamais un continent n'avait connu tant de malheurs. L'esclavage a vidé de la grande partie de l'Afrique de ses fils et filles vaillants pour travailler  dans les champs en Amérique. Après l'esclavage, l'exploration de l'Afrique a été suivie d'une colonisation très sauvage en certains endroits. L'Afrique a été pillée, spoliée, divisée et déshonorée. Jamais un continent peuplé n'a fait l'objet d'un tel pillage sans dédommagement au 20 è siècle. Les inventions de l'Europe sans les matières premières de l'Afrique n'auraient pas suffi pour générer  un tel développement de l'Europe.

Cinquante après les indépendances, la faute aux Africains

Les Africains ne peuvent pas invoquer à tout moment la colonisation pour justifier la misère, le sous développement de ce continent. Nous en conviendrons que le retard par rapport aux autres pays est manifeste. Mais, 50 ans sont suffisants pour donner un nouveau souffle, sauver ces populations pauvres. Un ami français me disait qu'il n'avait jamais été en Afrique mais qu'il lisait beaucoup. Jamais il n'aurait imaginé que la pauvreté pouvait atteindre un tel niveau, me disait-il après un séjour d'une semaine avec les paysans au Burundi.

Les gens pourraient tomber dans le pessimisme, le défaitisme. S'asseoir c'est renoncer, se lever c'est progresser. Le passé  fait partie de l'histoire mais le présent est l'avenir.

Si l'Afrique se trouve dans une telle situation, c'est parce que l'égoïsme de ses dirigeants et la cupidité de ses intellectuels ont atteint un niveau inquiétant, voire suicidaire. Ils ont préféré trouver des solutions individuelles en oubliant le peuple.

L'agriculture, une priorité

L'Europe a développé l'industrie après avoir conçu une agriculture capable de nourrir les citoyens. Pour avoir une main d'œuvre suffisante dans le but d' accompagner l'industrie, les agriculteurs sont indispensables dans les usines. Pour l'Afrique, développer l'industrie sans développer au préalable l'agriculture reviendra à affamer le continent. Si l'Agriculture occupe la population active à 80 %, un pays en plein essor industriel aura besoin de plus de 40 % de la main d'œuvre. Ainsi, il est nécessaire de multiplier par deux ou trois la productivité pour que moins de 40 % de la population arrive à nourrir 100 % de la population dont les 40 % qui auront quitté la paysannerie.

Dans plusieurs pays africains, la verdure domine le paysage, l'eau est abondante, les terres sont fertiles, la main d'œuvre est disponible. Pourtant, l'Afrique importe de la nourriture. Qu'est ce qui manque? La volonté manifeste de développer l'agriculture. Qui connaît un pays africain qui a changé son mode d'agriculture? Des pays très riches en PIB ont toujours une paysannerie aussi pauvre que les autres pays. Certains pays n'hésitent pas à louer des régions entières aux Chinois qui y pratiquent une agriculture intensive et dévastatrice. Ces Chinois envoient toute la production en Chine alors que ces mêmes pays importent les mêmes denrées alimentaires.

Il est très étonnant que des produits d'agriculture française soient moins chers à Dakar que les produits sénégalais. L'agriculture africaine ne pourra jamais se développer, résister à la concurrence étrangère sans subvention. Des nouvelles méthodes doivent être inventées pour plus de productivité. La terre manque, la population augmente à une grande vitesse. Nourrir cette population est un chalenge. Ce pari est une des clés du développement.

La santé avant tout

Les africains qui se croisent demandent souvent si la santé va mieux, même si on n'était pas malade. C'est une notion importante. Non seulement la santé d'un voisin, d'un ami ou d'un cousin importe mais aussi celle de la famille de l'interlocuteur. Certains peuples de l'Afrique de l'Est ne disent jamais qu'ils vont bien. Une façon de marquer que la santé est comme cette richesse que l'on cache quand on l'a.

Si les africains tiennent à leur santé, les dirigeants ne sont pas sur la même longueur d'onde que leurs peuples. Combien de pays en Afrique ont-ils un système de santé fiable, la sécurité sociale de ses citoyens, une couverture médicale comprenant les médicaments? Combien de pays font-ils des efforts pour convaincre les médecins spécialisés restés en Europe  de rentrer dans leurs pays pour se mettre au service de leurs peuples.

La malaria sévit en Afrique. Les laboratoires occidentales ne sont pas intéressés par la fabrication d'un vaccin car la rentabilité de ce vaccin n'est pas avérée. Est-ce que les pays africains ne peuvent pas en fabriquer? Ce n'est pas de l'argent qui manque. Quand il faut financer les campagnes électorales en France, l'argent coule à flot. Arriver à un niveau de nomination des ministres français est un signe que le Président Bongo avait le pouvoir que lui conférait l'argent du Gabon( ou d'Elf ou Total) sur la France. Pourquoi ne pas affecter cet argent à la fabrication de ce vaccin?

Les africains vont se faire soigner en Inde ou en Chine. L'Afrique peut avoir  des hôpitaux capables de faire comme les hôpitaux indiens.

Education, le carburant du développement

Le grand indicateur du système d'éducation d'un pays est le nombre d'enfants des dignitaires du régime qui font des études à l'étranger. L'éducation est le seul système qui peut garantir la relève de demain. Aucun développement ne peut se concevoir sans école fiable. Dans plusieurs pays africains, l'école publique est devenue l'école des pauvres. L'enseignement fourni dans ces écoles n'est pas suffisant. Des parents payent des cours de soutien.

Le système scolaire est souvent calqué sur le modèle des écoles de l'indépendance. A ce moment, il fallait former des enseignants, des juristes, des administratifs, des économistes etc... pour remplacer le départ des colons. Les métiers techniques n'étaient pas favorisés en raison de l'urgence au niveau administratif. Aujourd'hui, l'école africaine continue à former des administratifs, des juristes, des économistes, des enseignants alors que ces secteurs n'embauchent plus. Les secteurs de demain sont délaissés. L'Afrique n'a pas encore anticipé sur les besoins de demain.

L'Afrique a besoin des ingénieurs, des médecins, des agronomes, des techniciens supérieurs etc... Ils doivent inventer l'avenir, copier la technologie existante pour l'adapter à l'Afrique. Ces cadres ne pourront arriver à cette mission que s'ils sont bien formés tout en adaptant leurs connaissances aux réalités africaines. Il faut à l'Afrique une ère Meiji à l'Africaine. Elle doit faire venir des spécialistes européens en énergie solaire, en chemins de fer, en agriculture, en mécanique, afin de former et aider à arrêter les stratégies du futur développement.

L'Afrique devait penser aux universités célèbres par région afin de former des cadres de demain, ouverts au monde. Aujourd'hui, les dignitaires des régimes envoient leurs enfants poursuivre les études aux Etats Unis, en Chine, Angleterre, France, Canada etc.... Il est dommage que des pays comme le Nigéria, l'Algérie, l'Afrique du Sud, l'Egypte, l'Angola, Congo etc... n'arrivent pas à concevoir un système d'éducation pour drainer des étudiants à la recherche des spécialités de demain.

Ce qui manque à l'Afrique, c'est avant tout les cerveaux, les têtes pensantes. Ces têtes pensantes sont formées dans les universités. Or, ce sont ces universités de qualité qui manquent. Plusieurs universités africaines forment à répéter les connaissances acquises. Les étudiants ne sont pas formés à penser de l'avenir des pays, les connaissances sont plus appliquées à l'Europe qu'à l'Afrique.

Faute de ces universités, les étudiants poursuivent leurs études en Europe ou en Amérique. Plusieurs filières poursuivies ne sont pas adaptées à la situation de l'Afrique. Un médecin,  qui est formé à une spécialité de chirurgie dont aucun matériel n'est disponible dans son pays d'origine ou le gouvernement n'a aucune prévision d'acquisition dans l'avenir, est condamné à rester en Europe pour travailler dans son secteur. Ces universitaires acquièrent la liberté d'expression qui dépasse celle qui est tolérée dans leurs  pays d'origine. En rentrant en Afrique, ils sont les futurs opposants souvent en prison. Ainsi, on trouve de farouches opposants aux régimes des pays africains, plus en Europe qu'en Afrique. C'est le résultat de l'intolérance politique. On ne connait pas un opposant en Europe qui vit en dehors de son pays.

Des pays démocratiques comme le Ghana, le Botswana ont une forte croissance économique qui est non seulement liée aux efforts économiques mais aussi aux libertés démocratiques.

L'Afrique a besoin de cette liberté démocratique qui s'accompagne d'une liberté d'entreprendre dans un espace de bonne gouvernance pour retrouver le chemin de la croissance.

Les matières premières, source de progrès ou de néocolonialisme

Un ami africain m'a dit un jour qu'il ne souhaitait pas à son pays d'avoir des diamants. Son souhait, si paradoxal comporte une part de vérité. Ce minerai a causé tous les malheurs à plusieurs  peuples de l'Afrique qui l'ont sur leurs sols. Ailleurs, le sous sol a été synonyme d'aisance. Les Saoudiens ont profité de leur pétrole. Qu'en est-il des Nigérians? Des Congolais de Brazza, des Gabonais, des Equato- guinéens, etc...?

La Chine a une boue qui vaut de l'or. La Chine fournit 97 % de la production mondiale. Elle est nécessaire pour traiter des métaux comme l'acier destiné à des utilisations sophistiquées. La Chine fixe les prix comme elle l'entend et utilise cette matière comme une arme en cas de conflit. Le Japon en sait quelque chose.

L'Afrique détient des minerais qui peuvent représenter plus de 50 % de la production mondiale. Or, les prix sont fixés ailleurs,  en Europe. Ces minerais peuvent inverser le cours de l'histoire. Le nouveau monde peut s'appeler l'Afrique. Les flux migratoires vers l'Europe peuvent être négatifs. On verrait même des Européens en pleine crise migrer vers l'Afrique pour trouver du travail. Le Brésil vient de se hisser au rang mondial au niveau de la croissance de son économie. Il est parmi les 3 pays du fameux Tiers monde à entrer dans le monde des grands G20. Ces pays sont la Chine, l'Inde et la Brésil. Le Brésil doit sa croissance à ses nouveaux gisements de pétrole et à son or vert qui est l'agriculture. Des matières premières qui sont aussi en Afrique.

Le constant est accablant. Plusieurs pays africains ont déjà hypothéqué leurs minerais contre des dollars pour les achats d'armes et des investissements bidons mais générant des commissions occultes. C'est cette corruption qui freine le développement de l'Afrique. Plusieurs dirigeants africains s'arrogent le droit de spolier les richesses des pays au moment où leurs peuples meurent de faim. Dans certains pays, la corruption représente un montant nécessaire pour changer complètement l'agriculture afin d'éviter les famines.

Lors d'une rencontre entre chefs d'Etats africains francophones, un micro d'une télévision avait pu capter la conversation entre plusieurs chefs d'Etat. Ils se demandaient si les juges français pourront avoir des preuves de l'argent placé issu des détournements. Ils en parlaient avec une aisance à tel point qu'on aurait cru à une discussion entre des professionnels des placements occultes.

L'Afrique dispose des minerais, matières premières de l'industrie. Elle dispose de la main d'œuvre bon marché, la demande et les capitaux, si on tient compte de ceux placés en Europe. Qu'est -ce qui reste pour le développement? Ces atouts ont produit un effet inverse à celui attendu. C'est la néo-colonisation qui a repris mais cette fois-ci avec la complicité des dirigeants. Personne ne peut demander l'indépendance quand les minerais africains sont spoliés. Personne ne peut demander l'indépendance quand les régimes à la solde de certaines puissances accaparent le pouvoir économique et politique et trichent les élections.

Le réveil ou le coma, à l'Afrique de choisir

La situation économique actuelle mérite une grande réflexion. Les pays européens peuvent sauver les meubles grâce aux prêts de la Chine. Mao se moquerait de l'occident s'il était encore vivant. L'Europe vit au dessus de ses moyens. L'emprunt permet de maintenir ce standing. C'est la future génération qui remboursera ces emprunts. Les pays européens n'arrivent plus à produire des biens capables de concurrencer les autres produits sur le marché mondialisé. Aucun ordinateur n'est produit entièrement en Europe pour être à la portée du consommateur moyen européen. Cette situation concerne les grands donateurs de l'Afrique. L'Afrique est appelée à comprendre cette nouvelle donne. Elle doit émerger, créer un environnement pour devenir le nouveau monde moderne. L'Afrique devrait au moins produire les biens dont les licences sont déjà tombées dans le domaine du public afin d'éviter d'importer. Il s'agit de certains  médicaments, des machines, etc.... L'Afrique doit mettre en commun les moyens pour créer cet espace de développement et de consommation.

Seul ce réveil sauvera l'Afrique. Elle aura besoin de nouvelles générations pour construire une nouvelle ère. Si ce réveil ne se réalise pas, l'Afrique sera le continent sombré dans le coma et dont ses richesses profitent aux autres peuples.