Burundi news, le 05/12/2008

VOUS AVEZ DIT : PAS DE BUDGET ?

Dr HARINGANJI, NIKWIGIZE DEO CHRISTIAN.

 Le personnel publique soignant est en grève au Burundi. Faut-il considérer ceci comme historique malgré la catastrophe que cela représente pour la population ? Cette chose était encore impensable il y a quelques années. Et s’ils en sont arrivés là, c’est sûrement qu’ils étaient excédés. Ne les accablez pas. Comprenez-les. Si cette fois ci on ne trouve pas la solution, nous dirons que l’âge d’or n’est pas pour demain (things fall apart) pour paraphraser ce terrible auteur nigérian qui a failli mourir de dire la vérité.

Le silence des médecins et autres membres  de la diaspora a été plus qu’assourdissant. Tout se passe comme si ayant quitté notre Burundi natal, nous aurions oublié les réalités tristes que vivent nos confrères restés courageusement au pays. Ma réaction est toute aussi tardive, de l’eau a coulé sous les ponts comme on dit.

Point n’est besoin ici  de nous culpabiliser,  je suis peu enclin à l’auto flagellation.  Les réponses apportées par les autorités tutélaires m’ont étonnées et quelques peu choquées. Les différentes associations des médecins burundais se chargeront de publier leurs réactions, il s’agit ici d’une réaction personnelle et non concertée.

Ainsi  dans un pays où les besoins en matière de santé sont colossaux, la réponse des autorités tutélaires aux problèmes posés par la grève du personnel soignant a été une fois encore de les rappeler qu’ils sont responsables de la vie et de la mort de leurs concitoyens(ils étaient déjà au courant), qu’ils avaient prêté le serment de Genève (ils ne l’ont pas oublié), et que de toutes les façons il faudrait attendre que le Burundi soit un peu plus riche pour que les autorités accèdent à leurs demandes !

 Mais quand est ce que ce pays sera riche pardi ! Mais même !

Dans l’hypothèse où le nickel de Musongati serait enfin exploité (nous avons grandi avec cet espoir), que les vraies fausses énormes réserves pétrolifères de la plaines de la Rusizi et du lac Tanganika ne pencheraient que du côté Burundais, et que par un hasard aussi invraisemblable que la fin du monde,  on se rende compte que  le parc de la Ruvubu renferme de l’uranium et de l’or en plus des mines de diamant à Ngagara,  la probabilité que le médecin qui soigne les enfants, les femmes enceintes, et les vieillards  accède à un statut spécial est loin d’être certaine : C’est logique, le budget manquerait : il faudrait d’abord rémunérer ceux qui ont combattu pour la liberté (put… heureusement qu’ils étaient là !), payer grassement les vérificateurs des douanes , des impôts et autres inspecteurs pour que l’idée de corruption et de concussion leur passe (tu parles !), et après avoir remboursé les dettes du pays et renouvelé tout le charroi de l’état, après avoir construit quelques villas, le médecin aurait peut être droit de citer, ou peut être serait il obligé d’attendre le tours suivant s’il ne faisait pas grève !

 Dans ce pays où le policier, l’officier de l’armée et le magistrat bénéficient d’un statut spécial leur permettant de bien gagner leur vie, les médecins ont eu comme seul recours , la grève, pour essayer de faire comprendre l’évidence même aux autorités parmi eux, deux médecins pourtant interlocuteurs privilégiés de par leurs positions politiques : notre personnel soignant n’a  pas fait moins d’études que les autres loin s’en faut, il ne manque pas de conscience professionnelle, il ne compte pas les heures de travail et on ne peut pas raisonnablement considérer qu’il est le moins méritant ou que son secteur soit le moins sensible. S’est-on jamais demandé comme ont dû le faire  d’autres, la catastrophe que cela représenterait si la corruption et la concussion le gagnaient ? Qu’adviendrait-il s’il devait faire payer directement les prestations ?

 Comme d’habitude, on s’est réuni, on a réfléchi, et comme le problème posé était vraiment nouveau, et que personne ne s’y attendait, on a nommé une commission pour réfléchir encore une fois et en analyser les contours. Cette commission donnera ses conclusions qui seront examinées au conseil de cabinet du ministère, delà sortiront des propositions qui seront soumises au conseil des ministres, et ainsi de suite de conseil en conseil ce statut sera à considérer comme l’arlésienne !

Il faudrait qu’on arrête d’inventer tout le temps l’eau chaude, arrêtons de donner les mêmes réponses à chaque fois : interrogé sur l’augmentation des salaires des médecins, un ancien président  avait déclaré qu’il reconnaissait que cela était indispensable mais que le prix des soins était moralement et subjectivement très élevé, et donc difficile à chiffrer. C’était une réponse pleine de délicatesse, mais en gros cela voulait dire : vous gagnez déjà plus que les autres fonctionnaires, je ne ferrai pas plus !

Un autre ancien président, alors qu’il devait se faire examiner  dit qu’on ne se souvenait des médecins qu’en cas de besoin. Celui ci n’a fait que ce qu’il pouvait en terme de diplomatie et de délicatesse, cela voulait aussi dire que le corps médical était finalement le cadet de ses soucis et qu’on pouvait aller se faire voir ailleurs ! Paradoxalement les médecins ne sont pas partis, ils sont restés, se sont acquitté de leurs tâches, on a flatté leur ego en disant qu’ils étaient bons et ils ont continué de soigner même quand ils étaient fatigués, ils ont ignoré leur propre température devant la pancarte de leurs patients et rien que pour cela, ils devraient mériter une reconnaissance. Tous les ministres de la santé publique du Burundi étaient des médecins, on ne peut pas penser qu’ils ne connaissaient pas le problème, comment en arrive- t- on à un conflit de ce genre ? quelle est la part de responsabilité du gouvernement si les malades meurent parce que les médecins sont en grève ?

Pour autant, la grève du personnel soignant pose un problème éthique grave : l’obligation de soigner est réelle et constante. Mais les médecins burundais comme tant d’autres, ont un conseil de l’ordre digne du nom. C’est à lui de régler tous les problèmes d’ordre éthique et philosophiques. Ceci ne doit pas être le travail de quelques fonctionnaires de quelque vice présidence. Fondamentalement les hôpitaux et autres centres de santé ne peuvent pas être vides de personnel soignant. S’il incombe aux syndicats d’organiser un service minimum, c’est à l’état d’accélérer les choses pour une solution durable et acceptable.  Le gros des  efforts doit venir de l’état.

Que peuvent faire les médecins de la diaspora ? Se taisent ils parce qu’ils s’en foutent ? parce qu’ils sont trop loin des préoccupations de leurs confrères du Burundi ? Pas le temps,  trop occupés dans les services où ils sont ? ou parce qu’ils n’ont rien à dire ? il y a sûrement un peu de tout et de chaque mais ils peuvent au moins soutenir les syndicats du personnel soignant.

J’estime pour ma part que nous  aurons éternellement un problème de perception des priorités tant que les magistrats ou les policiers (sans insulter ni minimiser les mérites des membres de ces corps ô combien indispensables) auront un statut spécial les régissant et les médecins pas du tout  pour de sordides et farfelues raisons budgétaires.