La Libre Belgique, le 12/07/2005

Burundi : «Le Président n'a pas les mains liées»

MARIE-FRANCE CROS

Pierre Nkurunziza a été choisi dimanche par le CNDD-FDD pour être son candidat à la présidence.

Majoritaire à l'assemblée et au sénat, ce parti emportera l'élection indirecte, en août.

Interview exclusive du futur chef d'Etat burundais.

ENTRETIEN

Pierre Nkurunziza a été choisi dimanche par son parti, l'ex-rébellion du CNDD-FDD, comme son candidat à la présidence. Sa victoire ne fait aucun doute, cette formation ayant la majorité absolue tant à l'assemblée qu'au sénat, qui ont la charge de procéder à l'élection du chef de l'Etat le 19 août.

Vous avez mené la guerre au nom des Hutus. Une fois rallié à la paix, vous avez fait campagne sur l'union nécessaire entre Hutus et Tutsis. Ce n'est pas difficile de changer de discours?

Ce n'est pas comme ça. Notre idéologie est le nationalisme. Depuis le début de la rébellion, des Tutsis étaient avec nous - des politiciens, des diplomates, des financiers, des membres des médias. Les deux ethnies ont contribué à la lutte contre le divisionnisme.

Vos adversaires du Frodebu (1) mettent en exergue les contacts de votre parti avec le Front patriotique rwandais (2).

Ce sont les Etats de la région qui ont pris l'initiative de négociations entre parties burundaises; le Rwanda en était. Nous n'avons pas de contacts très spéciaux avec le FPR.

Votre parti présente néanmoins des ressemblances avec le FPR.

Les histoires de nos deux pays et leurs populations se ressemblent. De plus, le FPR avait pris le maquis pour combattre un pouvoir dictatorial et divisionniste. Nous aussi. Enfin, les gens au pouvoir au Rwanda sont des gens de notre génération; certains ont vécu au Burundi. Quand on a les mêmes problèmes, on peut recourir aux mêmes solutions.

Dans vos activités politiques, vous vous référez sans cesse à Dieu. Pourquoi?

Vous savez, aller à la guerre et en sortir vivant, ce n'est pas gratuit. Quand on voit combien d'années on a lutté, combien de frères sont morts... J'ai été grièvement blessé durant la guerre. On me croyait fini. C'est le Bon Dieu qui m'a permis de vivre parce qu'il n'y avait pas de médecin. Quatre mois plus tard, j'étais pourtant debout - et élu président du mouvement. C'est la main de Dieu. Quand les bombes tombent, autour de vous les gens meurent, d'autres sont amputés; l'intelligence ne vous permet pas d'échapper à la mort. Les survivants témoignent donc que ce fut la main de Dieu. Le CNDD-FDD était considéré comme «force négative» et écarté des négociations de paix. Puis cela a changé. Et voilà que les Burundais nous donnent la chance de diriger ce pays. C'est vraiment la main de Dieu.

Vous avez toujours été aussi croyant?

J'ai toujours été croyant mais ma foi s'est approfondie durant la guerre. Pendant une guerre, on change beaucoup...

Vous êtes protestant ou catholique?

Ma mère était anglicane, mon père catholique. J'ai fait les études primaires grâce aux missionnaires anglicans. A l'athénée de Gitega, catholique, j'ai été en contact avec des musulmans. Je priais avec eux et à l'église catholique. Je ne veux pas prendre position. Je prie là où on prie, avec les différentes religions. Cela m'est nécessaire.

Comment allez-vous gouverner et avec qui?

La Constitution exige qu'un parti remporte 2pc des votes pour siéger à l'assemblée et 5pc pour être au gouvernement. Mais l'important, c'est d'être réaliste: on doit puiser dans les ressources humaines capables.

Ce sont les partis qui choisiront qui ils envoient pour être ministre, pas vous.

Le Président n'a pas les mains liées. On peut démettre les ministres.

Que ferez-vous si le Frodebu (1) tente de paralyser votre action?

S'ils tentent de nous nuire, quelle chance de réussite auront-ils? Le Frodebu est un parti en décomposition: beaucoup de leurs jeunes ont rejoint notre parti et 60 de leurs députés dans l'assemblée sortante avaient rejoint nos rangs.

La Constitution vous oblige néanmoins à collaborer avec eux.

S'ils viennent au gouvernement, on doit les discipliner. Sinon, on les mettra de côté.

Quelle sera votre tâche la plus urgente?

La réconciliation nationale. La reconstruction - éducation, santé, relance économique. Le renforcement des corps de défense et de sécurité, qui doivent être améliorés des points de vue technique et du savoir.

Que ferez-vous avec la rébellion des FNL (3)?

Elle doit intégrer le processus de paix mais c'est difficile parce qu'elle ne sait pas présenter ses revendications, son idéologie tribaliste étant dépassée; et parce qu'elle est peu soudée, victime de beaucoup de contradictions et tueries internes, ce qui la rend inconstante et manipulable. Leur problème, c'est d'avoir un contrat social: les FNL veulent des garanties contre les Tutsis mais refusent de donner des garanties aux autres. Nous leur disons: la démocratie est une garantie. Et je pense que la Commission Vérité et Réconciliation, qui établira la véritable histoire du Burundi, sera une base pour dégager ce contrat social.

(1) Parti hutu; principal rival du CNDD-FDD. (2) Au pouvoir à Kigali; dominé par les Tutsis. (3) Forces nationales de libération, dernière rébellion hutue encore en activité.

Source : La Libre Belgique