La peur aurait-elle changé de camp ?

 

Peut-être que non.

 

 Burundi news, le 14/11/2014

Par Damienne Nduwimana

Début novembre 2014. Une chaleur lourde et humide colle au corps. S’insinue dans les petites ruelles des banlieues comme dans les grandes altères de la capitale. Poursuit les riches dans les villas et dans les voitures. Anéantit le pauvre dans les taudis. Soudain le ciel s’assombrit de lourds nuages. Orage, bourrasque, destruction de logis. Les toits des chaumières s’envolent. La foudre tombe. Des enfants et des enseignants rendent l’âme. Des toitures emportées à Kamenge et ailleurs.

Lourde atmosphère de l’aube électorale.

Le soir. Dans les bistrots. Les chaises sont délaissées à la première heure. Un plaisantin : « Les Burundais ont peur de mourir à l’extérieur. Ils aiment mourir à la maison ». Et l’autre de lui dire : « Mourir auprès des siens ». Un autre: « Etre auprès des siens pour les protéger ».

Psychose, hantise ? Il ya de quoi. Une évidence niée par le pouvoir : une horde de jeunes imbonerakure armés et dressés pour tuer a déferlé sur la capitale et tout l’ouest du pays. Pour ensuite essaimer sur l’ensemble du territoire ? Mais est-il que, autre évidence niée, un crime organisé symbolisé par le manteau noir, la machette, le pistolet, la Kalach et le burin fait rage sur la presque totalité du territoire. Pour se payer la solde coupée ou recruter dans la terreur ? Ou intimider en faveur du maître séant ? Le gros a débarqué de la République Démocratique du Congo. Kiriba Ondes…A Gitega, le Conseil National de Sécurité, où nombre de dignitaires figurant genre Bazombanza ou Ntavyohanyuma écoutent sans broncher les sermons du noyau « Akazu », parlera de bandits. Et accusera, contre toute évidence, l’opposition, la presse non gouvernementale et la société civile de semer la terreur dans les esprits ! Le lion qui arrache l’enfant de tes bras et te montre ses dents!

Dans les énormes villas ou appartements sortis de la corruption, du détournement et de la contrebande, la bière, le vin et les liqueurs coulent à flots. A Nyabiraba, le soir, un émissaire particulier de ces satrapes entre dans un ménage, pistolet et machette à double-tranchant à la main. Coupable de n’offrir que de la patate douce, le chef de ménage attrape un coup de machette à la tête. Le froissement des ailes d’un coq le sauvera de justesse. Les Ondessiens passeront la nuit à se régaler de son poulet et de son bouc. Lui la passera dans une terreur indicible. Au même moment, dans un bistrot, philosophe, un plaisantin : « quel filtre utilisent les dirigeants pour envoûter ce petit peuple qui meurt en silence pour eux ? Normalement ils devraient subir un cataclysme à la burkinabè » Son voisin, goguenard : « Quand les riches se font la guerre, ce sont les pauvres qui meurent, dixit Sartre ».

Ici à Jabe, un client est catégorique : « Il n’y a pas que les imbonerakure. Ceux-ci sont rentrés avec les interahamwe. Hier à Gikoto, un groupe de cinq « longs manteaux » est entré dans un ménage. Madame vend des rengarenga à la sauvette au centre ville. Il n’y a pas d’argent ici. Fouillez partout si vous voulez. Les longs manteaux sont rentrés bredouilles. Ils ne savaient pas. Ce sont des étrangers. » Son voisin est non moins catégorique : « Les affaires de Bujumbura ont été investies par de jeunes loups d’origine rwandaise. Je donnerai ma main à couper que nombre d’entre eux sont des agents du FPR. Connaissant Kagame, on peut imaginer qu’il ne peut pas se défaire de sa devise d’étouffer la guerre à la source. Et si une guerre rwando-rwandaise éclatait au Burundi ? »

La peur, il y a donc. Dans le camp des souffre-douleurs. Comme toujours. Pendant que dignitaires et autres puissants se la coulent douce.

Oui, le citoyen burundais vit aujourd’hui dans l’angoisse et l’expectative voilée. Au cours des grandes vacances, les fils du pays éparpillés aux quatre coins du monde sont venus en masse. De nombreux mariages ont été célébrés. Nombre de nos concitoyens de l’étranger qui ont afflué vers le pays natal n’avaient qu’une idée en tête. Revoir le leurs « avant les élections ». Comme si les élections étaient synonymes de cataclysme. Peu de gens ont affirmé pouvoir revenir avant la fin des élections.

Au pays, opérateurs économiques et autres investisseurs y regardent à deux fois avant de s’engager. Il faut attendre la fin des élections. Vraiment un refrain.

Peut-être que oui.

C’est bon le progrès. A Bujumbura, douze heures 28. Une flûte gaillarde, goguenarde, joyeux luron genre Robin des Bois, sourd de tous les lieux. De l’écouteur du mobile, du mobile radio, des postes radio de tous les coins, bureaux, stations de bus, marchés, boutiques, gros cylindrés, autobus….ponctuée par un son grave : « Radio Publique Africaine, Radio Publique Africaine… ». Cette station se taille la part du lion au niveau de l’auditoire burundais. Les gens attendent les nouvelles au rythme de la flûte, certains d’entre eux, le cœur palpitant.

Et ce jour-là, vendredi sept octobre, une nouvelle tombe. A Muyinga, des conseillers communaux membres du CNDD-FDD ont été tabassés par la direction locale des imbonerakure : le patron provincial, le chef de Zone, un autre cadre local et d’autres sbires. Bien avant, la même station et d’autres comme Isanganiro, Bonesha et Renaissance avaient fait état de rivalités internes au sein du parti au pouvoir à Cibitoke. Wakenya vs Barekebavuge. Dans un bistrot de Mutanga Nord, un nouveau client souvent mué dans le silence sort de celui-ci, non sans avoir jeté des regards apeurés à gauche et à droite. « Les gens de l’opposition ont de la chance. Chez nous, c’est le silence ou la corde. Personne ne parle à personne à cœur ouvert. La confiance est loin, très loin d’être la règle. Le voisin a peur du voisin. Dans les réunions, les interventions sont ciblées, rectilignes. Hitler n’aurait pas fait mieux ».

Au CNDD, la peur colle au ventre de tout un chacun. Chacun est rançonné quel que soit son rang. Pour le compte du parti et celui de l’Akazu. Vous avez dit corruption ? Le Mugumyabanga broute là ou il est attaché. Pour le bien du parti, de ses supérieurs et de lui-même. L’aire Mobutu ? C’est peut-être pire. Au CNDD, des escadrons de la mort ont été mis sur pied. Pas seulement contre l’opposition. Mais aussi contre l’opposition la plus redoutée. L’opposition interne. Manassé et les autres qui peuvent se reconnaître ici.

Oui, à la veille des élections, la peur, comme un serpent vénéneux, s’infiltre lentement, mais sûrement au sein du système CNDD-FDD. Oui. Le système se fissure. Les élus locaux de ce parti sont lassés des mêmes têtes qui ne servent à rien sauf qu’à s’enrichir. Ils ne veulent plus des caciques au double mandat. Un troisième ? Nenni. On passera par nos corps. C’était lors d’une réunion tenue à leur endroit en province de Bujumbura.

Le mécontentement populaire et la poussée de l’opposition rétrécit les chances des candidats CNDD-FDD aux mandats électoraux. Nous le disions ici, le CNDD s’est en conséquence octroyé la note de 51% lors des prochaines élections. On peut le dire avec assurance : des têtes tomberont. Inévitablement. La bataille pour les restes supposés fait rage dans toutes les provinces et communes.

La même peur se lit sur les visages des Jacques Bigirimana, Zed Feruzi, Gaston Sindimwo, Tharcisse Nkezabahizi, Jean Mutabazi, Augustin Nzojibwami et tous autres thuriféraires du régime. Ils savent que leur sort se serre inévitablement avec celui de leur parrain. S’il chancelle, c’est eux qu’il lâchera les premiers. Il avait compté sur eux pour le renforcer, ils sont maintenant enfoncés dans des chicanes internes préélectorales. Il les avait voulus forts. Ils ont déçu, dilapidés les fonds octroyés dans la construction de villas ou d’autres dépenses féériques. La peur leur colle au ventre. Avec raison.

L’autre peur qui va faire mal au peuple burundais. Que ferais-je des biens mal acquis si je perds les élections ? Quel sort m’attend pour avoir violenté, torturé, assassiné des citoyens innocents ? Suis-je prêt à comparaître devant le tribunal du peuple burundais ? Suis-je prêt à comparaître devant les tribunaux internationaux ? Acculé, je sortirai la carte imbonerakure, vaille que vaille et adviendra que pourra.

Donc, le tigre a peur. Politiquement, la peur a changé de camp.

 

La peur du tigre profite-t-elle aux agneaux ?

Des quatre coins du pays et de la diaspora, un espoir circule, intense, lancinant, dans les médias, les villages, les chaumières, les bistrots, les bureaux, les marchés, les boutiques, les autocars, les réseaux sociaux : une vaste coalition pour le changement en vue de cueillir le fruit mûr et rendre la dignité aux descendants du Royaume de Mwezi Gisabo.

Or que nous apprend-t-on ? Les dirigeants de l’opposition placeraient leur ego avant le devoir de sauvetage d’une nation menée en dérive par les satrapes du CNDD-FDD ! La Honte !

Le peuple burundais attend une liste d’indépendants de patriotes coalisés pour chasser les prédateurs CNDD-FDD et restaurer l’Etat de droit, la croissance économique ainsi que le bien-être économique et social.

A la place il nous parvient des chicanes de positionnement qui se cachent derrière des aspects structurels. Moi ADC Ikibiri, je suis le commencement et la fin. Rien ne peut se faire en dehors de moi. Moi FNL, je suis une force incontournable ; voyez les élections communales de 2010. Moi UPRONA, je suis une force incontournable, je suis le garant d’Arusha et les élections de 2010 font de moi une force incontournable. Moi, moi, moi….L’ego ferme notre horizon.

Plus précisément, une activité de nature à délivrer le pays des griffes du CNDD-FDD serait en cours depuis quelques semaines. Il s’agit de tractations entre différents partenaires politiques de l’opposition enfin de mettre en place une large coalition de patriotes pour le changement.

Seulement, les positionnements politiques des uns et des autres semblent être une entrave à la naissance du bébé tant attendu.

Que faire ?

On l’a vu, le CNDD-FDD a peur. Nulle n’en doute. Il va jusqu’à vouloir instaurer la terreur pour chasser sa propre peur. Les autres doivent profiter de cette faiblesse par la force que donne l’union. Et pour ce faire, ratisser large jusqu’au cœur du CNDD-FDD. Pour constituer un front de patriotes pour le changement.

Oublier ce que sera Rwasa, Nditije, Sinduhije, Bamvuginyumvira, Ngendakumana, Minani, Ndayizeye, Nzobonimpa et les autres. Et présenter à la nation et au monde une alternative de gouvernance à la dérive instaurée par le CNDD-FDD.

Se convenir d’une structure neutre de médiation pour arrondir les nombreux angles de positionnement qui ne manque pas dans ce genre d’entreprise.

Et l’espoir renaîtra du fond des chaumières.