UN POUVOIR FORT POUR RAMENER DE L’ ORDRE AU BURUNDI  

Par Gratien Rukindikiza

 Burundi news, le 12 avril 2005

Outre la guerre, le Burundi a souffert des pouvoirs faibles qui ont laissé s’installer un laisser-aller. Certains ont souvent tendance à confondre un pouvoir fort avec un pouvoir militaire. Or, il n’en est pas le cas. Le pouvoir de Buyoya a été un des pouvoirs faibles que le Burundi a connus. Depuis la chute de Bagaza, Buyoya est devenu prisonnier d’un système qui l’avait porté au pouvoir. Les caporaux et soldats qui l’avaient porté au pouvoir en brutalisant les officiers ont modifié complètement  la discipline dans l’armée. Les contradictions de certains officiers qui ont soutenu Buyoya ont aussi affaibli la chaîne du commandement d’autant plus que les clans rivaux se sont déchirés pour avoir le gros du gâteau. Du côté civil, l’absence du cap politique, d’une ligne directrice de développement, a démobilisé beaucoup de forces vives de la nation. L’Etat s’est affaibli. La corruption a profité d’un Etat faible pour se venger de l’Etat omniprésent de Bagaza. En voulant ménager les différents clans, le Président Buyoya a laissé faire en fermant les yeux. Ce n’était plus un tabou d’utiliser les moyens de l’Etat pour construire sa maison ou pour faire autre chose.

Le pouvoir de Ndadaye n’a pas duré longtemps pour pouvoir imposer l’ordre. Il devait d’abord se stabiliser et réduire la menace militaire sous forme de putsch. Il devait aussi faire un remaniement pour remercier certains ministres qui avaient failli à leurs missions. C’est notamment le cas de Nyangoma pour lequel deux options étaient envisagées : Soit le limogeage pur et simple, soit le démembrement de son ministère en créant un autre ministère chargé des réfugiés et de la réinsertion qui aurait été confié à un jeune cadre du Frodebu en 1993, devenu ministre quelques années après.

Le pouvoir de Ntibantunganya a été le plus faible de tous. Hanté par les blindés du 11 è bataillon blindé, il n’a pas eu les moyens d’asseoir son pouvoir à tel point que le coup d’Etat de Buyoya en 1996 est venu le « délivrer » d’une situation intenable. 

Buyoya II n’a pas pu imposer un certain ordre. Son retour a été une sorte de vengeance du départ inattendu de 1993. Lui et ses proches ont eu l’idée de s’enrichir à tout prix pendant  qu’ils étaient au pouvoir. Quant à la politique, le gros du travail était de diviser pour mieux régner. Presque tous les partis ont été divisés pour le servir. Même le Frodebu n’a pas résisté. La nouvelle ère de la corruption s’est installée. L’administration a été parmi les plus corrompues de l’Afrique. Demander ou exiger un billet de banque avant de remplir les dossiers est devenu monnaie courante. Les burundais ont même constaté que certaines personnes mal intentionnées sont devenues des députés après avoir acheté aux chefs des partis  les places à 5 millions de francs bu.

Le pouvoir de Ndayizeye a été obtenu in extremis. Buyoya ne  voulait pas le lâcher. Arrivé au pouvoir, le Président Ndayizeye n’a pas perdu son temps. Il a profité de son  court mandat allongé grâce à ses différentes manœuvres politiciennes pour s’enrichir personnellement. Son building surveillé de son bureau présidentiel est devenu un sujet de discussion à Bujumbura au moment où la population meurt de faim à Kirundo et Muyinga. La campagne pour mobiliser des fonds d’aide n’a pas eu lieu car ce n’était pas la priorité du pouvoir animé par sa prolongation et l’achèvement du building du couple présidentiel. La corruption est devenue le sport national du sommet à la base. Il est difficile d’imposer aux autres  ce qu’on ne s’impose pas soi-même.

L’état des lieux d’aujourd’hui est catastrophique. Le budget de l’Etat est détourné. Certains appels d’offre des marchés publics sont gagnés par les plus chers qui offrent plus de commissions. Ces commissions sont en réalité la contribution du contribuable burundais ou un fardeau pour les générations futures qui vont payer la surfacturation des marchés. Les médicaments destinés aux soins gratuits de la population pourrissent à l’aéroport  du seul fait que les donateurs n’ont pas payé 500$ ou plus. Entre temps, la population meurt par manque de soins. L’argent du Sida est utilisé à des voyages, des dépenses somptuaires alors que les malades meurent faute de médicaments. Dans certaines juridictions, la justice n’existe que pour les riches. Les pauvres se contentent de l’injustice. Des missions bidons sont organisées à l’étranger juste pour bénéficier des frais de missions prélevés sur le budget de l’Etat en rognant sur les budgets sociaux. Les dirigeants ont les yeux braqués  sur leur richesses au moment où le simple citoyen meurt par manque de médicaments. Celui qui a la chance se fera prisonnier de l’hôpital qui l’a soigné et qui lui réclame des centaines de milliers de francs qu’il n’a jamais eues durant toute sa vie. Cependant, c’est ce même pauvre  emprisonné à l’hôpital qui produit le café pour les devises. En raison de l’injustice sociale, il produit les richesses  nationales et les chefs en récoltent les fruits. Le retour de l’ascenseur est un sujet tabou. La mutuelle existe pour ceux qui ont un travail rémunéré. Or, le paysan est patron de lui-même et dispose juste de quoi manger. Il n’a pas accès à la mutuelle. Il ne dispose d’aucun système de protection. Entre le bâton et la carotte, les dirigeants ont choisi le bâton. Il suffit de voir comment les moniteurs agricoles harcèlent les paysans pour un mauvais entretien des caféiers pour comprendre les rapports entre l’Etat et les paysans. L’Etat demande plus et ne donne rien aux paysans. Il y a même lieu de se demander si la colonisation n’a pas continué cette fois-ci avec les « autochtones ».

Compte tenu de ce constat, le peuple burundais a besoin d’un sauveur, d’un homme intègre et honnête. Aujourd’hui, seule la bonne volonté du dirigeant ne suffira pas. Il faudra changer les mentalités, éduquer les gens, combattre la corruption. De ce fait, les dirigeants devront disposer d’un appareil fort, d’un pouvoir fort qui sera capable d’imposer de l’ordre dans le pays et une bonne gouvernance. Un pouvoir fort est celui qui est respecté et aimé par le peuple car il lui apporte quelque chose. Un pouvoir fort qui se désintéresse de la population est une dictature. Or, le peuple a besoin de l’écoute. Il n’a pas besoin des solutions toutes faites à la soviétique.

Le pouvoir fort devra s’appuyer sur une administration forte, sans faille et  d’une police juste. Le pouvoir devra être capable de sanctionner un ministre qui détourne comme un simple citoyen qui vole. Si les sanctions ne touchent pas le gouvernement en cas de manquement, il ne servira à rien de sanctionner les petits employés qui auront reçu les miettes d’un détournement.

Le pouvoir actuel est faible à l’intérieur comme à l’extérieur. Le prochain pouvoir, pour bien servir le peuple, devra être fort à l’intérieur comme à l’extérieur. Le pouvoir s’affaiblit quand il ne contrôle pas le travail de ses employés. Qui dit contrôle dit sanction, si les sanctions ne suivent pas, tout le monde comprendra que la sanction n’existe pas. Or, les gens respectent les institutions si des sanctions morales, physiques ou financières contre la transgression existent et si  la probabilité d’appliquer les sanctions est grande.  Le respect de la chose publique (république) est aussi un respect du peuple car ce qu’on vole  appartient au peuple.

A l’étranger, le peuple a besoin d’un respect. Le pouvoir doit se montrer fort sans agiter des menaces contre les voisins. La place que les dirigeants revendiquent dans le concert des nations détermine le respect de ce peuple. Pourquoi un Président burundais serait-il reçu par un ministre dans tel pays occidental alors que celui qui dirige le Rwanda est reçu par un Président ? Pourquoi le Burundi ne serait-il pas capable de taper du poing sur la table pour que la communauté internationale l’écoute ?

Le Burundi souffre des divisions internes. Les dirigeants ont du mal à asseoir un pouvoir au nom du peuple uni. Souvent, l’image donnée est celle d’un Président hutu ou tutsi qui essaie de colmater les brèches. Un Président qui dispose d’un pouvoir fort doit véhiculer l’unité du pays à l’étranger et aussi l’intégrité des dirigeants.

Le pouvoir fort peut être un danger pour le peuple s’il ne fixe pas de garde-fous. Le peuple doit disposer des instruments pour l’interpeller. La force du pouvoir doit servir à protéger le peuple physiquement et socialement. Tout cela suppose que les dirigeants soient honnêtes et respectent les intérêts du peuple. De ce fait, ces dirigeants doivent accompagner la force du pouvoir par une justice sociale et d’une bonne répartition de la richesse nationale. Espérons que le prochain pouvoir pourra entamer un chantier important pour le peuple comme celui de la réforme du système de santé pour inclure les paysans et les personnes sans travail. Il va de même pour la relance des grands travaux en consacrant les emprunts étrangers à fins de production de la richesse nationale et à créer des emplois.

Le pouvoir fort pourra ramener l’ordre par la satisfaction des attentes du peuple et en s’imposant des règles de la bonne gouvernance. Un pouvoir fort qui n’est pas basé sur la dictature attire aussi les investissements étrangers. Il doit aussi être capable d’encourager l’initiative privée pour avoir les moyens de financer ses ambitions. Il devra pouvoir mettre les burundais au travail pour ramener la croissance économique du pays.