LA JUSTICE BURUNDAISE PIEGEE PAR DEUX PROCES

Par Gratien Rukindikiza

 Burundi news, le 17/05/2008

Dans une démocratie normale, l'exécutif et le judiciaire sont séparés. Ce n'est pas à l'exécutif de prononcer des sentences ou d'orienter les jugements des magistrats.

Au Burundi, la justice est à l'épreuve avec les procès de Radjabu et celui d'Interpétrole. Il s'agit plus précisément de deux prisonniers dont leur libération ou leur maintien en prison est un casse-tête chinois pour le pouvoir.

Radjabu jugé en dehors de la magistrature

Au cours du procès du ministère public contre Radjabu, les preuves tant vantées ont fait défaut. Les fameux témoins à charge ont admis avoir fait leurs déclarations à la Documentation sous la torture. Il est aussi étonnant que les services de renseignement fassent des enquêtes judiciaires à la place de la police judiciaire. Leurs méthodes barbares et inhumaines ont été filmées par Willy Nyamitwe au moment où Kadege était sous la torture. Le DVD de cette torture circule sous les manteaux à Bujumbura et plus librement à l'étranger.

La sentence contre Radjabu a été prononcée à 19 hrs au moment où il n'y avait ni avocats, ni Radjabu lui-même. La notification de jugement  n'a pas été communiquée à l'intéressé jusqu'aujourd'hui. Certains disent que les magistrats ont appris aussi leur décision avant de se décider; ce qui rappelle une autre histoire des faux putschistes.  Le refus de donner cette notification de jugement à Radjabu avait pour but de l'empêcher de faire appel. Ce refus cache aussi le malaise des juges qui digèrent mal leur colère face à un exécutif, plutôt un parti qui tranche avant le jugement. Ainsi, la notification ne serait pas signée

Il est très étonnant que le Président de la République envoie des émissaires rencontrer Radjabu en prison pour négocier une réconciliation après avoir poussé la justice à le condamner. Simple fait ou un cynisme sans précédent? Libre à Radjabu de se faire avoir pour la deuxième fois ou résister à la tentation.

Isaac Bizimana, prisonnier d'un dossier dépénalisé

Isaac Bizimana est un cas éloquent de la pression du pouvoir sur la magistrature. Au moment où le dossier Interpétrole est géré à la Présidence, au moment où la justice manque d'éléments matériels, Isaac reste en prison sans dossier. Non seulement, il garde sa place en prison mais aussi il dépasse de loin la période de détention provisoire. Nul ne peut être accusé ou emprisonné pour un dossier qui manque d'élément. Isaac Bizimana pose un problème au pouvoir. Il ne peut pas être libéré alors que Denise Sinankwa a un avis de recherche du Burundi sur Interpol auquel ni le Burundi, ni Interpol ne croit. Il est difficile de dissocier un dossier Interpetrole qui est géré actuellement par une convention paritaire Interpétrole- gouvernement du même dossier Interpétrole pénale pour Denise Sinankwa et Isaac Bizimana.

Les différents émissaires du pouvoir sillonnent l'Afrique et l'Europe pour traiter ce dossier Interpetrole. Il est traité en dehors de toute procédure judiciaire comme si la justice burundaise n'existe pas. S'il y a une infraction, qu'est-ce qui empêche le pouvoir à instruire le dossier et à laisser les avocats consulter ce fameux dossier inexistant.

L'arroseur arrosé

Le dossier Interpétrole risque de prendre une tournure inattendue. Celui qui l'a propagé comme le vent risque de semer la tempête pour lui. Les différentes tentatives pour  manipuler  certains journalistes, le soutien reçu de l'Olucome et l'alignement de Jérémie Ngendakumana n'ont pas permis au vice-Président Ntisezerana de faire aboutir le dossier Interpétrole. Tous ces éléments ne lui ont pas empêché l'humiliation subie au cours d'une réunion avec le Président de la République.

En effet, le Président Nkurunziza a convoqué une réunion sur le problème du carburant et le dossier Interpétrole. Etaient présents le 2 è vice-Président Ntisezerana, la ministre des finances, le président du CNDD-FDD Jérémie Ngendakumana et  le procureur général. Dans ce dossier Interpétrole, Ntisezerana a pu avoir des alliés de taille à savoir Jérémie Ngendakumana et la ministre des finances. Les deux ont des soucis avec la réhabilitation de Denise Sinankwa. Le CNDD-FDD l'a exclue pour corruption en fonction de ce dossier d'interpétrole, jugeant avant la justice. En cas de non condamnation, le CNDD-FDD serait obligé de manger son chapeau en reconnaissant son erreur. Il aurait menti aussi ses militants. La ministre des finances estime que son poste serait menacé si Denise Sinankwa était blanchie par la justice. Quant à Ntisezerana, le monopole d'ENGEN, son allié pétrolier, serait menacé par le retour d'Interpétrole sur le marché.

Au cours de cette réunion, Jérémie Ngendakumana est monté à la charge en insistant qu'il faut sévir fort contre les présumés coupables dans ce dossier. Le Président a répliqué en lui demandant de donner les preuves dont il parle tout le temps et en lui rappelant que le procureur général présent n'a pas encore trouvé ces éléments. Jérémie et Ntisezerana n'ont pas pu sortir les fameux éléments. C'était une douche froide pour Ntisezerana et ses alliés.

Le Président Nkurunziza a bien compris, selon son entourage, qu'il a été manipulé par le pétrolier Ntisezerana, qui est en même temps le vice-Président chargé des affaires économiques et sociales. En gros, le pétrolier Ntisezerana, par le biais du vice-Président Ntisezerana, a demandé et obtenu l'exclusion d'interpétrole du marché burundais par cette fameuse affaire. Le même vice-Président Ntisezerana n'hésite pas à accorder des augmentations des prix de carburant au profit de lui-même mais en tant que pétrolier. Ntisezerana est dans l'incompatibilité des fonctions. Il ne peut pas être commerçant et vice-Président de la République à la fois. C'est Kabuto lui -même, sous son pseudonyme de Samson Kwizera, qui a bien écrit que Ntisezerana possède plusieurs stations d'essence. Or, Kabuto est le chargé de la communication de la 2 è vice-Présidence.

Dans toutes ces manoeuvres, il ressort que le plus lésé est Isaac Bizimana qui croupit en prison depuis plusieurs mois. La convention a été signée mais il reste en prison car la justice ne sait plus comment s'y prendre pour le libérer.

Il en est de même pour Radjabu qui n'a pas notification de jugement et qui ne fait que recevoir des émissaires du Président qui lui promet de le libérer à condition qu'il accepte de collaborer avec lui.