POURQUOI LE SPECTRE D’ UN PUTSCH HANTE -T-IL TOUJOURS LES DIRIGEANTS BURUNDAIS?
Par Gratien Rukindikiza
Burundi news, le 12 mars 2006
Ceux qui sont dehors rêvent d’y entrer, ceux qui sont dedans rêvent d’y rester. Si le pouvoir était une commune à occuper, symbole de pouvoir, la colline n’existerait plus. Elle aurait été bombardée, trouée de balles jusqu’à ce que la terre soit retournée pour devenir le cratère le plus géant du monde. Le pouvoir fascine, suscite des convoitises, des peurs et des passions. Le pouvoir burundais a perdu toute sa signification. Il est en principe au service du développement du peuple. Le Président de la République est comme un Président Directeur Général d’une société. Il doit rendre compte à ses associés chaque année. En cas de mauvais résultat, il est renvoyé à la prochaine assemblée générale. Pour le Président de la République, il faut attendre les élections car les actionnaires sont les citoyens qui se réunissent en petits groupes pour des élections. Si les actionnaires électeurs demandaient à Buyoya ce qu’il a fait pour le pays en contrepartie de ses salaires de Président, il serait incapable de convaincre.
En dehors des élections, ceux qui perdent les élections, les impatients qui ne veulent pas attendre les prochaines élections choisissent le mauvais jeu en préparant des putsch. Certains de ceux qui étaient au pouvoir et qui ont des dossiers en justice de détournement ou d’assassinats restent inquiets et n’hésitent pas à s’engager dans des aventures. Pour ceux qui sont au pouvoir, le grand danger devient alors celui du complot de putsch. Ce vrai -faux danger devient un fond de commerce pour les plus avisés. Des courtisans n’hésitent pas d’aller voir le chef pour dénoncer un complot organisé par tel ou tel colonel. Les courtisans présentent souvent leurs ennemis personnels comme étant les ennemis de la nation. Les services de renseignements, devancés, sont dans l’obligation de suivre le mouvement. Ils font tout pour chercher des preuves. Nous sommes à l’heure de la miniaturisation de la technologie. Un complot filmé par les services, du jamais vu et chapeau ! Il reste à les produire et à confondre les comploteurs. J’ose espérer que la parodie de 1971 appartient au passé, le témoin anonyme était connu par tous. Aujourd’hui, on ne peut qu’entendre, des preuves classées secret d’Etat. Il restera à la justice de condamner sur ordre du chef ou à déclarer un non-lieu faute de preuve. Il y a encore la troisième voie, celle de pardonner ceux qui ne sont ni accusés, ni désignés. Les preuves ne seront donc pas nécessaires. Une bonne voie de sortie !
Dans le passé, les putschs ont servi à changer les régimes comme ceux qui étaient au pouvoir avaient fait des putschs. Le Président Ndadaye a été tué au cours de la tentative de coup d’Etat du 21 octobre 1993 parce qu’il n’avait presque pas de soutien à l’armée. Sa première erreur a été de laisser aux commandes de l’armée ceux qui avaient tenté de le tuer avant son investiture. Il n’a pas voulu rompre avec le passé pour promouvoir des officiers légalistes, connus pour leur intégrité. Il croyait que ces changements allaient déclencher des révoltes. Pourtant, Buyoya a évincé les hommes de Bagaza à son arrivée au pouvoir. S’il avait fait comme Ndadaye, son pouvoir n’aurait pas duré un an. La deuxième erreur du Président Ndadaye a été de ne pas exiger une mutation des unités acquises à Buyoya comme le bataillon para et les deux unités blindées.
Ntibantunganya a préféré se mettre sous le parapluie du diable en comptant les jours passés. En nommant les colonels Bikomagu et Simbandugu, respectivement à l’armée et à la gendarmerie, Ntibantunganya ne faisaient que distribuer des dividendes de putsch aux concernés. C’est comme si vous récompensez ceux qui ont tué les vôtres.
Aujourd’hui, le Président Nkurunziza a les mains libres pour muter, placer tel ou tel officier à un poste clé de l’armée ou la gendarmerie. Si on sait que jamais et je dis bien jamais, l’armée burundaise n’a pu faire de putsch sans l’aval des chefs de l’armée. Dans toutes les tentatives, il y avait soit le ministre de la défense, soit chef d’Etat, soit le G3 chargé des opérations, soit le G2 chargé des renseignements militaires. Le putsch des mutins de Muzinda a échoué en raison du manque de soutien d’un de ces chefs. Or, aucun de ces officiers n’est issu du CNDD-FDD. Il y a de quoi s’inquiéter ! J’ai toujours dit que le Président Nkurunziza a commis l’erreur de ne pas placer un des anciens FDD, soit au poste de ministre de la défense, soit au poste de chef d’Etat major. Ce sont les deux postes de contrôle de l’armée, les faiseurs de paix ou de guerre. Si le Président a confiance en ces personnes, il a aussi l’assurance d’éviter les putschs. Encore faut-il savoir que les promesses n’engagent que ceux qui les reçoivent ! Jamais un Président hutu n’avaient eu autant de mains libres sur l’armée, j’évite la main mise. La crainte de putsch est alors sans fondement.
Un putsch, est-il possible au Burundi ?
En tant que tel, un putsch est impensable, à moins de la complicité des proches du Président comme ce fut le cas pour le Président Ndadaye trahi par les siens, de son parti et de son cabinet. Par ailleurs, un assassinat peut-être possible. Déjà, les bavures de sa sécurité ne sont pas à rassurer de la bonne protection du Président. Pour la stabilité du pays, le Président mérite une sécurité sans faille. C’est pour cela que sa protection soit analysée en vue d’y apporter des améliorations. Il doit y avoir soit un mauvais encadrement ou une incompétence. Ce n’est pas à moi de donner des leçons malgré ma participation à la protection et à l’encadrement de la sécurité du Président Ndadaye.
Ceci dit en passant, Herménégilde Niyonzima l’auteur du livre Burundi : Terre des héros non chantés, a désinformé ses lecteurs. Je ne suis pas resté à l’Ile Maurice sur ordre du colonel Bikomagu. Si j’ avais reçu un tel ordre, je l’aurais refusé comme je l’avais déjà fait. Mon voyage a été préparé dans la précipitation par le directeur de cabinet du Président et le chef du protocole. Je l’ai écrit plusieurs fois. Je ne comprends pas pourquoi celui qui a écrit ce livre si bien renseigné n’a pas voulu bien s’informer. J’espère que l’auteur en prendra acte.
Qui sont ces putschistes qui font peur ?
Au Burundi, les problèmes reviennent sans trouver de solutions. J’ai du mal à comprendre comment Buyoya, Bikomagu, Simbandugu connus pour leur rôle dans l’assassinat du Président Ndadaye reviennent aujourd’hui comme des suspects dans le complot contre le Président Nkurunziza. Ces noms sont donnés sous le couvert d’anonymat. On parle de Nyangoma, de deux étrangers, des trois officiers de la police et des trois officiers des FDN. Rêve ou réalité ? Aucun pouvoir n’a voulu juger réellement les assassins du Président Ndadaye. Il a été assassiné comme un animal sauvage. Si tous les pouvoirs, y compris l’actuel, ne veulent pas juger ceux qui ont endeuillé le Burundi, ils ne font que légaliser ce genre d’assassinats. Si un meurtre n’est pas puni, qu’est-ce qui empêche un citoyen qui s’en veut à un autre de le tuer d’autant plus que la justice ne punit pas le meurtre ? Les putschistes non jugés ne peuvent pas s’empêcher d’être des récidivistes. Le bon Dieu qui accorde des pardons aux coupables n’est pas capable de ressusciter le Président Ndadaye et ses proches. Le citoyen ne craint pas la loi mais l’application de la peine à celui qui la transgresse. Une loi sans sanction n’est qu’un torchon. Un voleur au marché est emprisonné sur le champ. Un assassin d’un Président de la République est protégé par son auto immunité. Si les vrais assassins de Ndadaye n’ont pas été jugés ou ne sont pas en voie d’être jugés, qu’on arrête de les importuner dans d’autres putschs en préparation car ils sont immunisés.
Par ailleurs, si ces colonels et major contrôlent toujours l’armée, se permettant même de préparer des putschs, il faut se poser des questions. S’ils ne contrôlent une moindre partie de l’armée, personne ne doit s’inquiéter. Ainsi, le simple citoyen n’a pas besoin d’être informé qu’un complot est en préparation par ceux qui n’en ont pas les moyens.
Un pouvoir fort doit montrer qu’il est sûr de lui, capable de sanctionner tout en respectant la loi. Espérons que les histoires de putschs ne soient plus les sujets à débattre. Nous sommes à l’heure de la démocratie. Elle a besoin des moyens et c’est le pouvoir qui en dispose.