Burundi news, le 13/06/2011

 

Burundi : quand la morale a totalement foutu le camp

Pierre Claver Niyonkuru

 

Depuis mon enfance, on m’a toujours dit que les Burundais étaient un peuple croyant. Avant l’arrivée des religions telles que connues aujourd’hui, mes ancêtres priaient leur dieu Kiranga. Quand le colonisateur a emmené la religion, les Burundais y ont adhéré : plus de 90% des Burundais croient en Dieu et sont adeptes de l’une ou l’autre religion.

Tous les dimanches, les Églises sont pleines à claquer, on observe la même situation pour les mosquées les vendredis. Les gens prient, crient et implorent Dieu le tout puissant. Même les plus hautes autorités du pays sont des fervents croyants.

 

Toutefois, après les prières de la messe, la nuit tombée, des fils et des filles du Burundi sont massacrés et leurs corps jetés dans les rivières.  Jadis, la rivière servait de source d’eau pour satisfaire aux besoins des citoyens, aujourd’hui, on se dirige vers la rivière pour faire des découvertes macabres. Ces enfants du Burundi sont tués par d’autres enfants du Burundi. Pourtant, les Églises sont toujours pleines! Est-ce la très petite minorité des Burundais qui ne va pas à la messe qui maintient le pays dans cette situation désastreuse?

 

Pendant la semaine, c’est-à-dire, dès lundi, le lendemain du dimanche, jour de prière pour un grand nombre de Burundais, les mêmes autorités qui prêchaient la bonne nouvelle la veille sont les mêmes  qui récoltent les pots de vin, qui rançonnent la population et qui détournent les biens publics au vu et au su de tout le monde.

Voler l’argent, surtout quand il s’agit de l’argent de l’État n’est pas un scandale dans ce pays, c’est plutôt une valeur sociale : chacun vole le plus qu’il peut, après tout la chèvre broute là où elle est attachée, et qui travaille à l’hôtel mange à l’hôtel. 

Ainsi, dans ce pays où la morale a totalement foutu le camp, on vole, on construit des belles grosses villas, on achète des belles grosses voitures, on prend le plus de belles femmes qu’on peut,… C’est ça qu’on appelle la réussite dans le Burundi actuel. Les valeurs de dignité de nos ancêtres, on les a oubliées. Malheur aux petits fonctionnaires qui n’ont pas accès à la caisse.

 

Quand on essaye de garder ses valeurs morales, notamment en refusant les pots de vin, on devient l’ennemi public numéro un, on est donc à abattre. Un ami qui est dans le système aux affaires à Bujumbura me disait il y a quelques semaines que ce qui se passe chez nous dépasse l’entendement. Un commerçant vient te voir avec une enveloppe pour te corrompre en rapport avec un dossier, tu refuses de prendre l’enveloppe. On te prévient, si tu ne la prends pas, c’est ton patron qui la prendra. Tu persistes, le commerçant va voir ton patron, ce dernier prend l’enveloppe sans hésiter. Par la suite, tu deviens la cible de tout le monde, le corrompu et le corrupteur. Si tu ne perds pas ta vie, tu perds ton emploi. Encore faudra-t-il prier le ciel pour ne pas effectuer ton premier stop à Mpimba. Voilà ce qui se passe quand la morale a totalement foutu le camp. Comprenez-moi bien! Je ne suis pas en train de dire que la corruption n’existe qu’au Burundi, loin de là. Elle existe partout.  Ce que je condamne c’est qu’elle est devenue la norme au Burundi.

 

Au Burundi, encore en 2011, l’État reste le seul employeur, ce qui donne une grande marge de manœuvre aux chefs, faiseurs de la pluie, jamais du beau temps. Les compétences et les qualifications ne sont plus des critères importants dans l’embauche. Par ailleurs, parmi les lauréats des universités, c’est ceux qui réussissaient moins bien, c’est-à-dire difficilement, qui ont accès aux meilleurs emplois. Eux, ils posent moins de questions quand on leur confie des missions peu catholiques, parce qu’ils savent qu’en cas d’un concours sérieux, ils ne s’en sortiront pas.  En fait, il y a des nouveaux critères de sélection pour les emplois au Burundi : être membre, surtout un militant zélé du parti au pouvoir, être un proche d’un membre influent du parti, avoir l’argent pour monnayer ton recrutement ou alors être une belle femme désirée par les chefs. En dehors de ces critères, soyez compétent et postulez tous les postes, rien! De toutes les façons, l’emploi ne se demande plus dans les ministères et organismes du gouvernement, mais à la permanence du parti au pouvoir et pour y arriver, il faut faire partie des heureux choisis.

 

À l’école, l’effort n’est plus le mot d’ordre. Après tout, on peut devenir haut gradé de l’armée ou de la police en sachant à peine lire et écrire. On peut aussi occuper des hautes fonctions de l’État avec un certificat du primaire.  Les enseignants ont perdu la morale. Les points ne sont plus mérités, on les achète et ce n’est pas compliqué : les garçons payent de l’argent et les filles donnent leur corps à leurs enseignants, qui sont pourtant supposés prendre la place des parents. Voilà comment la morale a totalement foutu le camp. Les dirigeants, au lieu de protéger les plus faibles et garantir l’harmonie sociale, ils laissent faire.

 

La pauvreté et la misère frappent partout sauf bien entendu chez ceux qui sont dans les scoulisses du pouvoir. Entre temps, ces prédateurs chantent partout que tout va pour le meilleur  au Burundi. Le chômage, la maladie, la famine frappent et font mal surtout aux plus vulnérables.  Les citoyens meurent de faim, mais les intendances des dirigeants ne manquent jamais. Le pays n’a pas de routes, mais les dirigeants commandent des voitures de luxe dernier cri. Quand on lève le petit doigt pour dénoncer cette situation chaotique, on vous traite d’opposant et les foudres viennent de partout. Même quand vous êtes à l’étranger, vous n’êtes pas à l’abri. Ce n’est pas Manassé Nzobonimpa qui me contredira. Au Burundi, c’est vraiment le monde à l’envers : les voleurs sont devenus plus puissants que la nation toute entière. Ce sont les innocents qui écopent. Après tout, que signifie voler pour quelqu’un qui a tué?  

 

Les actuels maîtres de Bujumbura nous obligent de vivre une société sans morale, ils veulent surtout que tout le monde se taise. C’est pour respecter ce principe qu’Ernest Manirumva a été assassiné.  Ceux qui connaissent le jeu s’enrôlent dans le parti au pouvoir et ils bouffent parmi les autres. Ceux qui ne parlent pas le même langage que les dirigeants sont châtiés et persécutés. Oui, loin des caméras et des micros, il se passe des choses, mais, silence!

 

Le phénomène de « nyakurisation » prend une ampleur inégalée. Ce n’est plus une affaire des partis politiques seulement. Désormais, il y a des partis politiques nyakuri, des syndicats nyakuri, des associations sans but lucratifs nyakuri, … un barreau nyakuri, des ONG nyakuri, et bientôt, peut-être, des individus nyakuri. On aura tout vu sur ce règne.

 

Les grands perdants dans cette situation sont les Burundais, les citoyens qui ne demandent que la paix pour pouvoir recourir à leurs bras afin de nourrir leurs familles. Les jeunes sont les plus grands perdants quelque soit leur lieu d’origine ou leur parti politique. Ces jeunes qui finissent les études et qui n’ont jamais d’opportunités d’emploi.  Les jeunes qui n’ont pas pu continuer les études, quelque soit la raison, et qui se retrouvent désœuvrés sans possibilité de s’en sortir. Ce sont ces jeunes, je crois, qui ont l’obligation légitime de prendre leur responsabilité citoyenne de se lever comme un seul homme et de demander du respect et des garanties de la part de ces dirigeants prédateurs