QUI VEUT DESTABILISER L'ARMEE BURUNDAISE?
Par Gratien Rukindikiza
Burundi news, le 21/12/2009
Le Burundi traverse une période difficile. Le peuple burundais est gagné par l'inquiétude. Personne ne le rassure. Comment vont passer les élections? Y-aura-t-il une violence ou les élections seront-elles paisibles et démocratiques? Derrière ces inquiétudes, un corps semble donner les gages de cohésion et de garant de cette sécurité. L'Armée burundaise affiche un esprit républicain et tous les regards se tournent vers cette institution pour qu'elle reste cohérente, soudée afin d'affronter ces périodes difficiles.
L'Armée burundaise qui existe depuis l'indépendance et qui a acquis progressivement sa maturité a des hauts et des bas. Des dates ont marqué les bas de cette armée notamment en 1965, 1969, 1972, 1988 et 1993. Elle s'est illustrée par une violence sans limite et s'est laissée piégée par des politiciens ethnistes et aveugles. Il y a aussi les hauts notamment l'intégration des anciens rebelles, la réforme de cette armée pour assurer la symbiose des anciens rebelles et et militaires, chaque groupe ayant une majorité ethnique différente de l'autre. Cette réforme a été réalisée avec succès par cette Armée grâce aux chefs militaires et plus particulièrement au général Niyoyankana, ministre de la défense. Il a été chef d'Etat major de l'Armée depuis Buyoya III, Ndayizeye et ministre de la défense du Président Nkurunziza depuis son accession au pouvoir. Sa longévité à ces postes s'explique par ses qualités de chefs, de sobriété et aussi de connaissance des dossiers.
Aujourd'hui, l'Armée connaît des problèmes passagers. Des problèmes qui sont exploités par certains politiciens et même une société civile en manque de connaissance de ce domaine militaire.
Les veuves des sous officiers et les camps militaires
L'Armée est un secteur méconnu des civils. Certaines règles peuvent paraître absurdes aux yeux des civils mais réalistes aux yeux des militaires. Personnellement, je connais cette armée burundaise pour y avoir servi de 1982 à 1993. Les officiers habitent en ville ou dans des maisons en dehors des camps militaires. De ce fait, ils habitent avec leurs familles. Quand ils sont logés par l'Armée, ils ne bénéficient pas des indemnités de logement. Les sous officiers comme les autres militaires caporaux et soldats habitent dans des camps militaires, généralement sans leurs familles pour deux raisons principales. Il manque des logements à l'intérieur des camps. Certains militaires logent sur des lits superposés, d'autres dorment chez ceux qui sont à la garde. Dans ces circonstances, il est difficile de loger une famille car il faudra prévoir au moins deux pièces.
La deuxième raison est liée à l'organisation purement militaire. Si tous les sous officiers d'un camp ont leurs familles dans des camps, il faudrait faire la cuisine, donner des permissions à des familles externes, amies pour rendre visite. Un camp militaire deviendrait un simple quartier et les mesures de sécurité en souffriraient. Il va de soi aussi que la mobilisation en cas d'alerte ou d'attaque des camps militaires devient compliquée si un camp comporte deux fois plus d'enfants et femmes que militaires. Un militaire qui a sa femme malade a du mal à aller en mission si sa femme est au camp que si elle est en dehors du camp. La logique dirait que ce n'est pas humain mais la logique militaire respecte un impératif, celui d'être prêt pour le combat. Les bataillons les plus combatifs sont ceux qui sont libres de mouvement, de rassemblement rapide.
Les veuves des sous officiers ont protesté ces derniers jours à la suite de leurs expulsions des camps militaires. Les radios ont relayé l'information. Certains responsables de la société civile ont exploité cette situation, non pas par mauvaise foi mais par ignorance de la réalité de l'Armée. Derrière ces protestations, il y a une réalité qui n'est pas connue.
Un engagement avait été pris par les deux parties, l'Armée et les veuves. L'Armée leur donnait une enveloppe de quelques centaines de milliers et une mutation pour les fonctionnaires là où ils voulaient. En contrepartie, elles quittaient les camps militaires. Sur 995 familles logées dans des camps, 719 entraient dans cette catégorie. Il ne restait à la fin de l'échéance 27 familles. Ce sont ces familles qui n'ont pas respecté les engagements qui ont été mises dehors. Deux camps visés sont le camp Ngagara et le bataillon para.
Le président de l'Aprodh, ONG des droits de l'homme a protesté contre ces expulsions. Il a invoqué une loi de 1967. Or, cette loi a été changé fois. En plus, une autre réalité peut jouer contre ces veuves. Certains sous officiers en service ne peuvent pas loger leurs familles dans des camps. Ce sont surtout ces anciens rebelles du FDD et aussi du FNL. Il aurait été très difficile au ministre de la défense nationale et des anciens combattants d'expliquer pourquoi il peut continuer à loger les veuves et ne pas loger aussi les femmes des sous officiers en activité. La question pourrait aussi exploiter ethniquement en cette période délicate.
Quel jeu joue l'Uprona?
L'Uprona a tenté d'exploiter ce dossier des veuves expulsées des camps militaires. Ce parti a soutenu ces familles et disposait des informations sur ce qui allait se passer avant même que l'Armée sache ce que ces familles prévoyaient faire. L'Uprona aurait dû s'informer pour savoir les tenants et les aboutissants de ce dossier. L'Uprona n'a pas compris qu'il n'est pas sorti du cachet ethniste qui lui colle et ce dossier ne fait qu'amplifier cette perception.
Il est clair que ces veuves méritent un bon traitement. Cependant, l'Armée doit pouvoir se réorganiser, jouer son rôle, se préparer à toute éventualité pour la défense du Burundi et même aider des pays amis à se défendre. Le rôle social ne devrait pas prendre le dessus sur l'opérationnel.
Drôle de dossier qui met en confrontation deux frères. L'un dirige l'Armée et l'autre dirige le parti politique. Le général Niyoyankana est le ministre de la défense et son frère Bonaventure Niyoyankana dirige le parti Uprona. Cela n'a pas empêché ce dirigeant de l'Uprona de sauter sur ce dossier, la campagne électorale est proche.
Les sous officiers entrent dans la danse des réclamations
La question des avantages des sous officiers en comparaison avec les officiers ne date pas d'hier. Ce sont surtout les sous officiers en fin de carrière qui estiment avoir des avantages qui se rapprochent de ceux des officiers. Le logement fait partie de ces réclamations. J'ai entendu plusieurs fois cette question. Les sous officiers par statut logent dans des camps militaires. Leurs familles ne sont pas automatiquement logées au camp. Des exceptions concernent surtout quelques hauts gradés sous officiers occupant des postes importants. En règle générale, un sous officier ne peut loger sa famille au camp que quand le commandant de l'unité a donné son autorisation et si et seulement si un logement est disponible. Or, ce ne sont pas des maisons type famille qui sont construites dans des camps. Il y a surtout des salles communes comme à l'internat et des chambrettes pour des sous officiers.
Les sous officiers ne peuvent pas se comparer aux officiers comme les infirmiers ne peuvent pas se comparer aux médecins. Toutefois, ils peuvent faire leurs réclamations fondées et raisonnables. La grande muette n'est pas habituée aux réclamations et rien n'est prévu en cette matière en dehors des questions posées en causerie morale. Encore faut-il savoir poser de bonnes questions dans un langage courtois.
L'Armée a une marge étroite de réclamation sans éviter de tomber dans l'insubordination. Le règlement militaire est clair. Les civils qui peuvent manipuler les militaires devraient d'abord lire tout le règlement militaire et savoir que la montagne de Gihungwe à Bubanza renferme des secrets militaires.
Tant que les sous officiers sont dans l'Armée, ils ne peuvent pas refuser les ordres des officiers notamment la sécurisation des élections comme certains disent. La seule fois que les sous officiers et militaires ont refusé les ordres des officiers et en sont sortis grandis est lors du putsch de Buyoya I contre Bagaza. Je n'aurais jamais imaginé dans ma courte carrière d'officier que je pourrais dormir sous la menace d' une baïonnette d'un militaire ou d'un sous officier. Je ne souhaite pas que mon pays connaisse la même situation car c'est cette manière de faire qui a facilité et utilisé pour l'assassinat du Président Ndadaye.
Respectons l'Armée
L'Armée burundaise est victime de ses succès, de sa ligne et de sa cohésion. Personne ne pourra l'utiliser pour son compte. Elle est au service du peuple. Au moment où elle commence ses entraînements, ses formations, certains voudraient la déstabiliser dans l'espoir de récupérer un désordre qui ne profitera à personne; d'autres pensent que cette Armée empêche de causer le chaos au Burundi.
L'Armée est la seule institution qui garantit un respect du pays par son sérieux, son refus d'ingérence dans la politique. Si elle a atteint un niveau actuel de garant de la République, elle le doit à un homme. Certains hommes politiques et même certains officiers ne le voient pas d'un bon œil. Au Burundi, le travail est devenu un accessoire mais la soumission au pouvoir est devenu le principal.
L'Armée a assez de force morale pour résister aux déstabilisateurs et pourra régler sans problème des questions internes. Cependant, elle doit privilégier un dialogue franc au niveau des causeries morales. La pédagogie s'impose et les officiers devraient s'inspirer du comportement du général Napoléon quand il conduisait ses hommes au combat. Plus un officier est proche de ses militaires, sans arrogance, en étant juste, plus les militaires sont prêts au sacrifice pour accomplir les missions. L'Armée est comme une famille pour les militaires.