RADJABU, POURRA-T-IL MARQUER UN POINT CONTRE LE PRESIDENT NKURUNZIZA ?

 Burundi news, le 09 mars 2007

Par Gratien Rukindikiza

En politique, tout est possible. Un politicien perdant peut se révéler gagnant à la dernière minute. Les rebondissements sont fréquents en Europe, surtout en France. L’ancien premier ministre Balladur était gagnant dans les sondages, Chirac n’avait même pas de chances d’accéder au second tour. Ses militants l’avaient fui au profit de Balladur. Mieux vaut miser sur le cheval gagnant. En fin de compte, Chirac est devenu Président de la République et Balladur a été éliminé au premier tour.

Dans l’armée, personne ne pouvait accepter l’idée de l’intégration massive des anciens rebelles en 2000. J’avais écrit sur cette intégration et j’avais été traité de tous les noms. Aujourd’hui, c’est la réalité.

Le jeu du donné gagnant et celui du battant

 La destitution de Radjabu ne posait pas de problèmes en soi. Tout était prêt d’autant plus que la décision majeure a été prise en dehors du parti pour ne pas nommer l’institution qui a initié la démarche. Les civils du CNDD-FDD qui prétendent dans tout Bujumbura qu’ils sont à la base de la destitution de Radjabu devraient adopter un profil bas. La peur au ventre, ils ont suivi le mouvement avec des tambours.

Ceux qui voulaient destituer Radjabu ont été servis sur un plateau par le silence et les hésitations du Président de la République. Le jour où le Président de la République a été convaincu et a accepté la destitution de Radjabu, le jeu devenait gagnant, presque.

La forme a fait défaut car selon le règlement du CNDD-FDD, seul le président du parti pouvait convoquer un congrès. Or, Radjabu ne pouvait pas convoquer un congrès pour se faire destituer. Malgré les différents messagers reçus, il a été intraitable. Le congrès a finalement eu lieu, en respectant ou non le règlement du parti. Certains diront pour la bonne cause.

Le battant ne s’est pas avoué vaincu. Radjabu a commencé sa bataille. Celui qui a cassé la justice a fait recours à la justice pour invalider le congrès extraordinaire. Ses différentes démarches font penser que sa tactique est réfléchie.

Tu me tiens, je te tiens par la barbichette, le premier qui rira aura une tapette !

Ce jeu d’enfants est bien connu en France. Au Burundi, on pourra attribuer la chanson à Radjabu et au Président Nkurunziza.

En destituant Radjabu de la présidence du parti, le problème Radjabu était résolu pour beaucoup de militants du CNDD-FDD. Or, il vient de démontrer qu’il tient encore le Président de la République. Radjabu dispose d’un atout majeur, le Parlement et surtout la présidente du Parlement. La constitution burundaise permet au Parlement et au Sénat de limoger le Président de la République. Par ailleurs, le Président de la République de ces cinq premières années de la fin de la phase de la transition ne peut pas dissoudre le Parlement.

Ces derniers jours, le Président de la République a failli connaître le sort de Bagaza destitué en plein sommet organisé par la France. Nkurunziza a failli être destitué au moment où il était au sommet France Afrique à Cannes. La présidente de l’Assemblée Nationale Immaculé Nahayo avait tout prévu, sauf les imprévus de dernières minutes.

Radjabu dispose de 23 députés au Parlement, y compris lui-même et la présidente du Parlement. Il lui reste un député pour avoir 24, prétendre à un poste de vice-président du Parlement et disposer d’un groupe parlementaire. Si Radjabu atteint ce chiffre, il pourra bloquer toutes les lois, toutes les nominations, les votes de budget, bref, il pourra bloquer le pays. Cerise sur le gâteau, personne ne pourra lui retirer son immunité parlementaire car il y aura une égalité de voix au bureau lui permettant de bloquer toute demande de retrait d’immunité. La justice ne pourra qu’aller voir ailleurs. Il faudra provisionner l’avion Falcon dans les pertes et profits au détriment des affamés et des malades.

Aujourd’hui, avec les 23 députés, Radjabu est capable de bloquer le Parlement. Les amis n’existent pas en politique, il n’y a que des intérêts. Le Frodebu et l’Uprona ont tout à gagner avec la déstabilisation du pouvoir actuel. Si des élections anticipées devaient se dérouler, le Frodebu et l’Uprona ne feraient que gagner des points grâce au vote sanction contre le parti au pouvoir. Radjabu pourrait alors faire une alliance de circonstance contre l’équipe de Nkurunziza. Sur les 64 députés du CNDD-FDD, il reste 41 députés qui ne sont pas avec Radjabu. 41 députés ne font plus de majorité. Ces députés ne constituent qu’un tiers du Parlement. 

Dilemme du Président de la République 

Que faire ? Face aux menaces de Radjabu, le Président de la République se trouve devant un dilemme. Le Parlement est devenu incontrôlable par le pouvoir. Le Président de la République ne dispose pas de pouvoir pour dissoudre l’Assemblée et le Sénat. Pour la raison d’Etat, il peut modifier la constitution ou faire voter un référendum demandant des pouvoirs accrus par rapport au Parlement. Il peut aussi violer la constitution et dissoudre le Sénat et l’Assemblée dans l’espoir d’obtenir la confiance du peuple. Il serait dans l’illégalité. C’est une décision difficile à prendre. Il ne serait ni le dernier, ni le premier, ni la première fois  à violer la constitution.

Radjabu est intouchable grâce à son immunité et à son chantage

Radjabu a été destitué pour corruptions, ingérence dans les affaires du pouvoir, etc…. C’était la chanson. Le congrès extraordinaire l’a destitué. Et après ? Un grand silence ! Le coupable d’hier est vite oublié. La nouvelle direction ou le pouvoir ne prend aucune initiative pour porter plainte. Les Burundais se demandent même qui a volé les 5 milliards de francs Bu de l’avion Falcon. Radjabu seul ou Radjabu avec les autres ! Dans tous les cas, le rapport d’audit est clair, il y a eu corruption dans la vente de l’avion. Il y a eu beaucoup d’irrégularités. Et voilà, on ne trouve plus de coupable. Aucun dossier judiciaire n’est ouvert à propos de cette vente d’avion. Il y a lieu de se demander pourquoi tant d’énergie pour destituer Radjabu s’il était blanc comme la neige. Si d’autres personnalités ont partagé avec lui ces 5 milliards, il s’agit d’une haute trahison et elles doivent être jugées comme les autres Burundais. Ce dossier de l’avion Falcon est sensible. Il pourrait déstabiliser le pouvoir. La vérité finira par sortir.

Au Parlement, grâce au soutien de la présidente, le bureau ne peut pas retirer l’immunité parlementaire de Radjabu. Tant que cette dame reste à la tête de cette institution, Radjabu dispose d’une forteresse sûre. Ceux qui rêvent de le mettre en prison devront attendre. Le CNDD-FDD ne peut pas évincer la présidente du Parlement avec un tiers des voix.

Radjabu se révèle un fin tacticien. Il dispose de beaucoup de cartouches pour continuer la bataille. Le pouvoir hésite. Radjabu semble maîtriser le jeu au moment où les autres assistent.