Source : Burundi réalité

HUSSEIN RADJABU: MYSTERE OU CAUCHEMAR ?

Arthur Kazima


Bujumbura, le 19 septembre 2006 (Burundi Réalités)Imaginez un artiste-peintre qui se plaît à créer des tableaux de paysages tourmentés, convulsés méchamment par les éléments de la nature. Qui dessine des pentes vertigineuses, des gorges apparemment inaccessibles, des inondations, des incendies, des torrents dévastateurs, des ponts vermoulus qui défient le courage. Qui montre à voir ce qui se fragmente, s’effondre, explose ou se meurt. Qui peint avec des couleurs agressives évoquant la tristesse ou le sang. Des vents glacés de la terreur qui provoquent des larmes. Des fumées qui font suffoquer et des tonnerres qui déchirent le ciel. Ce peintre aime représenter des hôtes mal vêtus, comme s’il méprisait la beauté et la décence. Et il signe invariablement ses tableaux avec ces initiales: « T.S.H. » Mystère.

Hussein Radjabu : un mystère ?

On raconte que son père est un Rwandais émigré depuis longtemps en Tanzanie, que sa mère est une Rwandaise très proche de Paul Kagame. Aucune importance. On ne choisit pas ses origines, mais on peut choisir de lutter pour la justice, ou tout simplement d’être humain. Humain. L’homme Hussein Radjabu a d’abord choisi d’être un rebelle dans le CNDD, mouvement politico-militaire dirigé par Léonard Nyangoma. Vulgarisateur agricole qui n’a jamais rêvé d’académie, il sera par « le courage et la détermination » commissaire général chargé de l’approvisionnement. Dans une région marquée par l’instabilité et la guerre, le jeune homme conçoit peu à peu des rêves de revanche sur le destin. Et les voies qu’il emprunte sont aussi simples que dangereuses. Se servir du régionalisme pour écarter le leader du mouvement, et se frayer lentement mais sûrement la voie vers le pouvoir. 1998 : il fomente un putsch contre Nyangoma en se servant du chef d’état-major Ndayikengurukiye. Le mouvement issu du putsch se rebaptise CNDD-FDD. 2001 : il écarte celui-ci et met à sa place Pierre Nkurunziza, non plus comme coordinateur général, mais Représentant légal. Son homme de main Adolphe Nshimirimana, homme sans niveau d’études et réputé pour sa brutalité, est nommé chef d’état-major des FDD. Les deux hommes, Nkurunziza et Nshimirimana, qui doivent leur ascension à Radjabu lui obéissent au doigt et à l’œil. Et c’est à lui que Nkurunziza doit son accession à la présidence du CNDD-FDD et, par ricochet au poste de chef de l’Etat.

Machiavélique

La fin justifie les moyens. Cet adage dangereux est la maxime maîtresse de Radjabu. Jouant avec les contradictions sous-régionales, où certains régimes voyaient d’un mauvais œil l’essor d’une rébellion vouée à la démocratie, il revêtira les habits de Judas pour liquider les jeunes combattants officiers issus de l’université ou de l’Institut Supérieur des Cadres Militaires (ISCAM) et deviendra le liquidateur infiltré de la lutte pour la démocratie. Il n’hésitera donc pas à approcher les régimes dictatoriaux d’Afrique noire et du monde arabe pour avoir soutiens et financements.

A l’approche des élections qui devaient clore la transition, un homme apparaît comme un sérieux obstacle aux ambitions de Radjabu : Simon Nyandwi. Ministre de l’intérieur dans le gouvernement de transition, il a légalisé le CNDD alors que les ténors du CNDD-FDD rêvaient de lui voler et son histoire et son nom. Sa mort a beaucoup intrigué. Et des émissaires auraient été envoyés à sa famille pour la persuader de retirer sa demande d’autopsie, contre la promesse du perchoir pour la veuve du défunt…

Mais les soupçons les plus inquiétants concernent l’origine de la fortune de Radjabu. Celui-ci aurait un compte de six millions d’euros en Europe. Certains y voient la destination de l’argent amassé à l’occasion des divers scandales de corruption que dénonce régulièrement l’opposition. D’autres soupçonnent une filière islamiste. Des liens avec le Soudan d’El Béchir sont aussi avérés. Hussein Radjabu aurait envoyé dans ce pays de nombreux jeunes pour suivre des entraînements. L’équipe serait dirigée par un certain Jean-Bosco Hakizimana et serait le vivier où Radjabu entend recruter des terroristes et des tueurs à gage chargés de liquider les opposants. Parallèlement, il poursuit le positionnement de ses proches à des postes stratégiques : après la démission du deuxième vice-président Nzomukunda, il a fait nommer une de ses proches , Marina Barampama. Il veille aussi à nommer ses amis ou ses obligés dans les ambassades de pays islamiques afin de couvrir le financement de l’islamisation rapide du pays.

S’imposer brutalement à la tête du pays

Le style Radjabu est un mélange de mépris pour les Burundais, d’arrogance et de cynisme. Il a réussi à imposer des jours fériés pour les musulmans sans passer par le législateur. Il s’est opposé à des nominations par les responsables de l’exécutif, notamment le deuxième vice-président démissionnaire, il a organisé un réseau mafieux de corruption, il fait tout pour noyauter à coup d’argent les partis d’opposition.

Dès le mois de novembre 2005, il a tenté de relancer le régionalisme : dans une déclaration du 15 novembre relative à la commémoration des combattants tombés sur le champ d’honneur, le parti de Radjabu a tenté malhonnêtement de faire endosser à l’honorable Léonard Nyangoma, président du CNDD, la responsabilité de la disparition de certains de ses combattants. Le 30 décembre 2005, dans une déclaration 002, Radjabu en personne a adressé des menaces et des injonctions au Gouvernement : « Le gouvernement devrait, dans les meilleurs délais, acquérir un nouvel avion présidentiel pour les différents déplacements du chef de l’Etat » La suite de cette injonction fut le scandale du bradage de l’avion présidentiel, occasion d’une malversation décriée par l’opposition. Avril 2006, le scandale de la corruption, du trafic d’influence est dénoncé par le député Mathias Basabose. Résultat, il est exclu du parti sans s’expliquer. Le 17 avril 2006 les journalistes venus suivre la conférence de presse organisée à son domicile sont séquestrés et certains brutalisés. Le 3 juin, une conférence du parti de Radjabu décrète des mesures draconiennes contre les médias, la société civile et l’opposition. Juillet 2006 : les réunions de l’opposition sont interdites. Début août 2006, un complot ourdi de toutes pièces est annoncé et plusieurs personnalités de l’opposition sont arrêtées et mises en prison. Parmi elles l’ex Président Ndayizeye et l’ex vice-président Kadege qui a été torturé et déshonoré. Le président du CNDD, dont l’assassinat a été décidé échappe de justesse à la mort.

Tout sauf Radjabu

On cherche en vain dans ce patronyme Radjabu quelque chose d’authentiquement burundais. C’est celui d’un petit malin qui compte sur les fétiches et l’argent sale. Et, de toutes parts s’élèvent des interrogations : comment les Burundais, si attachés à leur identité, et qui ont fait preuve de tant de dépassement, en sont-ils arrivés à courber l’échine devant un aventurier cripto-islamiste comme Hussein Radjabu ? Comment les Burundais en sont-ils arrivés à avoir un Président manipulé, entouré de conseillers au passé mal famé, un chef de l’Etat qui se concentre difficilement et qui semble courir derrière une lubie introuvable ? Pendant que les pétrodollars affluaient vers le Judas qui a dévoyée la lutte pour la démocratie, l’occident des droits de l’homme snobait les vrais démocrates , oubliant que tout, même la démocratie a un coût.

Hier le Frodebu et l’Uprona vilipendaient la lutte du CNDD et faisaient tout pour lui barrer la route. Aujourd’hui ils font l’amère expérience des persécutés. Cela suffira-t il pour guérir leur myopie politique qui a trop nui au pays ? La misère, la lutte pour la survie ; la peur de perdre son emploi, unique gagne-pain pour beaucoup dans un pays où seuls les membres du parti au pouvoir ont droit à un emploi public, la fatigue après une décennie de conflit, tout cela ne suffit pas pour justifier la résignation devant une tyrannie galopante. C’est le réflexe ventriotique, le goût des gains faciles, l’ambition à courte vue, proie des sirènes tribalistes, régionalistes et maintenant religieuses qui enferment notre pays dans les filets de la médiocrité, de la misère et de la dictature. Mais ceux qui ont encore le sens de la dignité nationale devraient transcender la peur et le réflexe alimentaire et s’opposer unis, par tous les moyens, à la bête immonde.

La signature « T.S.H. » du peintre imaginaire, ouvrier symbolique de Hussein Radjabu veut dire « tout sauf humain. » Si cette phrase peut achever de nous dire ce que nous sommes devenus nous-mêmes, nous ne cesserons jamais de fuir l’humanité.