Recomposition du paysage politique ou disparition d’une foultitude de micro-partis extra-alimentaires

 

Par Steve De Cliff

www.barundi.org

20 juin 2005

 

 

Ottawa, le 20/06/2005 (abarundi.org). -Les élections communales au Burundi sont interprétées comme une sentence prononcée contre les dirigeants de certains partis politiques, tandis que celles du 4 juillet prochain s’avèrent comme l’exécution de la sentence. La sentence va des peines légères pour certains, tandis que pour d’autres comme le Frodebu et l’Uprona, c’est la peine capitale.

Une foultitude de micro-partis extra-alimentaires va disparaître complètement du paysage politique burundais, tandis que d’autres s’en sortiront complètement démembrés et atrophiés à perpétuité. En effet, ceux qui n’obtiendront pas 2% des suffrages exprimés ne pourront pas participer au nouveau gouvernement. Ils seront rayés automatiquement de la carte politique.

Les élections communales du 3 et 7 juin ont mis en évidence 6 partis politiques sur la trentaine officiellement enregistrée. Il s’agit du CNDD-FDD, du FRODEBU, de l’UPRONA, du MRC, du PARENA et du CNDD. Avec les législatives du 4 juillet prochain, on s’attend encore a plus de tamisage. Parmi les six, seuls le CNDD-FDD et le MRC pourront améliorer leur score. Le CNDD-FDD verra son score largement amélioré malgré son silence sur le dossier des réfugiés rwandais. C’est que, pour le moment, il est le seul à prôner le seul discours que la population est en mesure de comprendre: qui a ramené la paix? Qui a forcé la création des FDN? Qui est le seul parti opposé aux clivages ethniques?

Quant au Frodebu, il va certainement se retrouver avec un score encore plus lamentable que celui qu’il a obtenu aux communales. Dans le cas du Frodebu, il faut se rappeler que son échec aux communales a été même plus cuisant dans les communes où normalement il devrait avoir un score confortable.

Par exemple, « ni la commune natale du Président en Exercice, Domitien Ndayizeye, ni celle de l’ancien Président Sylvestre Ntibantunganya, ni celle du Président du Frodebu et Président de l’Assemblée Nationale de transition, Dr. Jean Minani, ou encore moins la commune natale de feu Melchior Ndadaye ou de son épouse Mme Laurence Ndadaye, aucune n’a octroyé une victoire même symbolique au parti Frodebu. Une telle impopularité allant jusqu’à un score de moins de 5% des suffrages exprimés sur leurs collines natales à l’exemple de Ntobwe, la colline natale de Mme Laurence Ndadaye où elle a voté pour ne totaliser que 186 voix sur 1535 électeurs (12%), témoigne que les burundais voulaient se débarrasser des responsables du Frodebu et leur pouvoir qui n’ont gardé que la photo sur tout le patrimoine que le héros national de la Démocratie, Melchior Ndadaye, leur avait légué », peut-on lire sur le site burundi-info.com.

Comme corollaire à cette défaite assurée du Frodebu, Monique Mas de RFI renchérit. « C’est bien sûr sans surprise qu’une carte à dominante hutu sort du jeu électoral burundais. Que le vote prenne la forme d’une sanction du Frodebu ne surprend pas davantage. Au fil de douze longues années de troubles politico-militaires la ligne du CNDD apparaissait en effet comme la plus facile à déchiffrer pour une population saignée par la guerre. En revanche, une lourde incertitude restait attachée aux échecs politiques répétés du Frodebu face à l’armée adverse. Il s’était avéré difficile en effet pour la majorité hutu de comprendre, autrement que comme une faiblesse plus ou moins coupable, le compromis politique, la «Convention de gouvernement» consentie à ses adversaires tutsi en septembre 1994 par Sylvestre Ntibantunganya. Ce dernier était le troisième chef d’Etat burundais issu du Frodebu, après feu Melchior Nadaye, assassiné par des partisans de Buyoya en octobre 1994, et après Cyprien Ntaryamira, mort dans l’attentat contre l’avion du Rwandais Juvénal Habyarimana, en avril 1994 ».

« Ntibantunganya balayé du pouvoir par Buyoya, en juillet 1996, le rapport de force musclé entretenu par le CNDD-FDD est apparu comme une option parfaitement logique. Plus tard, sa décision de boycotter les négociations politiques d’Arusha, en réclamant des pourparlers directs avec l’armée, est restée cohérente. En même temps, à la différence des FNL par exemple, le CNDD-FDD a su se garder des sirènes ethnistes. Il s’est structuré politiquement, sans façons communautaires particulières. Les électeurs étaient au rendez-vous », peut-on lire sur RFI, le 07/06/2005. Le 3 juin dernier, les électeurs étaient donc au rendez-vous pour remercier le CNDD-FDD et sanctionner le Frodebu, l’Uprona, et même l’autre CNDD.

« L’autre » CNDD a joué sa dernière carte

En effet, s’il est minuit pour le Frodebu, il est beaucoup plus tard pour « l’autre CNDD », dirigé par M. Léonard Nyangoma, un ancien ministre de l’Intérieur du Frodebu. Bien que ce soit ce dernier qui avait initié le passage à la lutte armée en 1994, il est tombé rapidement dans les oubliettes de l’Histoire au profit de la branche dirigée par Pierre Nkurunziza, qui domine largement la FDN, la nouvelle armée issue de la fusion des forces armées gouvernementales et les anciens mouvements armés. Pour prix de consolation, -qu’il doit à sa notoriété locale dans ses terres natales-, Nyangoma recevra sans doute quelques députés. Mais pour qu’il ait lui-même une petite chance d’être parmi ces « quelques », il faudrait qu’il ait pensé à s’inscrire en tête de liste dans sa Bururi natale. Car si les communales sonnent aujourd’hui l’heure du CNDD-FDD, il est prévu que les législatives le seront encore davantage.

Le CNDD avait misé sur le retour de Nyangoma au début de l’année, en comptant sur ses grandes capacités de mobilisateur. Mais ce que les stratèges du CNDD ont oublié, c’est que Nyangoma a entre temps vieilli. Usé et fatigué par onze ans d’exil, loin de la réalité sur le terrain, il lui est aujourd’hui impossible de conquérir un terrain que le CNDD-FDD domine depuis onze ans. Les leaders du CNDD-FDD, notamment le Président et le Secrétaire général de ce parti, respectivement M. Pierre Nkurunziza et M. Hussein Radjabu, n’ont jamais abandonné la population. Ils sont restés auprès de la population, pour le meilleur et pour le pire, pour le même combat.

En préférant vivre à l’étranger plutôt que de rester aux côtés de cette population qui l’avait pourtant appuyé en masse lors de la création du CNDD en 1994, Nyangoma est apparu comme un traître, un déserteur aux yeux de cette population. Il faut aussi ajouter une série de scandales qui ont rattrapé le CNDD ces deux dernières années. C’est notamment le scandale lié à l’escroquerie du café des paysans de Bubanza par Nyangoma. Sans oublier le dossier « Bitaryumunyu », un bandit de grand chemin arrêté au domicile d’un haut responsable politique du CNDD à Bujumbura.

Ainsi donc pour « l’autre » CNDD, malgré qu'il ait réussi à surnager lors des dernières communales, ce sera un miracle s’il parvient à éviter la noyade. Il a joué sa dernière carte, celle du joker Nyangoma… et il a perdu.

Les dés sont jetés et ils ne sont pas pipés

Le parti CNDD-FDD est garanti de former le prochain gouvernement dont, -si la tendance se maintient-, au moins 80% des portefeuilles lui sont acquis à l’avance. S’agissant du respect de la formule 60/40 Hutu/Tutsi consacré par les différents accords signés, les responsables du CNDD-FDD répondent : « Nta kibazo (pas de problème)! Ce ne sont pas des Tutsi ou des Hutu qui manquent dans notre parti. De vrais patriotes, et non pas des Bikomagu Jean ou des Ngeze François».

Ainsi donc, lors des législatives du 7 juillet, le pire pourrait arriver au Frodebu. Même avec le ralliement des anciens micro-partis de « la mouvance présidentielle de 1993 », le Frodebu ne pourra pas s’en sortir car ces partis (RPB, PP, PL, Palipe-AGAKIZA) n’ont même pas réussi à totaliser, ensemble, 1% des suffrages exprimés. Quant à certains partis dits tutsi, les communales ont montré que tous se sont déjà distancé de l’UPRONA en s’alignant, soit derrière le PARENA, soit derrière le MRC. D’autres ont carrément mobilisé leurs militants à voter pour le CNDD-FDD. C’est le cas notamment du parti INKINZO, très populaire dans certains quartiers de la capitale. Un diplomate de ce parti, en poste à l’étranger, très influent au sein de ce parti, a déjà rejoint les rangs du CNDD-FDD et appelle ses camarades à en faire autant.

Même certains militants du PARENA affirment aujourd’hui qu’ils ont trouvé au CNDD-FDD une réponse satisfaisante à ce qui les avaient poussé à rejoindre le parti de Bagaza.

« J’avais rejoint le PARENA parce que je voulais me venger des tueries des miens par le FRODEBU et le CNDD de Léonard Nyangoma. J’ai participé à toutes les opérations ville-morte à Bujumbura. Nous ne faisions pas de quartier. Aujourd’hui, c’est le moment de faire le bilan pour constater que nous avons tous perdu. Il y a eu beaucoup de morts de par et d’autre. Il est maintenant temps qu’on arrête tout cela sur une note rassurante pour tous. Cette note, ce sont les nouveaux dirigeants du CNDD-FDD qui la prêchent avec des gestes concrets, sans hypocrisie », nous a confié André-Philippe, un jeune natif de Musaga.

Selon plusieurs sources qui avaient suivi les élections législatives de 1993, celles de 2005 vont se traduire par un raz-de-marée  encore plus spectaculaire. En 1993, le Frodebu avait gagné les présidentielles avec un score confortable de 64% contre l’Uprona (36%). Lors des législatives qui ont suivi, l’Uprona a perdu presque la moitié de ses électeurs qui ont préféré porter leur choix pour les députés du Frodebu, qui a alors obtenu un score de 80%. Le même raz-de-marée est attendu aux législatives du 4 juillet prochain, mais cette fois-ci en faveur du CNDD-FDD. Le contexte lui est favorable. La victoire lui est plus qu’assurée.