Le Burundi sous la menace d’un régime d’exception ?

 

 

II. Quatre pistes pour sortir du guêpier actuel

 

« La seule chose qui permet au mal de triompher, c’est l’inaction des hommes de bien ». Si je pars de ce principe énoncé par un penseur contemporain, je voudrais aussi rappeler la sagesse chinoise selon laquelle il est plus important d’« allumer une chandelle au lieu de maudire l’obscurité ».

C’est ce type de principes qui m’animent encore pour faire suite à mon dernier article sur l’imminence probable d’un régime d’exception, une nouvelle qui, je l’admets encore m’a fait sauter le cœur.

Posons maintenant la question des questions : pourquoi le Président Nkurunziza devrait-il arriver à cette extrémité , qui consiste à proclamer un état d’urgence quand il a été capable d’abolir celui que Micombero avait proclamé il y a plus de trente ans, lors du premier génocide africain d’après l’holocauste ?

Pour réagir aux disfonctionnements institutionnels et aux dégâts collatéraux dus à la crise qui sévit dans les états majors politiques de Bujumbura, à commencer par celui du parti présidentiel ? Ou pour reculer afin de mieux sauter ?

Pour répondre, faisons tout d’abord un petit exercice d’études diplomatiques, afin de ne pas oublier le gouffre total que nous venions de traverser en nous pavanant d’un nouveau gouvernement élu en 2005.

 

Admettons tout d’abord ensemble l’évidence suivante : pour que les Nations Unies en arrivent, en mai-juin 1994, à décréter l’installation d’une force d’imposition de la paix, au lieu d’une simple mission d’observation comme celle qu’a dirigé l’ambassadeur Berhanu Dinka, le diplomate éthiopien, c’est-à-dire une force constituée sous l’égide du très contraignant chapitre VII, article 44 de la Charte de cette organisation, c’est parce que le pays était vu comme une « menace pour la sécurité internationale ».

Considéré comme tel, le pays n’avait plus d’autre choix que celui de demeurer soumis à une surveillance accrue, une sorte de tutelle. Sans aucune référence à l’orgueil bien compris de souveraineté nationale, et dieu sait que les barundi en avaient ! Mais ils se sont soumis aux mesures onusiennes.

S’il en a finalement résulte pour le Burundi que le Conseil   de Sécurité de la même ONU en arrive à modifier sa note au lendemain de la fin du Gouvernement de Transition – qui avait fatigué tout le monde, nul n’est sensé ignorer que cette situation intéresse tout autant le rescapé de Cankuzo ou de Cibitoke qu’un activiste d’Amnesty international ou de Reporters Sans Frontières, confortablement installé à dix mille lieues de Bujumbura, etc. Le Burundi appartient au « village planétaire » devenu encore plus petit depuis la révolution récente des moyens de télécommunications.  

Il suffit d’ailleurs de lire en diagonales les principales missions assignées à ce qui est devenu le 1er janvier 2007 le BINUB (Bureau intégré des Nations Unies au Burundi), qui héritent pratiquement des mêmes urgences en matière de sécurité, de gouvernance et de protection des droits humains, etc. C’est que le chemin pour le pays est encore long… !

Et il me semble – c’est dramatique - que nos Excellences au sommet de l’Etat ont de la peine à réaliser que le Burundi est encore sous une sorte de tutelle (parlons pour moins choquer de surveillance !) de sorte qu’un rien du tout pourrait faire du Burundi un Timor oriental au cœur des Grands lacs africains. La famine qui ravage nos collines pourrait faire encore plus de dégâts dans l’indifférence la plus totale de la communauté internationale qui a laissé mourir, dans l’hypocrisie que l’on sait, plus 4 millions au Congo voisin.

Pourtant ce pays était un enjeu géopolitique majeur et les mêmes qui criaient au désastre sont les mêmes qui ont été capables de se taire au lieu d’intervenir. Le pire peut arriver au Burundi dans une indifférence mille fois plus réelle.

C’est cela que nous devons savoir, nous Burundais, qui avons le désir de crier pour que nos dirigeants ne commettent des erreurs fatales telle que celle relative à la proclamation d’un état d’exception – qui arrangerait les forces du chaos impunies - alors que les voies du dialogue sont encore grandement ouvertes.

 

A propos des 4 pistes pour éviter un naufrage

 

En premier lieu, il faut renforcer et protéger les acquis politiques issus de l’expérience des quatorze dernières années. Le plus important d’entre eux concerne de notre point de vue la vertu de la négociation politique et le rôle des processus démocratiques comme seuls moyens d’accès au pouvoir, au lieu des impardonnables et inutiles coups d’Etat.

En ce sens, nous devrions revenir sur la nouvelle tendance qui avait permis au lendemain du scrutin de 2005 de remarquer que l’ère de l’ethnisme et des solidarités ethnistes négatives pouvait appartenir au passé dans la distribution du pouvoir, créant ce que les politologues modernes appellent de « nouvelles lignes de partage », à la place des références sectaires liées aux appartenances tribales, régionalistes et autres. C’est un acquis fort qu’il fallait cimenter et sur lequel il convient de revenir.

Sous cet angle, il est crucial de rappeler que le respect du peuple passe par le respect de son verdict. C’est-à-dire le respect des institutions issues de son expression souveraine.

En tant que citoyens de ce pays, nous exigeons simplement que les nouveaux élus qui ont, en plus, la chance d’être jeunes, se donnent les moyens de corriger rapidement et maintenant certaines méthodes qui ne nous conviennent plus en 2007.

 

• En deuxième lieu, il est important de proclamer une tolérance zéro pour l’impunité. Il faut satisfaire en effet et sans délai à certaines urgences devant lesquelles la patience est épuisée.  La répression des crimes impunis est de celle-là : en l’occurrence, nous devons être d’accord que le dernier épisode, s’il s’avère fondé à propos des détournements récemment dénoncés, à peine un mois après une table ronde dont les participants attendent encore de voir si les signaux espérés se confirment ne peuvent pas faire oublier les nombreux dossiers en souffrance. Car l’impunité dont nous parlons concerne aussi, et avec un accent plus pathétique, les crimes de sang non élucidés et qui font le lit de la plupart d’autres crimes plus récents qui servent d’exutoires pour des révisionnistes responsables du malheur national des quatre dernières décennies. Nous attendons pour cela le travail de la très attendue Commission Nationale Vérité et Réconciliation (CNVR) avec la plus grande attention.

 

En troisième lieu, nous encourageons nos dirigeants à prendre l’initiative dans le bon sens. Si le CNDD- FDD a gagné le pouvoir à travers les urnes et s’il veut continuer à occuper la scène qui lui est légalement et opportunément reconnue, il lui appartient aussi d’encourager des gestes qui réconcilient plutôt qu’ils ne sèment la panique. Les rencontres de l’autre jour entre le ministre de l’Intérieur et les chefs des partis politiques ou la réconciliation avec médias qui a suivi les arrestations du deuxième semestre 2006 sont à rééditer. C’est ce genre d’initiatives que le Burundi actuel attend.

En effet, le CNDD-FDD n’est plus l’acteur non étatique repoussé dans le maquis par les circonstances et les justifications que l’on sait ; il s’agit aujourd’hui d’un parti gouvernemental, un gestionnaire du sort qui intéresse les 7 millions des Burundais. Il est le comptable attitré du bien être de l’opposant le plus antipathique à ses yeux et sur ce point, les obligations universellement reconnues auxquelles il a à faire face sont d’une telle exigence que les excuses qui étaient valables durant le moment de grâce des premiers mois est définitivement passé.

Ceux d’entre nous qui avons vécu les déviances de la fin des années 1980 pourraient en dire plus long : la méthode du grand bâton a échoué. Le Burundi a connu des hommes politiquement puissants qui se sont élevés trop rapidement au devant de la scène et qui ont ensuite démérité dans des scénarios des plus pitoyables. Le dernier scénario du genre s’est déroulé sous nos yeux en janvier-février 2007. Il n’y a pas encore un semestre ! « Aha turi hari abandi kandi hazosubira abandi » : sachez que des événements similaires sont susceptibles de se répéter plus rapidement que l’on ne pense si les évidences continuent d’être niées…

En ce sens, il est urgent de mener des actions de terrain qui aident à « dépolluer les esprits ». Pour parler comme l’Unesco, il s’agirait de « désarmer les cœurs », un défi qui est de loin le plus urgent dans ce pays et sur ce terrain, nos dirigeants seront étonnés par le nombre incalculable de citoyens qui les rejoindront pour appuyer le dialogue recherché dont nous allons maintenant parler.

 

En quatrième lieu, il est temps donc d’amorcer sans délai la logique de dialogue que nous avons appelé national, général et global. Ce dialogue, pour respecter les règles d’une consultation de qualité, doit réunir au moins quatre qualités fondatrices. Il doit être participatif et inclusif, transparent et respectueux des spécificités sociales, géographiques, professionnelles.

Le Cirid rejette la stratégie qui consiste dans la création de commissions qui ensuite monopolisent la discussion comme s’il s’agissait d’une affaire privée alors qu’il est question de réfléchir sur un avenir commun. Nous plaidons pour une démarche publique, qui prend tout le monde à témoin et montre à chacun qu’il est partie prenante de la solution.

Il est peu de dire donc que le gouvernement en place ne saura seul être capable de le conceptualiser et encore moins de le réaliser à la satisfaction qu’il nous faut s’il n’épouse pas la valeur de la transparence et du respect des différences. Nos dirigeants exécutifs ne sont là que pour créer le cadre, donner le ton, à l’écoute de ce que les mouvements communistes ont appelé les « forces vives de la Nation ».

Les détails quant à l’organisation d’un tel dialogue n’ont pas de place ici : ils seraient nombreux à étaler. Le plus urgent est de noter que ce dialogue doit concerner les questions nationales prioritaires qui gouvernent notre avenir immédiat commun à tous, jusqu’au dé là de nos frontières.

 

 

Existe-t-il une échelle des priorités ?

 

Certaines de ces questions ne sont livrés ici qu’à titre indicatif : on doit toute fois noter que la mise en œuvre finale des urgences liées aux accords de paix, y compris le dialogue avec tous les groupes résiduels manipulés par les politiciens convaincus que la voie des armes leur donne plus de crédit, occupent le premier échelon des priorités.

Ceci va de pair forcément avec la stratégie de désarmement des populations civiles ainsi que l’intégration de tous les anciens combattants qu’ils soient du gouvernement ou des mouvements armés, et cela ne va aboutir aux résultats escomptés que si toute la population est amenée à collaborer à cette tâche.

N’oublions jamais que la guerre civile a été alimentée, entretenue pendant plus de dix ans par les contributions volontaires ou involontaires que les protagonistes des camps qui s’affrontaient ont bénéficié à divers niveaux et de plusieurs manières par les mêmes Barundi qui disent aujourd’hui non à la guerre et à toutes les autres aventures autoritaires.

Une fois cette urgence négociée, on pourrait plus facilement s’attaquer aux urgences de la reconstruction et d’un bon accueil des rapatriés. Les Barundi ne doivent pas penser que ce sont les « Bagiraneza » qui viendront « stratégiser » sur de telles questions à notre place. Ils ont déjà fait plus qu’il ne fallait : seuls les aveugles l’ignorent.

Mais un dialogue national, général et global est en mesure de tracer le chemin, et les amis du Burundi, qui sont nombreux à vouloir aider, on l’a déjà vu,  pourraient plus facilement que l’on ne le croit, agir dans l’intérêt de la stabilité long terme. La balle est dans notre camp.

 

Déo Hakizimana, Président du Cirid, www.cirid.ch d.hakizimana@cirid.ch,  Genève, 4 juillet 2007