Burundi news, le 06/01/2010
¨Par Régine Cirondeye
Diaspora de chez nous, diaspora de chez vous
Sur les chaussées de la fuite des nombreuses brettes,[1]
Quand les maux qui érodent nos peuples nous ont catapultés
La chance dans toutes les religions nous a occultés.
Depuis hier, avant-hier ou depuis belle lurette,
Dans une nuit de tous les mois de l’année, même bissextile,[2]
Nous avons atterri en terres arides, sans goussets.[3]
Je pause une minute, pour évoquer Avril,
Et je pose encore des questions sur la « Nuit d’Octobre » d’Alfred de Musset.[4]
Sortis en rampant, quand la haine a annihilé nos entrailles,
Quand il n’y avait plus de funérailles,
Quand certains ont séché leurs blessures,
Et cimenté nos commissures,
En brûlant toutes nos collines jusqu’au point d’usure,
Ntega-Marangara, la Kibira et Kibimba,[5] sur mesure,
Quand on a immortalisé les villes que l’on désirait « Mortes »,[6]
Quand ils ont tué juste Melchior sans « les Ndadaye »[7],
Et que dans l’aphasie[8], il restait seuls l’air et le vent à condamner,
Et l’interdiction à nous tous de cancaner[9] et de vanner.[10]
Certains noms de morts effrayent toujours bien des remblayes,[11]
Les yeux de ses assassins regardent ailleurs que dans ceux de ses ouilles.
En attendant que devant tous, ils s’agenouillent,
Les ouilles de ces fauteurs de trouble changent d’identité,
Et parmi nous, ils meurent de honte de l’inimitié de ces entités,
Pour ne citer que ces quelques insolites cohortes.
Cohortes qui nous ont éjectés par seringue, à comptes gouttes ou en masse,
Emportés tout-azimuts dans diverses vagues saccagées.
Pour parfaire, l’incertitude, la pauvreté et j’en passe, ont amassé et amasse
Seniors, Juniors et Cadets
À l’étranger, l’esprit et l’âme à court d’haleine et endommagés,
En criant tous au secours comme des baudets.[12]
« Un malheur ne vient jamais seul ».[13]
La même vague a recueilli au passage des Ténors dans sa trombe[14]
Oui, des farfadets[15] de tant d’hécatombes
Qui jouent parmi nous le Rhombe.[16]
Avec, en main, un verre de muscadet.[17]
Ils ont tué les nôtres, et galopé avec leurs linceuls.[18]
Du haut de tant de vicissitudes,[19]
Et tant d’incertitudes
D’un univers plus crédible,
Dans une protase bien audible,
Avec ou sans témoins,
Nous, incluant les femmes, disposons au moins,
De l’encre, d’un encrier et d’une plume.
Et, antonyme à la coutume,
Nous déversons les proses d’un cri d’alarme déterminé,
Qui déplument les terrains minés.
Quand nous parlons et écrivons, les ténors se fâchent,
Et quand ils se fâchent, nous parlons et nous écrivons sans taches.
Certains ont appris à dire ce que les femmes aiment entendre
Et bien plus, à écouter et entendre ce que les femmes désirent étendre.
Ils ont enfui leurs blessures dans l’apprentissage
De la nomenclature complexe des pays d’accueil, en plein métissage.
Ces fils et filles de Kiranga, le Dieu de nos ancêtres,
Ornés de nivomètres[20]
Se creusent des sentiers sûrs, vers la gloire,
En usant de leurs têtes et/ou leurs mains,
Tels des surhumains.
Ils arborent avec grâce des défis grands et éminents
Comme Songa, Heha et Gikizi,[21] tels des doloires.[22]
Dans leur ubiquité,[23] ils méritent bien d’être turgescents.[24]
Au contact de l’air frais qui souffle de Vénus,[25]
Les cordes vocales féminines conquièrent du tonus
Et changent les règles de la savate.[26]
Dans la foulée, certains hommes en train d’ajuster les cravates[27]
S’attardent dans la mésaventure
Et détachent en un seul coup avec heurt, cravates et ceintures.[28]
La protase de ces femmes bien que lointaine est bien discernable,
Et bien incontournable.
Néanmoins, nos cris forts et leurs ondes sont juniors en terres d’asile
Comparés à ces murmures en mutes à peine audibles,
Aux allures irréversibles
De nos sœurs au pays, en terres moins fertiles.
D’autres, cloitrés dans des silos auto-triés par ethnie
Qui bouchent l’artère Aorte de l’information
Dégrafent les multiples pistes de confrontation,
Et se spécialisent en Pyrotechnie.[29]
Ces experts-comptables des dérives des autres,
Tiennent des registres des morts de leurs camps,
Mais sont incapables de compter les déboires de leurs apôtres,
Et de pleurer les morts de l’autre clan en contrechamp.
Souvent l’air sévère,
En quête de nouvelles carrières,
Ils regrettent le temps passé sur les bancs[30]
Et méditent sur les anciens diplômes suspendus sur des murs blancs.
Tels dans une autre ère,
Certains rêvent le matin de Tanganyika et de ses alentours,
Comme au pays, tels leurs sœurs et leurs frères,
Avec des yeux de vautours,
Fantasment le soir de « Kigobe »,[31] l’ultime strate du premier rêve,
Si les bagouts y sont en trêve.
Au royaume de la démon-cratie,[32]
Et de la ploutocratie,[33]
On y arrive « aussi bien » au creux du bras d’un frère ou d’une sœur,
Ou en crevant des cœurs, sans rancœur.
Hélas, seules quelques centaines d’entre nous
Peuvent à la fois, aller y chasser des tinamous.[34]
En entendant, la diaspora célèbre le seul fait de vivre,
Et est ivre de survivre en paix, avec ou sans or, ni cuivre.
Du moins, la diaspora de chez nous,
Et aussi –je l’espère- la diaspora de chez vous.
Par Régine Cirondeye (du Burundi), diaspora d’Ottawa (Canada)
reginecirondeye@hotmail.com
[1] Brettes : Disputes, querelles.
[2] Le mois d’Avril de l’année bissextile 1972 est un symbole d’un carnage horrible au Burundi.
[3] Gousset : porte-monnaie. En sémantique, sans rien sur nous.
[4] De Musset, A. (1837). « La Nuit d'Octobre, La Muse». La poésie de de Musset dit: « Et nul ne se connaît tant qu'il n'a pas souffert. C'est une dure loi, mais une loi suprême, vieille comme le monde et la fatalité ». Ici, « Nuit d’Octobre » évoque expressément le mois d’Octobre au Burundi qui symbolise - entre autres - l’assassinat des deux héros nationaux : Le Prince Louis Rwagasore (Octobre 1961) et le Président Melchior Ndadaye (Octobre 1993) et des assassinats de simples citoyens burundais.
[5] Trois régions du Burundi témoins de violences ethniques. A Kibimba, des adolescents, étudiants ont été brûlés vifs.
[6] En référence aux opérations « Villes-mortes » qui ont fait beaucoup de victimes dans les villes au Burundi.
[7] Melchior Ndadaye, Président du Burundi assassiné en 1993, deuxième héros national..
[8] Aphasie: mutisme, lourd silence.
[9] Cancaner: décrier.
[10] Vanner: tamiser, ici décanter la douleur.
[11] Remblayes : Bouches.
[12] Baudets : Ânes.
[13] Un malheur ne vient jamais seul : Un proverbe français.
[14] Trombe : Déluge.
[15] Farfadets : Génies.
[16] Rhombe: Un instrument de music ancien.
[17] Muscadet: Type de vin.
[18] Linceul : Habit qui recouvre un mort.
[19] Vicissitudes : Beaucoup de changements, d’ajustements.
[20] Nivomètre : appareil destiné à mesurer la quantité de neige tombée.
[21] Heha, Songa et Gikizi : Trois montagnes du Burundi.
[22] Doloire : instrument tranchant qui sert à écorcer et dégrossir le bois.
[23] Ubiquité : Art de faire beaucoup de choses à la fois.
[24] Turgescent : Rigide, avoir la tête haute.
[25] Venus: La terre des Femmes dans la mythologie grecque.
[26] Savate : généralement soulier, mais aussi, sport de combat où les adversaires peuvent se donner des coups avec les mains et avec les pieds portant des savates.
[27] Ajustent les cravates: s’ajustent à d’autres types de travail, différents de ceux qu’ils avaient au pays
[28] Détachent les ceintures: sont emprisonnés.
[29] Pyrotechnie : Art de mettre en œuvre des explosifs et des pièces d'artifice, de brûler tout au passage.
[30] Les bancs : Les bancs des écoles, des lieux de cultes, etc...
[31] Kigobe : Le siège du Parlement Burundais. Ici, faire la politique, participer aux activités politiques.
[32] Démon-cratie : Satire poétique inventée par l’auteure, dérivant du mot démocratie et se rapportant aux démons de la haine qui hantent le Burundi.
[33] Ploutocratie : régime politique détenu par les plus riches.
[34] Tinamous : Oiseaux rares et recherchés d’Amérique centrale, ressemblant à des perdrix.