LORSQUE DES VERITES ECLATENT AU GRAND JOUR…

Réaction à l’article de M. Léonidas Ndoricimpa

 

Je veux remercier M. Léonidas Ndoricimpa de relancer le débat sur le Traité de Kiganda en réagissant par son article paru le 29 août. Ce geste est d’autant plus heureux que je vais en profiter pour clarifier son texte et pour le saluer.

 

Concernant l’interrogation, je veux rassurer M. Ndoricimpa, et lui demander de bien lire mes propos : je n’ai pas parlé du « Traité de Kiganda » pour célébrer le début de la domination coloniale. Ce serait une honte. Ce serait surtout jouer le jeu de ceux qui ont décidé d’enterrer cette page de l’histoire en la reléguant à l’arrière plan des manuels scolaires.

 

C’est pour rappeler puis demander de célébrer la bravoure d’hommes exceptionnels, ces « Badasigana » de Mwezi Gisabo - comme Bihome - qui savaient aller jusqu’au sacrifice suprême pour protéger l’intégrité de l’institution suprême de l’Etat. Je signale que les nombreuses réactions spontanées reçues à la suite de cet article ont pour l’essentiel relevé ce côté héroïque, ayant compris pour l’essentiel que notre pays perdait son indépendance le 6 juin 1903, mais qu’à contrario, la puissance occupante, en renonçant à la guerre pour négocier la paix, consacrait ce qu’on savait : igihugu nticitaha.

 

Il faut que les historiens nous éclairent encore plus et c’est pourquoi, en tant que fondateur du Cirid j’annonce le projet que nous avons de multiplier des occasions pour qu’un débat scientifique sérieux se mette en place sur ce sujet. Monsieur Ndoricimpa sera notre premier invité de marque.

Pour le reste, je laisse un collègue du Cirid rappeler le contexte géopolitique qui entourait cet événement pour consolider cette réponse. Joël Hakizimana Muhizi, est lui-même historien, auteur d’un mémoire sur ce sujet à l’Université de Grenoble (France); il nous propose ici un texte récemment présenté lors d’une conférence à l’Université de Bâle en Suisse.

 

 

C'est lorsque des vérités éclatent au grand jour que les critiques bonnes et mauvaises se font écho. L'auteur de « L'Arbre Mémoire » (L. Ndoricimpa) est un historien qui peut nous aider à écrire l'histoire du Traité de Kiganda, qui était en fait, une « lettre de protection ».

 

Veuillez prendre connaissance, à ce sujet, de la conférence que j'ai donnée il y a un mois. Il s'agissait de (dé)montrer le contexte géopolitique dans lequel s'est déroulé cet épisode de la Première Guerre Mondiale qui a éclaté, vous le savez, suite au besoin qu’avait la puissance allemande d’approvisionner son économie et sa puissance par ses débouchés coloniaux, comme la France, l’Angleterre le Portugal et les quatorze Etats parties à la Conférence de Berlin de 1884. Le problème est qu’en 1884, Otto Von Bismarck disait ne pas vouloir faire comme les autres européens, coloniser. Il en fut bien obligé plus tard, lorsqu’il comprit que « détenir » des terres coloniales était une manifestation de la puissance. Il autorisa la Société Allemande de Colonisation à aller de l’avant. Mais, lorsque dans les années 1890 les Allemands entrèrent dans la course européenne aux colonies, il n'y avait plus de terres à se partager, Il fallait alors faire la guerre. Ils eurent le Cameroun, le Togo, la Namibie et l’Afrique orientale. Rapellons que dans le cas de la Namibie, les officiers allemands commirent le premier génocide du XXe siècle et en Afrique, entre 1904 et 1906: celui des Héréros, 800’000, l’histoire de cette guerre est maintenant bien connue. Plus tard, en Tanganyka, Ruanda et Urundi, la campagne militaire qui s'est déroulée en 1916 sur le territoire de l'Afrique orientale allemande a nécessité 11 colonnes belges venant du Congo en direction des frontières Est du Ruanda et de l'Urundi, 21 colonnes britanniques venant des rives océaniques du territoire Tanganyika (actuelle Tanzanie) et du lac Victoria. Et aussi une colonne portugaise venant du Sud de la Deutsch-Ostafrika, en Zambie. Vous le voyez, la Guerre Mondiale qui s'est déroulée sur notre territoire (East Africa) avait pour but de PRENDRE les territoires sous contrôle allemands de l'Afrique orientale, à savoir l'actuel Rwanda et Burundi qui sont devenus des provinces congolaises puis des territoires sous Mandat belge, la Tanzanie étant devenu un territoire britannique comme l'était déjà Zanzibar et la Zambie demeurant aux mains portugaises.

 

Cette guerre, si elle a eu des répercussions importantes en Europe et si elle a commencé en 1914 sur le sol européen, a bel et bien débuté en 1896 lorsque les Allemands décidèrent de prendre le Burundi, dans le contexte de la course aux colonies. .

 

Or, ce petit pays des Mille Collines n'était pas un simple territoire sans cohérence. C'était déjà un Etat et les Allemands ont vite compris qu'il fallait notamment prendre la capitale de cet Etat pour mieux régner dans la région (…)

 

Vous savez que Kiganda était une des capitales du Mwami et vous savez aussi qu'un bataillon de 200 hommes armés de mitraillettes et d’autres armes à feu sont montés au front, à l’assaut des palais du Mwami Mwezi Gisabo, qu'ils ont brûlé ; ils avaient décidé de le tuer pour, à sa place, diriger le peuple, encourageant les rébellions de Maconco et Kilima..

 

Pourtant, les ordres de Berlin n'avaient jamais été d'assassiner les chefs  locaux, mais de conclure à une sorte de contrat, un Traité. Comme le Roi du Burundi avait toujours refusé de conclure quoique ce soit avec un ennemi extérieur, il a résisté, il a fait la guerre à l'Allemagne.

 

Il est important de saisir l'événement d'il y a 104 ans. Sur le plan historique, nous le confirmons, c'est le premier document diplomatique entre un Roi africain et un Empereur européen, Guillaume II, à travers ses représentants (Résidents) sur le terrain. De plus, il a fallu 4 ans de guerre pour que le roi du Burundi, finalement, accepte de négocier : ILS NE L'ONT PAS TUE. Les Allemands ont reconnu que sans lui, rien ne serait possible, se trouvant littéralement déboussolés devant la détermination du peuple – comme l’a fait son fidèle Bihome - à protéger le chef légitime pour assurer la continuité de l’Etat. C’est ce fond civique qu’il importe de célébrer à travers la mémoire du Traité de Kiganda.  

 

Les historiens de l'ère du Parti Unique ont ouvert la voie des études historiques. Ils ont été souvent influencés et le sont toujours par les grandes puissances qui ont supporté la Dictature et caché de belles pages de notre histoire, comme celle-ci.

A nous maintenant de NATIONALISER cette Histoire, d'emprunter à notre manière et sous l'ère de la démocratie et de la LIBERTE DE PENSEE ET DE PAROLE, la voie de l'indépendance intellectuelle.

 

Joël Hakizimana. Pour réagir : j.hakizimana@cirid.ch