LA RESISTANCE BURUNDAISE

 Burundi news, le 27/10/2015

Par Nestor Bidadanure

Aucun pouvoir n’est assez fort pour tuer l’aspiration de tout un peuple à la liberté.

 

Durant les trois mois de manifestations, le peuple burundais a surpris le monde par sa maturité et sa retenue. Il n’a pas cédé aux pillages et à la violence aveugle contre les policiers et les miliciens qui, pourtant, n’ont cessé d’attaquer les manifestants. Les quelques dérapages constatés contre les partisans du pouvoir ont vite été dénoncés par les opposants. « Vous avez le droit de vous défendre, disaient les leaders de la société civile, mais jamais celui de malmener les gens fussent-ils les pires criminels ». Résister sans ressembler de près ou de loin aux oppresseurs, telle fut et doit rester la consigne de la résistance burundaise : un véritable combattant de la liberté n’oublie jamais que l’objectif ultime de son combat est la libération de l’opprimé et de l’oppresseur.

Le pouvoir qui cherchait un prétexte pour justifier la répression des manifestants s’est retrouvé face à un peuple déterminé et discipliné. Alors que la lutte se poursuivait, des solidarités multiformes furent organisées par des citoyens envers les blessés et les plus pauvres. Le « prends soin de toi »  est devenu « prenons soin les uns des autres ». Parallèlement le monde découvrait avec stupéfaction une police qui tirait à balle réelle sur un peuple non armé. Deux questions hantèrent alors les esprits : d’où venait une telle haine des forces de police envers le peuple qu’elles étaient sensées protéger ? Et comment éviter au peuple le choix des armes face à un Etat dont la violence contre les citoyens paraît sans limite ? La réponse à la première question est venue des informations divulguées par les proches du pouvoir qui ont préféré l’exil à la conspiration contre leur peuple. On apprendra que le pouvoir a infiltré dans la police burundaise des miliciens extrémistes issus de la jeunesse du parti au pouvoir, les « imbonerakure » ; que ces miliciens ont été formés clandestinement par les forces génocidaires rwandaises, FDLR, Forces démocratiques de libération du Rwanda, basées dans l’Est du Congo. Plus stupéfiant, des éléments de ces forces extrémistes étaient présents dans la police burundaise. Comme il fallait s’y attendre, celles-ci n’hésitaient pas à tirer sur un peuple sans arme. La collusion entre le pouvoir dictatorial burundais et les forces extrémistes rwandaises n’est pas un hasard. Il relève d’une connivence idéologique avec les radicaux du parti au pouvoir, le CNDD-FDD (Conseil National de Défense de la Démocratie- Forces de Défense de la Démocratie).

 Depuis le début des manifestations populaires contre la violation de la Constitution et pour le respect des droits humains, les radicaux du CNDD-FDD ont essayé d’ « ethniciser » le conflit politique au Burundi, sans succès puisque le peuple leur a opposé un refus sans appel. Le piège ethnique a tellement fauché de vies dans l’histoire burundaise et de l’Afrique qu’il faut une dose particulièrement élevée d’aveuglement pour oser encore emprunter un chemin qui mène droit dans le gouffre. Alors que le pouvoir cherchait des marionnettes hutu et tutsi à manipuler, il a trouvé face à lui un peuple uni comme un roc. Un peuple lucide qui lutte pour le respect des lois et des droits humains. Un peuple qui sait désormais que la grandeur d’un être humain se mesure à sa capacité à défendre la justice et à construire la prospérité au sein de la communauté humaine et non aux hasards de naissance. La société civile, les partis d’opposition, les confessions religieuses, les anciens chefs d’Etats, d’éminents hauts fonctionnaires de l’Etat, sans oublier une partie des membres du parti au pouvoir, ont tous dit NON à la tyrannie dans leur pays. Vivre debout et jamais à genou tel est le credo d’un peuple insurgé contre la barbarie. Se moquant des mises en garde de la communauté Est-Africaine, de l’UA, de l’ONU de l’UE, des USA…, le pouvoir de Nkurunziza a organisé une mascarade d’élection en l’absence de toute opposition crédible créant ainsi un obstacle de plus au dialogue.

Dans un contexte où la lutte non-violente a été réprimée par une spectaculaire violence de l’Etat, où les dirigeants des manifestations pacifiques qui n’ont pas été assassinés ont été poussés à l’exil ou croupissent dans des prisons sinistres, on ne s’étonnera pas si la résistance armée émerge demain comme le dernier recours de survie d’un peuple en danger. Des hautes collines aux forêts, des vallées aux plaines en passant par les quartiers populaires, la colère gronde au Burundi. Les lèvres murmurent un mot : liberté. Liberté pour les prisonniers politiques, liberté contre le harcèlement et les assassinats des citoyens par la police et les miliciens du pouvoir. Liberté contre les tortures, la faim et la corruption mais aussi pour la vérité ! La vérité sur les responsables des crimes contre l’humanité au Burundi, la vérité sur les disparus.  Par sa cruauté, le pouvoir voulait fabriquer un peuple de soumis et il a au final un peuple rebelle. Frère dans la douleur et frère dans l’espérance telle est la culture sociale qui est en train d’émerger au sein du peuple burundais au fur et à mesure que la résistance se renforce. Chacun apprend à mettre de côté la suffisance pour épouser l’humilité. Car l’arrogance, les sectarismes et les vieilles rancœurs sont des ennemis de l’espérance : ils ne peuvent mener à la délivrance nationale. L’esprit de courage et d’invincibilité dans la défense du bien commun souffle sur le Burundi.

Les résistants burundais sont au sein du peuple, dans l’armée, dans la police et peut-être même au sein des cercles du pouvoir. Il y a au Burundi, comme ailleurs dans le monde, des hommes et des femmes d’honneur qui ne vendront à aucun prix la dignité de leur peuple. Prenant exemple sur les peuples qui ont lutté contre les différentes versions du fascisme dans le monde, le peuple burundais s’organise et résiste. Dans l’ombre, des héros anonymes sont à l’œuvre. Face à la prise en otage de tout un peuple, le rêve le plus intime de tout être humain épris de liberté et de dignité est de voir son pays libéré. Tel est aussi le rêve et le sens de la lutte du peuple burundais.

 

LA LIBERATION DU BURUNDI

 

Mère, c’est promis ! nous traverserons la nuit pour un pays de tous les humains. 

 

Si les anciennes générations de Burundais avaient été dominées par la peur, ils n’auraient pas vaincu les esclavagistes. De même, le Burundi ne serait pas un pays juridiquement indépendant sans la lutte dans la dignité des indépendantistes. Sans le courage et les sacrifices des démocrates d’hier, le droit d’élire nos dirigeants nous serait toujours interdit. L’arbre de la liberté a toujours pour racine le courage humain. Il faut du courage aujourd’hui pour sortir le Burundi d’un véritable désastre politique et humain. Parce que les militaires et les policiers sont les filles et les fils du peuple, ils doivent collectivement refuser de tirer sur le peuple. La soumission à la tyrannie au point de faucher ses frères et sœurs est la plus haute humiliation pour un soldat. Le serment des forces armées et de la police est de garantir la sécurité du pays et des citoyens et non de protéger la tyrannie. Tirer sur son peuple c’est la ligne rouge que ne doivent plus franchir, à aucun prix, les forces de sécurité !

De même, aucun burundais ne doit accepter d’être transformé en tortionnaire d’êtres humains. Personne n’est condamné à être prisonnier du passé. Qu’importe ce que vous avez été, vous pouvez encore changer, vous révolter et agir pour un Burundi meilleur. Du passé, on ne peut plus grand chose. Mais le présent et l’avenir restent ouverts. Vous pouvez commencer une nouvelle histoire de liberté. Celui qui vous ordonne de torturer et massacrer votre peuple vous déshumanise et ne sera pas là demain pour vous défendre quand vous serez face à vos victimes. En général, quand les tyrans sont arrêtés, ils nient avoir donné les ordres d’exécuter les innocents. Et même s’ils venaient à assumer demain la responsabilité de leurs ordres funestes, vous seriez condamnés pour avoir accepté l’inacceptable. Ne soyez plus les dindons de la farce. Chaque citoyen burundais doit à son humble niveau contribuer à l’arrêt de l’incommensurable souffrance de son peuple en devenant résistant. Ne rampez plus, ne hurlez plus avec les loups, agissez pour la libération de votre mère patrie.

Soyez de celles et ceux qui, demain, seront fiers de raconter à leurs enfants qu’au moment où la nation tomba sous la botte de la tyrannie, se mirent en mouvement sur le chemin de la résistance pour qu’advienne la liberté dans la mère patrie. Et quand vous vous en irez de ce monde, vos noms resteront lumineux. Car le souvenir de celles et ceux qui ont lutté pour la liberté des peuples en Afrique et dans le monde est inaltérable. Pour que la libération devienne la liberté et l’alternance devienne l’alternative, la lutte en cours au Burundi ne doit pas se limiter au seul renversement de Nkurunziza. Elle doit être une lutte pour un grand projet : un Burundi libre, démocratique et sans exclusion. Un Burundi où les droits humains sont garantis à l’ensemble des citoyens y compris à ceux qui font terriblement de mal aujourd’hui au peuple burundais. Un pays où les familles des victimes d’hier et d’aujourd’hui connaîtront les circonstances de la mort des leurs. Un pays où chaque victime des crimes présents et passés aura un nom, la reconnaissance de toute une nation. Un pays où les contentieux du passé seront traités d’une manière qui tire la nation vers le haut et non vers le bas. Un pays sans corruption où le peuple pourra vivre dignement de son salaire valorisé. Un pays où la justice sera irréprochable et les droits des prisonniers respectés. Un pays où les nouveaux dirigeants ne se contenteront plus du partage des miettes mais lutteront tels des lions pour le développement et la prospérité de leur pays. Un pays où la démocratie rimera avec la transparence dans le mode d’accès et de gestion du pouvoir.

Un pays qui sait accueillir toutes les expériences de réussite dans le monde tout en inventant son propre développement. Un pays où aucun enfant ne sera enfant des rues, où les droits économiques et sociaux seront garantis à chaque citoyen. Un pays où les valeurs d’Ubuntu, (humanisme) d’Ubupfura (noblesse du cœur et de l’esprit), d’Ubutwari (bravoure et héroïsme) et d’Ubushingantahe (l’attachement à la vérité, la justice et la droiture) seront enseignées dès le plus jeune âge. Un pays qui fera corps avec ses voisins pour construire une région sans guerre et sans pauvreté. Pour un tel pays, nul ne doit craindre de lutter. Puisse la communauté internationale, qui dispose des instruments de pression sur le pouvoir de Bujumbura, entendre le cri de souffrance et de résistance du peuple burundais.

A notre époque, nul ne devrait oublier que l’indifférence à la souffrance des peuples pour cause de calculs géostratégiques ou de maigres intérêts économiques a toujours été, dans l’histoire la source de terribles tragédies humaines. Ce que les peuples qui souffrent de la tyrannie demandent aux humanistes de tous les pays, ce n’est pas simplement la condamnation des crimes du passé mais bien plus leur opposition aux tyrannies du présent. Car il faut bien le dire c’est aussi à cause de ceux qui savent mais se taisent ou gesticulent que le peuple burundais continue de mourir. Mais que nul ne s’y trompe, la souffrance du peuple burundais révolte de nombreux citoyens dans le monde. Que ce soit en Afrique ou ailleurs dans le monde, ils sont nombreux à être tétanisés par les images inouïes des crimes du pouvoir actuel sur les citoyens. Les crimes du pouvoir burundais évoquent l’insoutenable histoire de la barbarie humaine et justifient naturellement la résistance du peuple burundais. Et à chaque fois qu’un peuple se lève quelque part au nom de la liberté, l’écho de son cri est repris par des âmes libres au delà de ses frontières. Les résistants burundais ne sont pas seuls ! Les mots solidarité et liberté ont encore de longues racines dans les cœurs des millions d’êtres humains dignes de notre humanité commune. Résistance pays bien aimé : tu n’es pas seul !

 

Nestor Bidadanure