Responsabilité collective : le poids des mots pour la génération actuelle des dirigeants burundais

 Par Déo Hakizimana

Ce mercredi, 1er août, vient de nous réserver une bonne nouvelle : le parlement burundais, après des mois de paralysies a adopté à l’unanimité la loi sur le don de la Banque Mondiale. Il ne faut cependant pas pavoiser et penser que cette embellie va durer.

Si les députés ont dû mesurer l’opprobre dont ils feraient l’objet si l’on venait à établir que leurs intérêts partisans avaient relégué au dernier plan l’intérêt général que supposaient les 40 millions de dollars des Institutions de Bretton Woods, il s’agit plutôt d’un prélude atypique, qui annonce de nouveaux rebondissements surprenants. En cause, les retombées négatives de la crise institutionnelle sur les batailles ardues attendues autour de l’institution parlementaire.

Retour sur le probable régime d’exception

Biens des réactions se sont révélées il y a quatre semaines lorsque nous commentions l’éventualité de la mise en place d’un Etat d’urgence, qui serait la réponse aux blocages politiques responsables de la paralysie actuelle de nos institutions.

Plus remarquable est le fait qu’aucun démenti n’a remis en question les faits commentés, au contraire. C’est qu’ils étaient proches d’une réalité en gestation. Dès lors, notre responsabilité commune, aujourd’hui, c’est d’y revenir et d’en tirer toutes les conséquences.

Disons, premièrement, qu’une lecture rapide, mais avisée des déclarations ou connaissances personnelles du dossier, laisse penser que l’opposition, bien qu’unie pour des raisons opportunistes contre le pouvoir gouvernemental, semble préparer un assaut.

Organisée en un forum non encore codifié, mais suffisamment motivé pour cogiter, elle pourrait, avec ses voix additionnées, aller jusqu’à demander la tête du Dr Ntavyohanyuma, Président actuel du perchoir burundais. Un des ténors de ce forum serait alors propulsé comme il se doit pour passer à deuxième vitesse : un « empeachment » au plus haut sommet de l’Etat. 

Et, dans cette hypothèse, les surenchères pourraient alors embraser le terrain des affrontements politiques. Car une fois après avoir réussi ce coup, il resterait à gérer leurs divergences de fonds, et ce sera dur, car ils savent eux-mêmes déjà qu’ils fonctionnement sur des contentieux ineffaçables que leurs seuls intérêts immédiats savent pour l’heure occulter. Autrement, même si cela est tout de même un bon indicateur d’un degré de maturité qui va de l’avant en dans ce pays, on peut affirmer que le pouvoir central burundais a en face des ennuis considérables.

Une cure d’anticipation est envisageable …

Le parti présidentiel pourrait cependant anticiper. Convaincu, par exemple, que le texte constitutionnel actuel ainsi que les règlements intérieurs des deux chambres ne l’aident pas, il pourrait pousser le Président de la République à proclamer un régime d’exception dont il faut reparler.

En effet, ce régime dit « d’exception » reste un des recours possibles d’un Chef d’Etat élu au suffrage indirect dans les arrangements ethno-corporatistes qui ont mené vers les élections de 2005. Le Président s’en servirait pour se procurer des pouvoirs par définition « exceptionnels ». Il pourrait alors prononcer la dissolution du parlement, appeler à un nouveau référendum qui, s’il est accepté et gagné, ouvrirait la voie à de nouvelles élections (législatives en l’occurrence).

Ayant ainsi pris de court les opposants, qui à ce jour maîtrisent mal l’arrière pays des électeurs, le camp présidentiel espèrerait récupérer sa majorité et continuer ainsi à piloter l’appareil de l’Etat avec de nouveaux acteurs.

Ce scénario serait renforcé par le fait que le seul challenger potentiellement capable d’influencer le cours des choses sur un plan électoraliste national est le Palipehut-FNL : le pouvoir pourrait, pour l’écarter, lui rétorquer qu’il est encore en dehors du processus et que par conséquent il lui est interdit de s’exprimer en tant que tel dans cette compétition.

… Mais des inconnues demeurent

Avec tout ce que cela comporte comme inconnues, nul ne sait comment réagiraient les autres acteurs politiques et non politiques, même si une machine policière était là pour mâter toute velléité. C’est d’ailleurs une occasion pour redire que la spécificité de la vie burundaise de nos jours semble confirmer que le grand bâton n’y peut plus rien : le « système Radjabu », et bien avant celui des colonels et autres majors des Républiques dépassées, peuvent en témoigner.

C’est pourquoi la connaissance des enjeux en présence oblige les observateurs intéressés au plus haut point à appeler à la « responsabilité collective » des Barundi. La position exprimée à cet égard le 31 juillet par le doyen du corps diplomatique de Bujumbura, lequel n’est autre que l’ambassadeur de la Tanzanie voisine, est prémonitoire.

Le diplomate est appuyé par ses pairs du Binub et de l’Union africaine. Et tous mettent l’accent sur le respect des accords de paix signés et appellent les protagonistes burundais au bon sens.

En fait, le vrai message, à mon sens, se trouve dans les mots « responsabilité collective ». Car cette expression veut poser le problème d’un sous entendu majeur, que ces diplomates ne pouvaient, par devoir de réserve, ne dévoiler qu’à demi mot : face à l’éparpillement des forces en présence, face aux partis politiques divisés, face aux centres de décision dispersés, face à une société civile fort peu préparée à insuffler une dynamique volontariste interne immédiate, etc., qui viendra prendre en main cette responsabilité et obliger nos politiciens à se rendre raisonnables ? 

Surtout, qui oserait oublier que cette responsabilité-là relève du devoir sacré de chaque citoyen(ne) ?

Sous cet angle, ce début août 2007, qui rappelle impitoyablement que les rapports de force ont changé, pose un nombre considérable de défis. Il rappelle d’autres mois d’août qui furent la veille de chambardements inattendus. (Nous y reviendrons)

 

Déo Hakizimana - d.hakizimana@cirid.ch