POUR UNE REVOLUTION AGRICOLE

Par Gratien Rukindikiza

 Burundi news, le 27/10/2008

Aucun pays n'a pu se développer d'une façon durable sans penser à son agriculture. Les monarchies du golfe sont une exception mais ces pays sont assis sur une bombe. Le pétrole n'est pas éternel et la crise financière actuelle est capable de faire fondre des milliards de dollars en millions de dollars. Le Portugal et l'Irlande, même les pays comme la France ont pu se développer grâce aux subventions allouées à l'agriculture.

Le Burundi n'a ni pétrole, ni industrie lourde ou légère. Son agriculture reste archaïque. La houe existe depuis des milliers d'années. Elle existe toujours au Burundi. Le transport des récoltes sur la tête date depuis l'existence de l'humanité et il existe toujours au Burundi. Pourtant, on trouve au Burundi les dernières voitures japonaises, les comptes des dirigeants aussi garnis que ceux des pays développés. En réalité, le développement est devenu discriminatoire. La pauvreté est toujours pauvreté en comparaison avec la richesse des autres. Les citoyens de Mwezi Gisabo   identifiaient la richesse par le nombre de vaches possédées et de hectares de terre. Aujourd'hui, la terre possédée n'est plus synonyme de richesse. Il manque de moyens pour l'exploiter. Il faut détenir un bon compte bancaire pour pouvoir l'exploiter. Les vaches restent une richesse dans la mesure où on peut les vendre. Les entretenir exige aussi des moyens.

Qui défend les intérêts des paysans?

Que ce soit chez les politiciens, la société civile, etc..., on trouve rarement des gens qui défendent les intérêts des paysans. Ils ont des vaches à lait et à voix. Ce sont ces paysans qui produisent le café et le thé mal payés et qui donnent le maximum de voix pour faire élire un député ou un Président. Pourtant, ces paysans reçoivent peu de choses en retour. Le café est vendu au prix bas  fixé par l'Etat et manque de subventions directes. Le thé subit le même sort. Il suffit de constater les profits réels et les malversations dans la filière café et thé pour comprendre le manque à gagner du paysan. Ces profits, ces fonds détournés sont des fonds qui devaient revenir aux paysans en supplément des prix d'achat actuel.

On entend les députés de l'opposition crier sur leur sort, tous les députés défendre leurs avantages en nature, que ce soit le carburant ou autre pour des descentes sur le terrain. Il est difficile de savoir pourquoi ils ne parlent jamais de la vraie vie, de la situation de nos chers paysans. Que font-ils de ces descentes? Certains vont fructifier leurs intérêts dans les provinces d'origine avec les frais de l'Etat, d'autres restent dans la capitale.

Le ministre de l'agriculture est  bien au chaud dans ses bureaux au lieu  d'aller constater l'état actuel de cette agriculture. Il aurait dû signaler l'ampleur du désastre, saisir les médias, sortir de ses réserves pour interpeller le pouvoir même s'il en fait partie. S'il attend une famine pour appeler la communauté internationale, il faudra prévoir surtout des cercueils pour enterrer les morts. Je ne sais même pas s'ils auront tous droit aux cercueils.

Une situation catastrophique du monde paysan qui nécessite des mesures exceptionnelles

Je n'ai pas envie d'alarmer mais je n'ai aucune envie de dire que tout va bien alors que la maison paysanne brûle. Je suis fils d'un paysan et je reste attaché à la terre. Des témoignages des paysans me parviennent et me laissent perplexe. Que faire? Les aider, oui. Avec quels moyens? J'épargnerai le lecteur du moi. La tâche principale revient à l'Etat.

Les terres sont restées les mêmes et en certains endroits, les constructions prennent le dessus sur les terres. La population paysanne augmente à une vitesse de croisière et la production par hectare a chuté par manque d'engrais ou de fumiers et aussi par ces pluies qui ne respectent plus les saisons comme dans le passé. Cette augmentation de la population s'est faite au moment où le Burundi se déboisait considérablement en raison de la guerre et de l'exploitation du bois à des fins de cuisson notamment le charbon.

L'Etat doit prendre des mesures pour nourrir la population. La nourrir n'est pas aller quémander des aides à la communauté internationale. Pour combattre une famine à l'horizon provenant de la sous production alimentaire, le pouvoir doit prendre des mesures exceptionnelles. La chute de la production agricole a réduit énormément le pouvoir d'achat des paysans et aussi celui des fonctionnaires. L'Etat s'est engagé dans une fuite en avant en augmentant les salaires officiels et officieux de certains hauts cadres du pouvoir. Il laisse aussi ces hauts cadres détourner des fonds pour maintenir une certaine paix sociale des braves nantis. Cette politique étrangle les autres car les disparités accroissent et  les fonds destinés à la santé et à l'agriculture font défaut.

Aux grands problèmes, on y oppose de grands moyens. Aujourd'hui, la guerre est terminée au Burundi. Le pays a mobilisé plus de 25 % du budget pour financer la guerre. A une certaine période, en prenant compte du budget officiel et des moyens détournés pour contourner l'embargo, l'armée a mobilisé plus de 50 % du budget officiel. Face à ce problème de ce moment, dans le but de contrer la rébellion, le pouvoir burundais de ce moment a mobilisé les moyens. Aujourd'hui, en face, il n' y a pas de rébellion militaire mais un combat social, un combat agraire. Il faut sauver plus de 5 millions d'agriculteurs comme il fallait protéger  tout le Burundi. Le budget de l'armée doit diminuer de certains points au profit du budget de l'agriculture.

Il suffit de collecter 5 % de tout salaire perçu au Burundi des fonctionnaires, des salariés du privé, des intérêts reçus en bons de trésor, des gains financiers divers, des dividendes distribués pour trouver les fonds nécessaires au salut des paysans. Il suffirait aussi de suspendre les missions à l'étranger et à l'intérieur du pays pendant un mois et prélever les dépenses qui auraient été engagées pour les affecter à ce fond agricole burundais. Un fond agricole burundais serait créé et serait géré par des représentants des paysans à 50 %, 30 % des représentants du pouvoir et 20 % par la société civile. La diaspora burundaise serait mise à contribution et je serai le premier à le faire.  Il faudrait prévoir un comité d'audit tournant composé par des experts burundais et étrangers.

Que faire avec cet argent?

Le problème de tels fonds se trouve dans le fonctionnement. Le fond ne pourrait consacrer plus de 5 % à son fonctionnement, le reste à l'agriculture directement. Il ne s'agit pas d'acheter des tracteurs, ni de chasser des paysans pour faire des latifundia. Le fond servirait d'abord à subventionner l'achat des engrais chimiques, les nouvelles semences révolutionnaires sorties des centres de recherches comme l'Isabu. Tous les paysans burundais devraient acquérir au prix bas les nouvelles semences, les engrais chimiques ou bio organiques. Le fond deviendrait aussi l'employeur des agronomes qui font actuellement un travail superficiel. Chaque agronome aurait un cahier de charge et serait considéré comme un salarié du privé. Un agronome sans résultat, fainéant, qui ne serait pas au service des paysans pourrait être remplacé. Le paysan reprendra son rôle de partenaire et non d'assisté incapable comme il est considéré par le pouvoir ceux du passé.

Ce fond devrait penser à introduire une véritable  révolution agricole. Etant en position de force sur les marchés internationaux, il pourrait négocier avec des constructeurs,  japonais qui sont en avance, des prix pour les motoculteurs. Ils seraient acquis par des paysans en mode partagé. Un motoculteur pour trois paysans serait suffisant. Son prix pourrait revenir à moins de 300 000 frs bu. A titre d'exemple, un bon motoculteur japonais vendu en France coûte 350 euros. Une commande directe au Japon pour une quantité de dizaine de milliers pourrait faire chuter les prix à moins de 200 euros. Il va de soi qu'il faudra des motoculteurs adaptés aux pentes des collines burundaises. La houe reste le moteur de blocage de l'évolution de l'agriculture burundaise.

Un paysan, opérateur économique

Les Burundais aiment bien les termes assez lourds. Un commerçant ou un entrepreneur se fait appeler  opérateur économique. Pour arriver à ce terme, il faut une certaine affaire qui marche. Le boutiquier de Buyenzi n'est pas considéré comme opérateur économique. Les députés et sénateurs se font appeler des honorables mais ce terme échappe aux élus communaux. A chacun son terme.

Le paysan burundais est un véritable opérateur économique. Il gère sa terre, il est employeur de lui-même, de sa famille et aussi des employés en cas de besoin. Il est vendeur et il est acheteur. Il est comptable et gère ses relations avec l'administration. Sa production pèse à plus de 80 % dans le Produit intérieur brut. Qui peut dire encore qu'il n'est pas le premier opérateur économique?

Un opérateur a besoin de soutien bancaire. Le fond agricole burundais devrait créer une banque pour prêter aux paysans et consacrer les revenus financiers reçus par ce fond à financer un fond à risque et à le garantir.

Le faux paysan modèle tue le vrai paysan

Il faut arrêter avec cette politique de rendre visite à un "agriculteur modèle" à qui le Président de la République donne une vache ou de l'argent. Cet agriculteur est souvent un chanceux. Il a soit un fils qui lui a donné un capital, une terre qui lui permet une exploitation moderne par son étendu, soit il a gagné de l'argent d'une façon ou d'une autre. Ces modèles ne sont pas copiables et donnent un mauvais exemple. Les autres paysans risquent de se décourager car ils croient que les voies et moyens du voisin modèle sont uniques alors que c'est la fin qui justifie les moyens. En plus, il est ridicule de vanter les mérites d'un paysan modèle au moment où on consacre un petit budget à  l'agriculture.

Un développement à la base d'abord

Un développement chez les paysans provoquerait un mouvement inverse. On aurait l'exode vers les zones rurales. Plusieurs fils et filles de paysans entassés dans les grandes villes sans revenus reviendraient à la campagne pour le nouvel Eldorado. Ce bon agricole permettrait au gouvernement de gagner en taxes diverses car les paysans deviendraient alors des consommateurs. La demande serait relancée. L'offre devrait suivre dans la production semi industrielle. Les banques pourraient financer l'économie par des crédits. On serait en période croissance économique qui devrait générer une inflation acceptable compte tenu des bienfaits de cette croissance.

Imaginons que les paysans arrivent à produire suffisamment pour l'export. Le Burundi pourrait améliorer sa balance de commerce extérieur et en profiter au niveau des rentrées des devises. Une bonne politique de la bonne gouvernance serait la cerise sur le gâteau pour que demain, le Burundi chante le pays de paix et de pain.