Burundi news, le 16/12/2014
Chronique de « Robben Mpimba Island »
Nadine, Odile, Josiane, Gertrude, Furaha
En 1997, Mandela visitait Mpimba, la prison centrale de Bujumbura. Choqué et révolté par l’état sordide de l’établissement, il a interpelé la classe politique réunie à Kigobe pour des négociations de partage du pouvoir en termes très durs. « Existe-t-il au Burundi des gens qui croient en Dieu et enferment des êtres humains dans ces terribles conditions? » a-t-il tonné.
Parties de chez elles, ce samedi matin ensoleillé du 8 mars 2014, Journée Internationale de la Femme, quatre mamans dans le groupe figurant sur la photo ci-dessus, laissaient des enfants en bas âge à la maison et une jeune étudiante espérait poursuivre sa formation universitaire après la marche. Elles avaient toutes décidé de participer à une marche collective, activité sportive pratiquée massivement par les Burundais à travers les rues de la capitale, Bujumbura, et à travers le pays.
Les groupes de marcheurs auxquels elles appartenaient étaient constitués de militants du Mouvement pour la Solidarité et le Développement (MSD), un des partis politiques de l’opposition burundaise. Les marcheurs du MSD convergent de tous les quartiers de la capitale et se retrouvent au centre ville . Très vite leur marche dégénère. Elle est perçue par les Forces de l’Ordre comme une manifestation politique. Or les manifestations politiques, même pacifiques, sont interdites au Burundi. Bien que le droit de manifester soit reconnu par la constitution du pays.
Aussitôt, la police charge les marcheurs du MSD et tente de les disperser. Elle en arrête des dizaines dans la rue. D’autres le seront plus tard au siège de leur parti où ils avaient trouvé refuge pour échapper à la violente répression.
Confusion générale. Echauffourées ponctuées par de grenades lacrymogènes. Les matraques de la police pleuvent, s’abattent sur les manifestants et cognent durement. Selon les témoins, ce sont de véritables scènes de guerre qui se déroulent au cœur de Bujumbura.
Les militants du MSD sont pris dans le piège. Au cours des affrontements, ils désarment deux policiers et, facteur aggravant, les retiennent dans la permanence de leur parti. Mais les deux agents de police seront traités avec humanité. De l’eau à boire leur a été offerte.
Cet incident dramatique donnera à la justice burundaise « les arguments accablants » pour organiser un procès collectif et condamner les prévenus avec des peines d’une extrême sévérité.
Un extrait du jugement prononcé en atteste :
« Le Tribunal
1 – Reçoit l’action publique par le Ministère Publique et la déclare partiellement fondée,
2 – Dit pour droit que les infractions de rébellions, outrages et violences envers les dépositaires de force publique, les lésions corporelles volontaires et de participation à un mouvement insurrectionnel sont établis à charge de……. »
Suit alors l’énumération d’une liste de 21 personnes appartenant au groupe qui a été le plus lourdement condamné dont Nadine et Gertrude. En dehors de ces deux femmes, les autres condamnés, dans ce premier groupe, sont des jeunes hommes.
Le Tribunal, « par conséquent, les condamne à une peine de servitude pénale à perpétuité. »
Fermez les bancs !
Heureusement que l’action publique introduite par le Ministère Publique était « partiellement fondée », dixit le Tribunal. Qu’aurait été la peine prononcée si cette action avait été totalement fondée ? Les manifestants du MSD auraient probablement été condamnés à la perpétuité assortie de tortures et de travaux forcés. Peut-être qu’ils ont même échappé au supplice d’être attachés à un rocher à perpétuité ou de porter des boules de fer au pied jusqu’à la fin de leur vie. Ah mais…la justice burundaise sait être magnanime. Heureusement que la peine de mort a été abolie au Burundi.
Même si les chiffres fournis par le Tribunal sont fluctuants, 21 militants ont été condamnés à la servitude pénale à perpétuité, 10 militants à 20 ans et 13 militants à 5 ans de servitude pénale assortie d’une amende de 50.000 francs. Par contre, 22 militants ont heureusement été acquittés.
Le chiffre définitif des condamnés indiqué dans le jugement prononcé par le Tribunal, un document de 79 pages, n’est pas stabilisé car deux détenues au moins, Odile et Furaha, n’ont pas encore été jugées. D’autres détenus hommes sont peut-être aussi dans le même cas.
Les cinq femmes détenues politiques, comme leurs codétenus hommes, ont donc été jetées dans la puanteur et la promiscuité de « Robben Mpimba Island » après un procès organisé avec une célérité exceptionnelle. En effet, les prévenus ont comparu le 21 mars 2014, soit 13 jours exactement après l’arrestation des présumés coupables
Pourtant, les juges burundais savent que le temps de la justice ne doit pas être le temps de l’émotion, de la vindicte populaire, de la fureur et de la colère du prince. De plus, la justice est rendue au nom du peuple burundais. Or, quel citoyen burundais peut croire un instant que ces cinq femmes constituent une menace sérieuse contre les institutions et la sécurité publique au Burundi ? Si ces beaux visages de femmes de la photo incarnant « la force tranquille » peuvent faire trembler la République, alors vraiment celle-ci est déjà à terre.
Pour autant, la police burundaise doit être respectée comme elle doit respecter le peuple. En outre, la justice a pour mission de protéger la société et les institutions démocratiques. De ce fait, si des preuves incontestables existent prouvant que deux membres des Forces de l’Ordre ont été désarmés et séquestrés intentionnellement, l’acte est punissable mais avec des circonstances largement atténuantes.
Car les militants du MSD ont été agressés de façon soudaine et brutale par la police. Et la situation a dégénéré et a échappé au contrôle et de la police et des organisateurs de la marche. Il faut que la justice reprenne rapidement l’affaire en main et la rejuge avec sérénité et équité.
Le 23 novembre 2014, un membre du « Collectif pour la Mobilisation Citoyenne », un groupement informel composé de Burundais de l’intérieur et de la diaspora qui s’est constitué pour plaider en faveur de la libération des cinq femmes, les a rencontrées. Il est ressorti de « Robben Mpimba Island » sans voix. Etranglé par l’émotion. Car, hélas, les conditions de détention à Mpimba ne se sont pas améliorées depuis la visite de Madiba.
« - Avez-vous le moral, a-t-il demandé au groupe des cinq femmes ?
- Il y a des hauts et des bas, répondent-elles.
La plus jeune, Nadine, semble désespérément triste.
- Toi, tu sembles déprimée, lui demandé-je.
Elle sourit avec timidité.
- Celle-là est toujours déprimée, intervient Gertrude, condamnée à perpétuité, elle aussi.
- Courage, ma chère Nadine! Il ne faut pas déprimer. Tu dois résister pour ne pas donner une victoire aux forces du mal qui t’ont fait subir une telle injustice, ajoute, Gertrude. »
Au juste, qui sont ces femmes détenues politiques à Robben Mpimba Island ?
Odile est mère de deux enfants. Elle a été torturée lors de son arrestation. Elle est incarcérée depuis 9 mois et n’a pas été jugée depuis. Au moment du premier procès, elle était hospitalisée à cause des blessures qu’elle a subies lors de son arrestation. Elle a été passée à tabac et a eu les reins endommagés.
Récemment, Odile avait reçu un mandat d’expulsion du logement pour le 1er décembre 2014 car elle n’avait pas payé les loyers de sa maison depuis 8 mois. Et comble d’infortune, son mari a été chassé du travail en représailles du prétendu activisme politique de sa femme. Il est actuellement au chômage.
Josiane est veuve et mère de 6 enfants dont le dernier a 5 ans. Elle a été aussi tabassée le jour de son arrestation. Elle a été condamnée à 5 ans. Le ministère public a fait appel contre cette peine de 5 ans.
Gertrude est mère de 2 enfants dont le dernier a 3 ans. Elle a été condamnée à perpétuité.
Furaha est une femme chef de ménage. Elle était menacée d’expulsion pour arriérés de loyers. Ses enfants, dont le cadet a 10 ans, ne vont plus à l’école faute de frais scolaires. Depuis 9 mois, elle est incarcérée et n’a pas encore été jugée.
Nadine est une étudiante universitaire en 1ère année dans une Faculté d’Anglais. Elle a été condamnée à perpétuité alors qu'elle commençait ses études.
« Lorsque je lui ai proposé de lui amener des livres, ajoute le membre du Collectif de Mobilisation Citoyenne qui a rendu visite aux cinq femmes, Nadine a souhaité, en premier, la biographie de Mandela, A Long March to Freedom. C'est ce livre qu'elle lit actuellement. Elle rêve de poursuivre ses études par le biais d’un enseignement à distance et souhaiterait recevoir des livres et des journaux en anglais. »
Ces cinq femmes ont cru à la démocratie au Burundi. Elles ont cru pouvoir exercer leur droit constitutionnel d’association politique, de réunion et de manifestation pacifique.
Le Collectif pour la Mobilisation Citoyenne, n’oublie pas les jeunes gens arrêtés et détenus dans les mêmes conditions que les cinq femmes. Il estime, cependant, qu’un mettant la priorité sur la mobilisation en faveur de la libération de ces cinq femmes, la justice burundaise sera obligée d’accepter la révision du procès pour tous les condamnés.
In fine, l’acquittement et la libération de tous les détenus dont la responsabilité individuelle dans les violences consécutives à la manifestation du 8 mars 2014 n’aura pas été prouvée avec des preuves irréfutables, est possible. Car la justice, au cours d’un procès de révision équitable, devra prouver, de façon incontestable, le rôle précis de chaque condamné dans les crimes qui lui sont reprochés. A titre d’illustration, parmi les condamnés figurent plusieurs passants qui assistaient aux affrontements entre la police et les militants du MSD, dont un jardinier et un convoyeur de bus.
Au Burundi, le risque est grand pour que les jeunes qui subissent de terribles injustices soient tentés de prendre les armes pour se faire justice. Mais la violence ajouterait le mal au mal dans ce pays déjà éprouvé par tant de drames provoqués par des guerres civiles cycliques qui émaillent son histoire des 50 dernières années. Seule une résistance non violente peut libérer le pays sans sacrifier de nouveau des centaines de milliers d’innocents.
Dans la tradition burundaise, une maman est sacrée et porter atteinte à une mère porte malheur. Ainsi, emprisonner injustement des mamans contraintes de laisser des enfants en bas âge à la maison constitue une atteinte grave au caractère sacré de la mère prescrite par la tradition. Il ne faut donc pas laisser Furaha, Gertrude, Josiane, Odile et Nadine croupir dans la puanteur, l’insalubrité, la promiscuité et l’interminable ennui qui rongent les détenus à « Robben Mpimba Island ».
Des hommes et des femmes de bonne volonté, au Burundi et dans le monde, doivent réagir et se mobiliser pour leur libération. La formidable mobilisation pour la libération du grand militant des droits de l'homme, Pierre-Claver Mbonimpa donne l’espoir à ces cinq femmes. Leur libération est inéluctable. « La liberté, c’est maintenant » sera le slogan d’une campagne mondiale en leur faveur.
Dans les chroniques ultérieures, ces femmes courageuses expliqueront ce qu’elles espéraient en participant à la manifestation du 8 mars 2014.
Espèrent-elles toujours que les choses changent au Burundi ? Si oui quels changements souhaitent-elles en priorité ?
Dans leur lutte, croient-elles qu’elles incarnent le rêve d’autres citoyens Burundais ?
Le Burundi est entré dans une campagne électorale chaotique. Les institutions seront renouvelées au cours de l’année 2015. Souhaitent-elles que les programmes politiques des partis en compétition comprennent, notamment, l’engagement pour une justice indépendante et équitable, la lutte contre la corruption, le développement pour créer des emplois, la sécurité pour les personnes et les biens et enfin le renforcement des droits et des libertés fondamentales inscrits dans la constitution du Burundi ?
Avec des mots à elles, elles décriront leur engagement afin que les Burundais et les amis du Burundi qui liront leur histoire bouleversante comprennent le sens de leur combat pacifique et les soutiennent.
Les objectifs immédiats de la mobilisation citoyenne
Le Collectif pour la Mobilisation Citoyenne lancera prochainement une campagne mondiale pour que le procès des cinq femmes soit jugé en appel dans les meilleurs délais, du moins pour celles qui ont déjà été condamnées, Gertrude, Josiane et Nadine. La révision de leur procès doit aboutir à leur acquittement et à leur libération.
Mais d’ores et déjà, le Collectif pour la Mobilisation Citoyenne exige la libération immédiate et sans condition pour Furaha et Odile qui n’ont pas encore été jugées et qui, de fait, sont victimes d’une détention arbitraire car les délais de détention préventive prescrits par le code de procédure pénale burundais ont été largement dépassés.
Par ailleurs, le collectif lancera prochainement un projet générateur de revenus afin que les cinq femmes détenues à « Robben Mpimba Island » puissent payer les frais scolaires de leurs enfants, les loyers des domiciles de leurs familles, la nourriture, les dépenses quotidiennes en prison, les frais d’assistance juridique par des avocats et pour la plus jeune, Nadine, les frais pour poursuivre sa formation universitaire en anglais à distance. Dans l’urgence, le collectif a déjà payé les arriérés de loyers à hauteur de 2.200.000 de francs burundais.
Afin d’en permettre une diffusion mondiale, les chroniques de « Robben Mpimba Island » seront publiées sur le site internet www.isangi.info et seront signalées et suivies sur les réseaux sociaux habituels. Une pétition internationale sera également lancée incessamment. Ceux qui souhaitent réagir, agir, témoigner et soutenir moralement ces cinq femmes détenues injustement peuvent envoyer leurs messages à l’adresse suivante : robben.mpimba.island@gmail.com
Selon Albert Einstein, “La seule chose qui permet au mal de triompher est l’inaction des hommes de bien. Le monde, ajoutait-il, ne sera pas détruit par ceux qui font le mal, mais par ceux qui les regardent sans rien faire."
Athanase Karayenga[i]
__________________________________________________________________________________
Informations pratiques
Les bonnes volontés que souhaitent aider financièrement les cinq femmes détenues politiques et leurs familles peuvent faire le virement de leur soutien financier sur les comptes bancaires suivants :
Détenteur du Compte : NAHIMANA Suzanne « Mamans de Mpimba ». INTERBANK BURUNDI S.A BUJUMBURA, BURUNDI COMPTE NO.701-095337-01-79(BIF) Swift Code: IBBUBIBI
|
BANQUES CORRESPONDANTES
1. POUR L’EUROPE ING BELGIUM N.V/S.A, BRUXELLES, Belgique (USD, EUR, GBP, CAD, DKK, CHF) Code Swift: BBRUBEBB
|
2. POUR L’AMERIQUE DEUTSCHE BANK TRUST COMPANY AMERICAS, NEW YORK, ETATS-UNIS (USD) Code Swift: BKTRUS33
|
Le compte, au Burundi, est géré par un Comité de Gestion constitué par les représentants des cinq femmes détenues. Ce comité répartira équitablement les sommes collectées entre les cinq femmes et leurs familles.
Le comité de gestion est composé par les personnes suivantes :
- Président : Chrysostome HARAHAGAZWE
- Vice-président : Frédéric BISHAHUSHI
- Membres: Suzanne NAHIMANA et Jean-Claire BIGIRIMANA
POUR TRANSFERT VIA WESTERN UNION OU MONEYGRAM:
Destinataire à mentionner sur les bordereaux d’envoi : M. Frédéric BISHAHUSHI
Par avance, le Collectif pour la Mobilisation Citoyenne vous remercie infiniment pour votre soutien politique, moral et financier. Soyez encore plus généreux que le Père Noël afin que les enfants des cinq femmes détenues à « Robben Mpimba Island » aient le sourire à l'occasion des fêtes de fin d’année.
[i] Cette chronique a été rédigée à partir de plusieurs témoignages et contributions recueillis auprès des membres du Collectif de Mobilisation Citoyenne en faveur des cinq détenues politiques de « Robben Mpimba Island »