Quand Louis Rwagasore sort de son Mausolée pour lancer un appel aux Burundais

 Burundi news, le 03/05/2015

Par Albert Mujanubusa, un habitant de Bujumbura

La situation dramatique dans laquelle se trouve le Burundi a tellement retourné le Prince Rwagasore dans sa tombe qu’il en est sorti pendant quelques minutes. Juste au même moment où je profitais de mon jogging matinal pour visiter son mausolée. Il en a profité pour me charger de transmettre ce petit message à tous les Burundais :

« Mes très chers compatriotes,

Sans me prendre pour Jésus, je reviens tout juste pour vous donner un conseil que j’estime primordial : lisez s’il vous plaît (entre deux prières), le Discours de la servitude volontaire d’Etienne de La Boétie,  un auteur français du 16e siècle. Il contient des idées qui pourraient doper le combat que vous menez actuellement contre la tyrannie. Cette nourriture philosophique nous avait beaucoup aidés, Lumumba et moi, durant les luttes pour vos indépendances respectives.

Trois extraits pourraient intéresser les plus pressés d’entre vous :

1. La Boétie vous aide d’abord à identifier votre tyran parmi les trois classiques. J’ai peur que Nkurunziza finisse par cumuler les trois définitions si vous ne le dégagez pas dès maintenant:

« Il y a trois sortes de tyrans.  Les uns règnent par l’élection du peuple, les autres par la force des armes, les derniers par succession de race. Ceux qui ont acquis le pouvoir par le droit de la guerre s’y comportent, on le sait et le dit fort justement comme en pays conquis. Ceux qui naissent rois, en général, ne sont guère meilleurs. Nés et nourris au sein de la tyrannie, ils sucent avec le lait le naturel

du tyran et ils regardent les peuples qui leur sont soumis comme leurs serfs héréditaires. Selon leur penchant dominant - avares ou prodigues - ils usent du royaume comme de leur héritage. Quant à celui qui tient son pouvoir du peuple, il semble qu’il devrait être plus supportable ; il le serait, je crois, si dès qu’il se voit élevé au-dessus de tous les autres, flatté par je ne sais quoi qu’on appelle grandeur, il décidait de n’en plus bouger. Il considère presque toujours la puissance que le peuple lui a léguée comme devant être transmise à ses enfants. Or dès que ceux-ci ont adapté cette opinion, il est étrange de voir combien ils surpassent en toutes sortes de vices, et même en cruautés, tous les autres tyrans. Ils ne trouvent pas meilleur moyen pour assurer leur nouvelle tyrannie que de renforcer la servitude et d’écarter si bien les idées de liberté de l’esprit de leurs sujets que, pour récent qu’en soit le souvenir, il s’efface bientôt de leur mémoire. Pour dire vrai, je vois bien entre ces tyrans quelques différences, mais de choix, je n’en vois pas : car s’ils arrivent au trône par des moyens divers, leur manière de règne est toujours à peu près la même. Ceux qui sont élus par le peuple le traitent comme un taureau à dompter, les conquérants comme leur proie, les successeurs comme un troupeau d’esclaves qui leur appartient par nature ».  

2. La Boétie vous suggère une méthode simple pour renvoyer le dictateur Nkurunziza à ses chères études en DD:

 « Ce tyran seul, il n’est pas besoin de le combattre, ni de l’abattre. Il est défait de lui-même, pourvu que le pays ne consente point à sa  servitude. Il ne s’agit pas de lui ôter quelque chose, mais de ne rien lui donner. Pas besoin que le pays se mette en peine de ne rien faire pour soi, pourvu qu’il ne fasse rien contre soi. Ce sont donc les peuples eux-mêmes qui se laissent, ou plutôt qui se font malmener, puisqu’ils en seraient quittes en cessant de servir ».

Organisez donc au plus vite une désobéissance civile généralisée, pour contraindre Nkurunziza à renoncer au troisième mandat. Il tombera automatiquement de lui-même.

Mais le futur ex président est tout aussi dangereux que son système « DD ».  Ce monstre qui vit aux crochets de tous les Burundais et qui a vite dépassé son créateur ne doit en aucun cas lui survivre. C’est lui qui a privatisé l’appareil de l’Etat et ramené les Burundais au vieux temps du servage. Pour avoir un emploi, un service ou un marché, il faut d’abord graisser la patte de l’aigle insatiable. Sa devise est très simple : marche avec moi ou crève de faim.

3. La Boétie lance cet avertissement aux Burundais mais aussi à tous les Africains qui sont inconscients de ce qu’ils endurent. L’habitude est une seconde nature !

«Les hommes nés sous le joug, puis nourris et élevés dans la servitude, sans regarder plus avant, se contentent de vivre comme ils sont nés et ne pensent point avoir d’autres biens ni d’autres droits que ceux qu’ils ont trouvés ; ils prennent pour leur état de nature l’état de leur naissance (...) On ne regrette jamais ce qu’on n’a jamais eu. Le chagrin ne vient qu’après le plaisir et toujours, à la connaissance du malheur, se joint le souvenir de quelque joie passée. La nature de l’homme est d’être libre et de vouloir l’être, mais il prend facilement un autre pli lorsque l’éducation le lui donne (…) Ainsi, la première raison de la servitude volontaire, c’est l’habitude. Voilà ce qui arrive aux plus braves chevaux qui d’abord mordent leur frein, et après s’en jouent, qui, regimbant naguère sous la selle se présentent maintenant d’eux- mêmes sous le harnais et, tout fiers, se rengorgent sous l’armure. Ils disent qu’ils ont toujours été sujets, que leurs pères ont vécu ainsi. Ils pensent qu’ils sont tenus d’endurer le mal, s’en persuadent par des exemples et consolident eux-mêmes, par la durée, la possession de ceux qui les tyrannisent».

Rappelez-vous également de l’historien Charles Austin Beard qui disait : « C’est dans les moments les plus sombres qu’on voit le mieux les étoiles ». Il est grand temps que les étoiles du Burundi sortent de l’ombre et commencent à éclairer les masses paysannes, toujours faciles à manipuler par les populistes de tout acabit. Le CNDD-FDD en regorge, du sommet à la base.

Au cours des premières élections du Burundi libre, j’avais essayé de montrer l’exemple. Relisez mon discours du 18 septembre 1961. Vous y trouverez une asymétrie complète avec les propos intolérants  et les actes  du parti de Pierre Nkurunziza.

La gravité de la situation et le risque de voir s’installer une « Syrie » ou une « Somalie » au bord du Lac Tanganyika m’amène à vous avertir solennellement : « ubutigu burageze » ! Prenez vos responsabilités pour sauver ce pays, jadis de lait et de miel.

Ainsi, du haut de Kiriri, je ne vous contemplerai plus avec une telle honte. Je viens d’apprendre qu’à part  ceux qui sont soudés par l’unique pacte de retarder la comparution à la Cour Pénale Internationale de La Haye, tout le monde aura découragé Nkurunziza de violer les accords d’Arusha pour se présenter une troisième fois aux élections présidentielles. Ce n’est plus un secret. Il veut rester au pouvoir ad vitam aeternam, comme Dieu l’aurait révélé à son épouse.

J’aimerais alors vous poser une seule et unique question : êtes-vous prêts à supporter encore cinq ans un régime mafieux, qui a mis le pays en coupes réglées, l’entraînant dans les trois pays les plus pauvres de la planète et parmi les cinq pays les plus corrompus du monde ? Je devine votre réponse.

Il faut que tous les burundais se lèvent massivement, quel qu’en soit le prix, pour dire non à Nkurunziza, à l’instar des Burkinabés face à Compaoré.

Le pseudo parti Uprona, créé de toute pièce par le pouvoir pour lui servir d’alibi électoral doit également être combattu et condamné pour haute trahison envers mes idéaux. Les vrais « badasigana » n’iraient pas aux élections avec un candidat qui déclare caduques les accords d’Arusha, pour mieux assouvir sa faim génocidaire.

Il paraîtrait qu’il y ait un conseil national des bashingantahe dans le pays.  A-t-il suffisamment crié pour éviter la catastrophe annoncée ?  Le ventriotisme (premier sport national) aurait-il  dérobé leur intahe ? Pourquoi tant de silence.

L’heure est grave, chers amis. L’Eglise Catholique ainsi que les autres confessions ont le devoir de sortir de leur réserve pour participer activement à la survie du pays et des croyants. La première a déjà montré sa détermination avec la neuvaine de prières.

La pression de la communauté internationale devrait passer à la vitesse supérieure. Envisager des sanctions ciblées contre la bande de criminels qui pratique la politique de la terre brûlée, au su et au vu des pays « amis » du Burundi, qui regardent dans l’indifférence presque totale Nkurunziza fermer les radios, couper les moyens de communication pour commettre des massacres à huis clos.

Les jeunes burundais  qui se battent courageusement ont besoin de soutien concret et non de  communiqués ambigus des diplomates occidentaux qui ne connaissent que deux mots : « prendre acte » (seul Barack Obama semble comprendre les enjeux de la crise). Comme les larmes de crocodiles n’effaceront jamais vos souffrances, prenez donc votre destin en main, unissez vos forces, sans distinction d’ethnie, de sexe, de parti ou de religion.

Je vous jugerez à vos actes et ma satisfaction sera sans doute votre fierté, et vice versa. »