Agathon Rwasa, une étrange virginité retrouvée

 

« Portez loin notre voix » !

 

Présentation de Dieudonné Misigaro

 

 

Je vous suggère lecture de cet article monumental que j’ai lu sur ce site Internet anglais, que www.abarundi.org publierait. L’article me touche de plus près, car j'ai connu personnellement l'homme, Richard Ndereyimana que le Burundi a perdu en la fleur de son âge, avec sa fiancée anglaise, Charlotte Wilson que je n'ai pas eu l'honneur de connaître. Ils furent tués bien jeunes (photo), « par le FNL-PALIPEHUTU ». Je n’ai pas eu, pour ce, suffisamment de temps de lire dans la vie aux défauts du Ndereyimana, puisque, lui aussi, il aurait dû en avoir quelques-uns !

 

Richard NDEREYIMANA était de père Hutu et de mère Tutsi ; donc Hutu, d’après notre généalogie absurde, patrilinéaire à l’atavique. Par conséquent, le FNL-Palipehutu a tué un des siens qu’ils prétendait sauver. Je n’insiste pas sur la Mémoire de Charlotte : Elle me dépasse. Vos aimables lecteurs voudraient bien garder le silence dû à cette photo de couple manqué et de vies assassinées, la caressant avec ce respect dû aux assassinés. Le journaliste reporter, John Mellor, auteur de cette tragédie humaine à la burundaise photographie, à l’instantanée,  cette expérience, poignante jusqu’à l’absurde. Mellor était là, chez la famille de « mes enfants », cueillant et recueillant ces témoignages au drame qu’il a rendus avec une lucidité poignarde et une précision l’on ne peut être plus humain.

 

Mais je tiens à rendre hommage à mon frère et ami Ndereyimana et à sa famille, Richard qui n’a pas eu le droit d’embrasser l’amoureuse bien aimée dans la même case éternelle. Elle était anglaise, Charlotte Wilson : « Portez loin ma voix » ! Terrible ! Le journaliste reporter assume par son indélébile signature. Il lance ce cri de douleur collectif. Il interprète le vécu, la voix de la famille survécue à l’hécatombe de Hutu et Tutsi confondus, avec une note de souffrance inoubliable. Richard et Charlotte étaient aussi son frère et sa soeur à lui.

 

Signé : Dieudonné Misigaro

 

Agathon Rwasa, une étrange virginité retrouvée

 

« Portez loin notre voix »

 

Par John Millor

 

 



 

 

Un journaliste, John Mellor, a rendu visite au Burundi à la famille d’une des victimes du massacre du Titanic, ce bus qui faisait voyage vers Bujumbura dans lequel a péri une ressortissante britannique, Charlotte Wilson en décembre 2000. Comment vit cette famille au moment où Agathon Rwasa, le leader du mouvement FNL-Palipehutu responsable du massacre, est actuellement reçu avec tous les honneurs par des « négociateurs politiques ». La communauté internationale qui l’avait classé « terroriste » est subitement devenue amnésique. Dans la famille victime, désespoir et peur se combinent.

Agathon Rwasa, une étrange virginité retrouvée

La vieille maman de Richard Ndereyimana habite chez sa fille Adrienne à une cité populaire de Bujumbura. Dans le salon de leur modeste maison, la grand-mère joue avec sa petite fille Nana, et Adrienne assise sur une chaise allaite son dernier nouveau-né. Un voisin a mis à fond sa radio, c’est l’heure du journal parlé en Kirundi de la radio gouvernementale. Les titres du journal nous parviennent dans le petit salon. A la une de l’actualité le speaker parle de la « bonne évolution des négociations entre le gouvernement et Agathon Rwasa, le leader des rebelles du FNL-Palipehutu ».

La famille écoute les nouvelles de la radio abattue. Depuis quelques temps les officiels burundais parlent d’Agathon Rwasa comme d’un simple partenaire avec qui, il faut négocier tout simplement. Pourtant cet homme est responsable de la mort de tant d’innocents, dont les plus connus, les passagers du « Titanic », les réfugiés Banyamulenge de « Gatumba » ne comptent plus. Même les grands organismes semblent devenus amnésiques. Agathon Rwasa, celui qui était taxé de « terroriste » et mis hors jeu par l’ONU et les chefs d’Etats de la sous-région a retrouvé, par on ne sait quelle magie politicienne, une étrange virginité.
J’attendais « mes enfants ».

Il est très pénible pour la mère de Richard de parler de « ses enfants », c’est ainsi qu’elle appelle Richard et Charlotte. Mais les souvenirs sont précis, douloureux, elle parle de cet après midi de décembre où elle attendait « ses enfants » :

« Richard devait nous présenter Charlotte. On ne la connaissait pas. On avait préparé les poissons Mukeke, Richard adorait ce plat. Mais on avait aussi préparé un poulet au cas où son amie, cette jeune anglaise, n’aimerait pas le poisson. J’attendais heureuse mes enfants. Il avait plu cet après midi-là ». La voix de la vieille maman s’étrangle.

Charlotte et Richard n’ont mangé ni les Mukeke, ni le poulet. Le Bus « Titanic » dans lequel ils avaient embarqué au Rwanda où les deux jeunes gens travaillaient est tombé dans une embuscade l’après-midi du 28 décembre 2000. Adrienne jusque-là silencieuse lâche douloureusement

«C’est à la morgue que nous avons trouvé Richard et Charlotte. Richard avait reçu des balles à la tête, au niveau des côtes et des jambes. Quant à Charlotte… » Elle s’arrête visiblement à bout… « Une congolaise rescapée du massacre nous a dit qu’elle a proposé tout ce qu’elle avait pour que les assassins lui laissent la vie sauve ». Adrienne cherche ses mots.

« Les rebelles lui ont dit « nous allons te prendre tout ce que tu as et nous te tuerons aussi car ton gouvernement ne nous aide pas ».

Adrienne se rappelle un autre détail terrible « ils était nus, les rebelles leur ont tout pris. Tout ».

Selon tous les observateurs, le FNL-Plipehutu a « signé » son crime : parmi les survivants aucun n’est Tutsi. Les rescapés étaient soit étrangers, Congolais, soit Hutu.

« J’ai demandé que l’on enterre ensemble mes enfants » lance alors la mère de Richard.

Adrienne explique que sa mère ne voulait pas que l’on sépare les amoureux assassinés mais on lui a expliqué que Charlotte avait sa famille en Angleterre, et qu’elle devait être rapatriée.

Dites aux WILSON de porter loin notre voix

Les deux femmes se taisent. Elles semblent avoir tout dit. La mort de Richard reste une plaie béante. Depuis, la mère dépérit lentement. Elle a peur aussi pour ses enfants qui restent. Elle ne comprend pas cette politique où à la radio elle entend les grands de ce monde qui rencontrent allégrement les assassins de « ses enfants ».

Depuis quelques années elle vit déplacée dans ce quartier populaire, elle a dû fuir sa propriété au sud de Bujumbura à cause des attaques du FNL-Palipehutu.

« Rwasa m’a pris mes enfants, m’a contrainte à l’errance, je n’ai plus de chez moi, je vis chez ma fille, et on me dit que cet homme viendra bientôt comme dirigeant ! »

Une lueur de révolte passe un instant dans ses yeux mais s’éteint aussitôt.
Adrienne plus combative me dit avec force « les parents de tous ceux qui ont perdu les leurs dans le Titanic se connaissent, nous sommes prêts pour aller en justice, mais ici nous ne sommes rien, ici c’est la corruption, les assassins circulent, dites à ceux qui sont à l’étranger, en Europe, de porter loin notre voix, dites aux WILSON de dire au monde notre détresse. Nous voulons la justice. »

La famille de Richard semble attacher un grand espoir à cette famille anglaise, à l’action de cet autre Richard la sœur de Charlotte.

Au Burundi, cette famille se sent impuissante, démunie face à un Agathon Rwasa courtisé par la communauté internationale et qui, ce n’est pas exclu, pourrait occuper un grand poste prochainement malgré tous ses crimes.

En me raccompagnant la veille maman de Richard Ndereyimana me glisse avec une pointe de chagrin :

« vous savez nous sommes une famille très chrétienne, tous les soirs avant de dormir je récite le Notre Père mais au moment où l’on dit « Pardonnez-nous nos offenses comme nous pardonnons à ceux qui nous ont offensé », ma petite fille Rachel de sept ans s’écrie toujours, mais grand-maman même à ceux qui ont tué Tonton Richard !»

« Je ne sais quoi répondre », me dit alors la maman de Richard.

 

Source: John Millor, in http://agathonrwasa.blogspot.com, Friday, July 01, 2005