Burundi news, le 22/07/2012

SAUVER L'ECONOMIE BURUNDAISE

 Par Gratien Rukindikiza

Une fois n'est pas coutume, nous allons essayer de ne pas parler de la politique même si l'économie a son partenaire économique chaque fois.

Le Burundi ne connaît pas l'envolée économique de son voisin du Nord, le Rwanda. Le Burundi dispose de plusieurs atouts pour développer son économie, augmenter le niveau de vie des citoyens à travers la croissance et l'emploi.

L'agriculture

Les images des paysans du sahel laissent penser que le Burundi est un paradis. Alors que d'autres peuples creusent des puits pour irriguer les champs, les paysans burundais ont la verdure à la portée de la main. La nature a été généreuse, on ne peut pas dire plus. Il manque au Burundi l'encadrement des paysans, les idées novatrices et aussi le goût du risque. Il manque aussi une spécialisation des régions. A quoi bon de cultiver les patates douces en dehors de Kirimiro alors qu'il y a une surproduction de ces patates en certaines périodes? Le paysan sait que celui qui a les moyens, méprise ces patates douces. Ainsi, il n'y aura pas d'effort pour le transport. Autant alors cultiver pour sa consommation personnelle.

Les engrais organiques et verts font défaut. La productivité passe par de nouveaux moyens notamment les engrais verts qui ne détruisent pas le sol. Elle passe aussi par l'utilisation de l'eau des rivières pour une agriculture en trois saisons.

Au Rwanda, il y a une politique appelée Girinka. Elle permet à chaque paysan d'acquérir une vache qu'il doit bien entretenir. La qualité est privilégiée au profit de la quantité. La vache reste à la maison au lieu d'accaparer des terres pour le pâturage.

Les semences sélectionnées manquent aux paysans. L'encadrement aussi. Le Burundi est un pays particulier. La population est à plus de 80 % paysans. Il manque d'agronomes proches des paysans. Au même moment, les agronomes sont au chômage, d'autres sont des professeurs de français ou de maths aux lycées. Les agronomes peuvent intervenir en tant qu'indépendants ou consultants auprès des paysans. Avec la plus value qu'ils peuvent apporter aux paysans, il y aura de quoi à leur payer.

L'agriculture burundaise manque d'accompagnement. Les produits ont besoin d'une conservation. La petite industrie des produits agricoles n'existe pas; ce qui peut décourager les producteurs qui ne peuvent pas écouler une surproduction et qui ne peuvent pas garder la production en raison des problèmes de conservation.

Industrie et commerce

Elle est quasi inexistante à part les quelques industries comme la Brarudi, Sosumo, fabrication de jus etc... C'est un domaine à développer. Ce domaine ne pourra naître que si les Burundais comprendront que le domaine spéculatif est éphémère. L'industrie est le ciment de l'économie pour économiser les devises. Les constructions des immeubles de haut standing  signifient des sorties des devises pour acheter les matériaux de constructions. L'industrie limite les achats à l'étranger et peut aussi exporter et rapporter des devises. Les Burundais préfèrent investir en pierre (maisons) en comptant sur des locations des expatriés, des bureaux de l'Etat ou des organismes. Ils ne veulent pas courir le risque d'absence de rentabilité.

La mentalité d'affaires échappe à plusieurs Burundais. Il suffit d'observer à Bujumbura les chefs d'entreprises. Dès qu'une affaire démarre, ils achètent des voitures Mercedes, consomment de boissons de luxe comme les riches, etc....  Les premières embauches sont souvent celles des membres de la famille qui ne sont pas en réalité de vrais emplois. Le chef d'entreprise est souvent dehors que dedans. La secrétaire dira qu'il est sorti comme si c'était une explication suffisante. La vision à long terme, la bonne gestion de la trésorerie, une bonne politique commerciale sont des points presque inexistants chez l'entreprise burundaise, surtout de celui qui démarre.

Il n'est pas rare que le tout puissant homme riche soit le nouveau pauvre. Ce manque de culture commerciale des Burundais a un impact sur le pays. Cela a ses origines aussi dans les formations. Aucune formation universitaire ne forme les étudiants à faire des affaires. Et d'ailleurs, les diplômés burundais n'aiment pas les affaires comme si le métier qui rapporte de l'argent serait réservé à ceux qui ont échoué les études.

La monnaie et le crédit

Les deux termes peuvent résumer la banque. Dans les pays développés, tout citoyen a un compte en banque. Avoir une somme importante à la maison peut paraître suspect et peut provoquer des contrôles fiscaux approfondis.

Au Burundi, avoir un compte à la banque est du domaine des gens qui ont un emploi formel ou être un homme d'affaires. Les paysans n'ont pas jusqu'aujourd'hui des comptes bancaires. L'argent provenant de la vente du café, de bière de bananes, etc... est thésaurisé à la maison. Or, c'est l'argent qui manque à la circulation monétaire. Les coopecs n'ont pas beaucoup séduit les paysans. Les microfinances ont été une calamité et ont ruiné les paysans. Tant que le paysan n'aura pas intégré le circuit bancaire, le pays aura peu de chances  de se développer.

Le paysan est un véritable chef d'entreprise. Il a des biens, des revenus, il produit des biens qu'il vend. Il habite une maison construite sans crédit. Quel est le fonctionnaire qui peut se vanter de tels atouts? Cependant, la banque prête aux fonctionnaires, plus "solvables" que le paysan. La banque se trompe, le paysan a des biens. Il ne pourra intégrer le circuit monétaire que quand il verra que la banque a fait une approche vers lui. Il ne faudra pas s'attendre de voir les paysans débarquer dans des banques pour déposer de l'argent sans qu'il y ait une volonté manifeste et une stratégie bancaire pour les intégrer.

Le crédit au Burundi est moins de 7 ans. Or, pour construire des maisons, les fonctionnaires ont besoin des crédits à plus de 7 ans jusqu'à 25 ans. Faute de crédit abordable, les salariés moyens ne construisent pas de maisons. Or, ce sont des constructions immobilières qui peuvent relancer l'économie. Le Burundi a besoin de mobiliser des fonds au sein de sa population et aussi à l'étranger pour lancer un programme immobilier pour loger les fonctionnaires et les salariés du privé. Ils pourront accéder à la propriété. Ce programme serait une bouffée d'oxygène pour l'économie burundaise. Ce n'est pas l'inflation qui stopperait la croissance d'autant plus qu'il y aurait de l'épargne populaire en renfort.

La monnaie burundaise est chère et elle est aussi rare mais a perdu sa valeur par rapport aux autres monnaies. Les taux d'intérêts de 15 %, 16 %  ne rendent pas un grand service à l'économie. Ils étranglent l'acteur économique. Le Burundi pourrait dévaluer officiellement sa monnaie et en contre partie diminuer le taux de base bancaire. La monnaie est devenue spéculative car pour rentabiliser une affaire avec ce que les économistes appellent l'effet de levier, c'est-à-dire la différence entre le taux des résultats sur  les capitaux investis et le taux d'intérêt d'un prêt pour investir, les commerçants doivent dégager un résultat net de plus de 20 %. Une marge de 5 % permettrait de stabiliser les affaires. Pour avoir un résultat net de 20 % de son chiffre d'affaires, la marge brute serait de plus de 50 %, voire de 70 % pour certains secteurs. C'est le consommateur en fin de compte qui paye ce taux bancaire exorbitant. C'est ce taux aussi qui réduit la consommation. Tout ce système ne profite qu'à la banque centrale qui vend cher la monnaie.

La monnaie reste le nœud du problème du développement au Burundi, bien sûr à côté d'autres causes que nous n'évoquerons pas dans cet article comme promis.

Changeons de mentalité

L'économie dépend de la confiance. La mentalité intervient aussi dans le développement. Si les Burundais ne croient pas dans leur développement économique, il sera difficile de le réaliser. Les Burundais ne sont pas entreprenants. La création n'est pas le fort des Burundais. Si un homme d'affaires ouvre une boutique de telle marchandise, un autre ouvre pour la même chose. Il manque d'innovation. Il ne veut pas prendre le risque. Il préfère passer dans le chemin déjà utilisé. Un pays qui a beaucoup de vélos manque de vélos adaptés aux transports des bananes de Buhonga, du charbon etc... Les déchets en fer sont transformés d'une façon artisanale à Buyenzi. C'est de la matière première pour fabriquer plusieurs choses.

Un pays agricole manque d'engrais semi modernes à partir du fumier et du mélange de la terre pour la multiplication, des arbres qui produisent l'azote (il n'en existe) etc...

Le technicien supérieur est à la recherche de place au bureau au lieu de privilégier le terrain. Le riche préfère investir dans la pierre et veut marquer la différence avec le pauvre. Dès qu'il devient riche, il ne veut plus entendre parler de solidarité.

Les compétences

Sans parler du pouvoir, la question qui se pose est de savoir si les Burundais savent apprécier les compétences ou la soumission de quémander, plaire. Même du temps de la monarchie, gusaba à la cour a été un sport favori. Les Burundais sont plutôt excellents quand ils s'inclinent devant les chefs. Rares sont ceux qui se disent que les mérites professionnelles valent plus que les courbettes, je ne dirai pas comme les Français pour parler de lèche....

Souvent, le médiocre parle beaucoup pour compenser le retard par rapport au compétent travailleur. Ces compétents travailleurs sont souvent à l'étranger au service des autres pays, y compris même dans le domaine privé. Un pays qui perd ses compétences, sa matière grise,  est comme un pays qui perd son capital. Avec la matière grise, même sans capital, un pays peut se développer. Les capitaux affluent là où il y a la confiance dans les affaires, les compétences et la possibilité de les faire fructifier.

Un autre problème concerne ces compétences mêmes. Elles ne sont pas entretenues et sont souvent détrônées par  le grand professeur émérite Brarudi. Au lieu de se plonger dans des livres, des discussions, échanges sur les évolutions technologiques, économiques et stratégiques du monde, ces compétences se plongent dans la bière du soir. C'est tout le système éducatif qui subit les conséquences de cette maudite bière du soir qui ronge les compétences de certains.

Sauver l'économie burundaise est un grand chantier qui ne peut laisser personne désintéressée. Tant que tous les Burundais ne se diront pas que le salut du pays dépend de leur mentalité, du changement de l'existant, de la prise du risque dans les affaires, de l'innovation, de l'accompagnement du paysan, d'une grande réforme monétaire, le danger guette tout le pays. Un riche ne pourra être en sécurité que si son voisin a du travail, a mangé. C'est en sauvant cette économie burundaise que la paix sociale garantira la stabilité du pays. Les Burundais l'ont bien dit : "Mu nda, harara inzara, hakazinduka inzigo". Si on a faim, il en résulte la rancune.