SCANDALE DU MARCHE DES HARICOTS  POUR LA POLICE VISANT LE MINISTRE DE LA BONNE GOUVERNANCE

Par Gratien Rukindikiza

 Burundi news, le 18 octobre 2005

Le gouvernement actuel ne cesse de le répéter, la lutte contre la corruption sera la priorité. Celui qui sera attrapé sera cité dans les médias, dans les églises et sera jugé. Le ministre chargé de la Bonne Gouvernance a mis en garde ceux qui se rendront coupables de corruption.

J’avais demandé au gouvernement de permettre à la société civile de faire des enquêtes sur les cas de corruption visant les cadres de ce parti. Le peuple burundais  entend souvent  les bonnes intentions. Seuls les actes comptent. On peut se rappeler du discours de l’ancien Président Buyoya sur l’unité nationale quand il affirmait qu’aucun obstacle ne viendra à bout de ses efforts pour réconcilier définitivement le peuple burundais. L’émotion était intense dans la salle de Kigobe pour ceux qui y ont cru. Tout le monde sait de ce qu’il a fait de l’unité nationale.

Au mois de juillet 2005, au moment où le CNDD-FDD gagnait les élections communales et législatives, un marché des haricots pour nourrir la police nationale a été attribué dans une totale illégalité sur fond de corruption. Ce scandale n’ a pas été signalé car les regards étaient tournés vers  le déroulement des élections.

1 500 tonnes de haricots vendus à la    Police à 600 francs hors taxe par kilo, soit 900 millions de francs bu. Sur le marché de  Bujumbura, le kilo de la même qualité de haricot était vendu à 290 frs Bu. Celui qui a eu le marché a gagné d’emblée 310 francs bu au détriment de l’Etat. L’Etat a payé 310 francs le kilo de haricot plus le citoyen burundais au marché de Bujumbura. L’Etat a perdu en tout 465 millions de francs au moment où des citoyens burundais restent emprisonnés à l’hôpital pour moins de 10 millions de francs bu.

A qui a profité la perte de l’Etat ?

Tout a commencé par un marché conclu de gré à gré entre l’ancien ministre de la sécurité publique Ntihabose et le commerçant Ndayizamba Hilaire. Avec une promesse d’une corruption, l’ancien ministre Ntihabose avait accepté de conclure le contrat malgré l’illégalité de ce contrat.

 Le témoignage de Ndayizamba Hilaire à propos de ce marché est éloquent : « Le ministre de la sécurité publique m’avait attribué un marché pour fournir 1 500 tonnes de haricot sec à la Police Nationale, par une notification signée le 24/06/2005. Par après, le Ministre de la Sécurité Publique m’a appelé pour me dire qu’il me retire le marché, car, disait-il, « l’attribution du marché se raconte actuellement dans la rue, dans les bistrots … » Je lui ai dit que j’ai organisé des fonds pour constituer des stocks de haricot et il m’a répondu ceci : « On va organiser une consultation pour suivre la procédure normale de passation des marchés. Il faut chercher les membres de ta famille ou des amis pour qu’ils viennent soumissionner, comme ça tu ne perdras pas. »

Le commerçant Ndayizamba a organisé la concurrence à sa façon. Les soumissionnaires ont été :

-         Girukwishaka Claudine, la fille à Ndayizamba, qui proposait 600 frs le Kg ;

-         Nduwingoma Duval, le fils, qui proposait 650 frs le Kg ;

-         Ndayizamba Hilaire, le papa, lui-même, qui proposait 620 frs le Kg ;

-         Minani Jean, ayant de liens de parenté avec Ndayizamba , qui proposait 700 frs le Kg ;

-         Misago Jean, un ami, pour lequel Ndayizamba a usé du faux et usage de faux pour sa soumission sans qu’il soit averti ( Voir sa lettre de protestation dans les annexes).

Ndayizamba Hilaire acceptait de céder le marché à sa fille qui ne disposait même pas de société. En réalité, sa fille servait de couverture car c’est à Ndayizamba à qui revenait le marché.

Compte tenu de l’illégalité du contrat, le directeur général adjoint de la Police Nationale a voulu relancer les consultations avec l’aval du ministre Ntihabose qui avait aussi organisé la consultation illégale.  Ayant constaté que l’affaire peut faire des bruits, le ministre Ntihabose a changé d’avis pour la deuxième fois. Il se retirait de cette affaire et renonçait du coup à une enveloppe nommée corruption.

Jusque là, la corruption était évitée de justesse. Un élément nouveau est entré en jeu. Les élections avaient démontré que le CNDD-FDD avait gagné les élections. Celui qui pouvait couvrir le faux marché devait être du nouveau parti gagnant. Ndayizamba a trouvé son interlocuteur au ministère de la Bonne Gouvernance. Le ministre de la Sécurité publique n’était plus le garant de ce marché surfacturé. Au ministère de la Bonne Gouvernance, le directeur de cabinet du ministère s’est intéressé particulièrement à ce dossier.

 Certains spécialistes de ce dossier se demandent si ce n’est pas lui qui aurait suggéré à Ndayizamba de faire écrire la lettre à sa fille au ministre de la Bonne Gouvernance.

Etonnant ce fait d’écrire au ministre de la Bonne Gouvernance alors qu’il n’avait aucun lien avec ce dossier. Elle aurait pu s’adresser à la justice ou à la Présidence, l’autorité supérieure du ministre de la Sécurité ¨Publique. Le directeur de cabinet a d’abord usé de son influence et de ses pressions pour faire attribuer le marché à la fille de Ndayizamba pour éviter d’impliquer le ministre de la Bonne Gouvernance de cette époque Pierre Nkurunziza. Devant le refus de ses interlocuteurs, les pressions et les menaces n’ont pas  arrangé les affaires selon les proches de Joseph Ntakarutimana, directeur du cabinet du dit ministère à ce moment.

Le dossier était « intéressant » pour 3 cadres du parti qui venaient de gagner les élections. Il y avait 465 millions de francs bu à se partager avec le commerçant Ndayizamba au détriment de l’Etat, surtout du peuple burundais sans parler de la Bonne Gouvernance.

Le directeur de cabinet disposait d’un dernier recours, celui de faire signer au ministre de la Bonne Gouvernance et de l’Inspection de l’Etat une lettre invitant le ministre de la Sécurité Publique à attribuer le marché à Claudine Girukwishaka, fille de Ndayizamba. C’était un moment où l’ancien ministre de la Bonne Gouvernance était très occupé à la préparation  de l’accession au pouvoir. Il n’avait pas assez de temps pour vérifier tous les dossiers. Il devait faire confiance en son directeur de cabinet. Une lettre lui a été présentée par son directeur de cabinet et Nkurunziza, en tant que ministre de la Bonne Gouvernance en ce temps, a signé la lettre intimant le ministre de la Sécurité publique d’attribuer le marché à Claudine Girukwishaka, passant outre les recommandations de la commission chargée d’analyser ce dossier.

Le directeur de cabinet a fait signer la lettre au ministre tout en sachant qu’une commission nommée pour l’occasion avait recommandé de ne pas attribuer le marché à Claudine Girukwishaka. Elle recommandait de relancer les consultations en respectant la loi.

A travers cette lettre, l’Etat burundais venait de perdre 465 millions et cette somme allait être partagée entre celui qui avait facilité le contrat et deux autres intermédiaires, cadres du CNDD-FDD.

Quelque soit le lieu de livraison au Burundi, le prix de 600 francs Bu hors taxe ne se justifie pas car le marché se passe à Bujumbura mais le haricot s’achète à l’intérieur.

Le ministre de la Bonne Gouvernance actuel est le plus visé dans ce dossier pour deux raisons :

-         Il a préparé la lettre à faire signer au ministre, je doute fort que Pierre Nkurunziza ait vu le rapport de la commission ; alors qu’il savait qu’un rapport recommandait de ne pas attribuer le marché ;

-         Il a exercé des pressions sur des personnes qui pouvaient bloquer le dossier selon les informations en notre possession.

Connaissant le Président de la République, Nkurunziza n’a pas trempé dans cette histoire de corruption. Il a été induit en erreur par son directeur de cabinet qui a profité da sa confiance et de son temps très  chargé.

Le prétexte de préjudice énorme au trésor si le marché ne lui était pas attribué ne tient pas debout d’autant plus que Claudine Girukwishaka avait menti. Elle n’avait pas constitué de stocks, elle reprenait le stock de son père. Il y avait tricherie, faux et usage de faux dans la soumission  car Misago était inscrit en tant soumissionnaire par le papa de Claudine Girukwishaka  alors qu’il n’était pas au courant. La consultation devait être annulée. Aucune justice ne pouvait attribuer des indemnités à Claudine Girukwishaka en raison de l’annulation de la consultation.  Son père risquait une peine en correctionnelle pour faux et usage de faux.

L’attribution du marché a été irrégulière du début à la fin. Le marché est resté de gré à gré alors que la loi l’interdit.

Au moment où le Burundi manque d’argent pour soigner les burundais, au moment où des dizaines de burundais restent à l’hôpital emprisonnés pour une dizaine de millions de francs, des cadres du CNDD-FDD se permettent de se partager quelques centaines de millions de francs juste avant l’investiture du Président issu de ce parti. Il est impensable que celui qui a pris part dans cette corruption se retrouve à la tête du ministère de la Bonne Gouvernance, chargé de lutter contre la corruption.

Ce scandale des haricots de la police démontre que les bonnes intentions ne suffisent pas. Encore faut-il joindre la parole à l’acte, si non le bâton. Il s’agit d’une pure trahison à l’égard du peuple burundais qui est dans la nécessité.

Dans tous les cas, les coupables existent dans ce dossier. 465 millions de francs bu perçus au détriment de l’Etat sont passés dans les poches des gens. Ces gens doivent les rembourser et subir les sanctions de la justice burundaise. Renoncer à enquêter sur ce dossier donnera une mauvaise image du Burundi de demain et ne fera que décevoir l’espoir du peuple burundais.

Ce dossier est documenté. Il ne s’agit pas de règlement de compte. Les documents en annexe permettront au lecteur de comprendre les contours de ce dossier.

Documents en annexe