Burundi news, le 22/07/2008
Survive la résistance !
Par Melchior Mbonimpa
Il faut que je me venge ! C’est ce que je me disais depuis des semaines, peut-être des mois déjà, après « relecture » des textes rassemblés dans le recueil que Fabien Cishahayo vient de publier aux Éditions de l’Intuition, sous le titre : Burundi : Liberté, je crie ton nom. Mémoires d’un hacktiviste (2003-2007) ! Il s’agissait en effet d’une relecture car, dans ma fréquentation assidue des sites d’information sur le Burundi depuis les débuts, j’avais déjà lu la plupart des textes repris dans cet ouvrage.
Mais de quoi dois-je me venger ? Très simple : j’ai profité de la bienveillance et de la complicité de Fabien depuis qu’il s’est donné les moyens d’intervenir publiquement dans « les affaires » du Burundi, d’abord sur le site www.abarundi.org, ensuite sur www.burundibwacu.org. Plus que personne, il a fait la promotion de mes ouvrages qui portent sur le Burundi, directement ou indirectement. Vous l’avez déjà compris : il s’agit d’une douce vengeance. Je me devais de renvoyer l’ascenseur, mais les propos qui suivent montreront qu’il ne s’agit pas d’un simple échange de bons procédés.
Pour nous donner l’impression que nous sommes importants, nous cultivons la conviction que le temps nous manque, que nous sommes très occupés et, cela devient un prétexte pour excuser les pires négligences. Le sachant, j’ai pris soin de me compromettre en annonçant à mon ami et collègue, que je livrerai un bref commentaire du livre qu’il vient de publier. Je passe donc à l’acte : il en va de ma crédibilité.
J’ai dit plus haut que Fabien Cishahayo a décidé de se donner les moyens de mettre son grain de sel dans les « affaires » du Burundi. Mais de quelles « affaires » s’agit-il ? De la politique ! Dans Liberté, je crie ton nom, vous constaterez qu’il ne s’agit que de cela. L’auteur s’en défendra peut-être, affirmant qu’il ne fait pas de la politique comme Monsieur Jourdain faisait de la prose, c’est-à-dire inconsciemment. Il exigera sans doute que ses exploits soient localisés dans le territoire de sa formation intellectuelle et de sa profession de « journaliste », dont le stade suprême serait l’enquête pour dévoiler ce que certains, notamment les politiciens, cherchent à nous cacher.
Seulement voilà : dans ces textes, le journaliste ne revendique pas l’immunité de « l’objectivité ». Il cède à l’urgence de prendre position au risque de prendre des coups. Non pas par pure bravade ou sous l’effet d’une stupide témérité, mais par nécessité, car, pour sortir de la barbarie, la parole libre doit avoir droit de cité, au Burundi comme partout ailleurs, et cela depuis toujours et pour toujours. Parole libre, parole engagée, non pas dans le sens idéologique et donc partisan, mais dans le sens du refus des allégeances qui mènent vers la pente glissante de la pensée unique, c’est-à-dire du crétinisme.
« Au commencement était la parole. » Il n’est pas vrai que le seul maniement des Kalachnikovs peut accoucher de la cité libre. Je soutiendrais certainement l’initiative d’ériger un immense monument aux combattants de la liberté tombés au champ d’honneur. Mais je récuse l’idée que « la critique par les armes » soit supérieure à toute autre forme de critique. Si une telle équation était exacte, la « peste kaki » ou la domination des « brutes galonnées » aurait encore de beaux jours devant elle. Emmanuel Mounier affirmait : « Ce n’est pas la force qui fait les révolutions, c’est la lumière. » Le combat par les mots a précédé et accompagné le recours aux armes. Le combat par les mots doit survivre au fracas des armes et s’élever à l’ordre de ce qui demeure, car justement, les mots, bien plus que les fusils, sont vecteurs de lumière et de… démocratie !
Dans Liberté, je crie ton nom, Fabien Cishahayo nous vend donc des mots. Rien que des mots ! Mais quelle fête des mots ! Dès l’entrée, on se rend compte qu’on se trouve en présence de l’une des plus belles plumes du Burundi en langue française. C’est certain que le fond, le contenu, importe. Mais la manière ou la forme joue un rôle tout aussi décisif. Même ceux qui se trouveraient en désaccord avec les positions défendues par Fabien Cishahayo devront admettre qu’il s’exprime avec un incontestable brio. Amoureux de la « langue de Molière », il lui fait de beaux enfants (c’est de lui que je tiens cette métaphore équivoque comme il les préfère).
Il fallait que je me venge en disant tout le bien que je pense de ce savoureux recueil de billets assez brefs pour la plupart, d’abord parus à l’internet avant de prendre la forme matérielle d’un livre qu’on peut toucher, caresser, feuilleter. Il faut le lire pour toutes les raisons que je viens d’évoquer. On y trouve le récit exemplaire d’une exigeante montée au front sans cesse recommencée, pendant des jours, des semaines, des mois, des années, à la manière de Sisyphe avec son rocher. La bêtise politique, quel que soit le camp d’où elle provient, est constamment attaquée, souvent de façon impitoyable et sans pudeur. Mais lisez ces textes aussi parce qu’ils vous feront rire et pleurer ; parce que la beauté de leur style ne vous laissera pas indifférents. Et ce n’est pas rien, la beauté ! De cela donc, comme des textes de résistance qui suivront - si le passé est garant de l’avenir - mon jeune collègue et compatriote soit remercié !