Note de la rédaction : Nous remercions notre ami Jean Marie Ngendahayo d'avoir réagi à l'interview dont une question a été refusée par l'ancien Président Buyoya.  Gratien Rukindikiza, ancien capitaine de l'armée burundaise, ancien officier de sécurité du Président Ndadaye, a été confronté aux mutins lors de l'attaque du palais présidentiel du 02 au 03 juillet 1993.En ce moment, le commandant suprême de l'armée burundaise était le Président Buyoya. Rukindikiza apportera son témoignage les prochains jours sur ce qui s'est passé réellement cette nuit du 02 au 03 juillet 1993.

Nous avons mis en évidence des passages du texte de Jean Marie Ngendahayo pour attirer l'attention du lecteur. L'auteur nous en excusera.

Burundi news, le 06/02/2009

Une interview gênante

 Par jean Marie Ngendahayo

Je me suis promis de ne plus verser dans la politique du Burundi comme acteur, mais il m’appartient comme à tout autre personne de réfléchir, de réagir et de partager mes idées et mes points de vue avec les autres. Cela surtout pour que les générations en croissance et les générations futures sachent la vérité sur la part de responsabilité de nous tous anciens ou actuels responsables politiques dans les aléas historiques que notre pays a connu. Ceci pour qu’elles puissent faire mieux en faisant l’économie de nos erreurs ou de nos faux pas.

L’interview que l’ancien président Pierre Buyoya a accordé à  Gratien Rukindikiza en date du 4 Février 2009 m’a gêne sur deux questions qui me tiennent à cœur et pour lesquelles je suis en mesure de témoigner et ou de commenter:

-         D’abord au sujet des élections de 1993:

En réponse à une question relative à l’armée qui n’était pas bien préparée au changement démocratique, le président Buyoya dit ce qui suit:

“Le temps de préparation des élections 1993 n’a été suffisant ni pour les partis politiques, ni pour les électeurs, ni pour les institutions en place, ni pour personne. Nous avons fait ce que nous avons pu dans les délais qui étaient les nôtres. N’oubliez pas que beaucoup dans les jeunes partis politiques étaient pressés d’en découdre. Peut être que si nous avions eu plus de temps l’attitude des politiciens vis-à-vis de l’armée aurait évolué, de même avec la compréhension de la nouvelle donne démocratique par l’armée.”

Si le temps est venu à manquer c’est la faute à qui si ce n’est celle du chef de l’Etat, qui était Pierre Buyoya, qui a tenu a précipiter les élections pensant ainsi les gagner en prenant de cours les formations dont la reconnaissance avait été du reste terriblement retardée par son Ministre de l’Intérieur François Ngeze. Sans la pression internationale, le Frodebu n’aurait jamais vu le jour sous Buyoya I.

Si le temps a manqué, c’était bien davantage au détriment des jeunes formations politiques comme le Frodebu et non l’Uprona qui avait toutes les facilités politiques et administratives pour sa campagne. Nous, les leaders du Frodebu étions inquiétés jour et nuit. Des éléments de la sûreté nationale étaient ostentatoirement  en faction devant nos résidences pour surveiller nos allers et venus et nous isoler en effrayant ceux qui se hasardaient à nous rendre visite. Le futur président Ndadaye a été jeté en prison dans des conditions inhumaines à Rumonge. Il était dans un cachot, m’a-t-il confié plus tard, qui se remplissait d’eau au gré des marées du lac Tanganyika! Encore une fois, si Ndadaye est sorti de prison ce n’est pas grâce à la diligence du système judiciaire national d’alors mais à cause de la pression internationale et le travail de fourmi de la société civile naissante.

Si le temps est venu à manquer au point qu’une armée puisse s’attaquer a son chef suprême et le tuer dans ses propres murs comme un chien errant, ce n’est pas la faute des “jeunes parties politiques (qui) étaient pressés d’en découdre”. Non monsieur le président Buyoya. Et vous le savez bien. Au nom du Frodebu, monsieur Ambroise Niyonsaba m’est témoin, j’ai sollicité une audience et vous m’avez reçu. C’était neuf mois avant les élections, le 17 Septembre 1992 exactement. Je suis venu vous dire ce que vous niez aujourd’hui. Je suis venu vous proposer une période de transition de dix ans qui serait organisée ainsi : vous vous présenteriez aux élections présidentielles (encore une bizarrerie du système qui voulait que les élections présidentielles précèdent les législatives!) comme candidat indépendant, au-dessus des partis politiques. Le Frodebu et ses alliés prenaient l’engagement de vous soutenir. Ainsi, vous aviez la garantie de l’emporter haut la main. Le Frodebu voulait ensuite s’opposer à l’Uprona et ses partis alliés car selon nos prévisions nous pouvions la vaincre sans difficultés. Nous envisagions un tandem Buyoya-Ndadaye pour dix ans. Vous comme chef de l’Etat et Ndadaye comme Premier Ministre ou Chef de l’Exécutif selon le dit de la Constitution. Et je vous ai dit qu’il s’agissait d’habituer ainsi l’armée et la population à voir de nouvelles têtes et à entendre de nouvelles idées à petite dose. Et surtout avec votre présence à la tête du pays, nous nous prémunissions contre toute aventure militaire.

Vous avez rejeté la proposition, monsieur le président. A mon grand désespoir! Vous m’avez dit que les leaders du Frodebu sont des extrémistes en qui vous ne faites pas confiance. Vous m’avez même cité des noms pour illustrer votre propos…  

Mais le parti Frodebu n’en est pas resté là. Il a envoyé monsieur Gilles Bimazubute, mais il a essuyé aussi une fin de non recevoir de votre part.  

Le président Melchior Ndadaye en personne a tenu à vous rencontrer à ce sujet. Il me dira tout son désappointement au sortir de cette audience. Il m’a confié vous avoir dit entre autre ceci:

“Monsieur le président, vous êtes jeune si vous vous présentez en dehors des rangs de l’Uprona votre avenir politique sera prometteur. En revanche, si vous allez aux élections comme représentant de l’Uprona, vous serez comme ce parti un vieux candidat à son instar”.

Là aussi, vous avez raté votre rendez-vous avec l’Histoire avec une majuscule.

 -Enfin l’affaire du coup d’état proprement dit :

Le président Buyoya dit ceci:

“(…) La réalité est que quand j’ai été mis au courant des préparatifs de la déstabilisation et des personnes impliquées, j’ai tout de suite ordonné leur arrestation et leur mise à la disposition de la justice. Mon Directeur de Cabinet n’a pas eu de traitement de faveur. Toutes les mesures que j’ai prises, je les ai prises en concertation étroite avec le Président élu.”

a)      la collaboration avec Ndadaye n’était pas des plus aisée avec vous, monsieur le président. Lorsqu’il vous a appelé pour vous dire ce qui s’était passé dans la nuit, vous avez minimisé l’affaire en lui répondant qu’il s’agissait de son “baptême de feu »!  Il a fallu que les collaborateurs de Melchior Ndadaye rassemblent suffisamment de faits compromettants et palpables pour que vous daigniez  incarcérer  le colonel Ningaba alias Siningi et le Major Busokoza (Je peux me tromper sur les grades de l’époque);

b)      il ne s’agissait pas de “préparatifs”, le coup avait été exécuté sauf qu’il a échoué. Et je m’étonne que Gratien Rukindikiza n’ait pas relevé cela car lui avait été directement confronté à ces militaires en armes et menaçants  aux portes du palais du président élu. Sans l’héroïsme de Gratien Rukindikiza cette nuit-là, le président élu aurait été assassiné à peine une semaine après son élection. Mais ce ne fut que partie remise…

c)      Enfin, il y a cette phrase sibylline de votre cru :

« Ce qui s’est passé plus tard, notamment le 21 octobre 1993, je ne suis pas le plus qualifié pour le commenter.» 

On se serait attendu justement que le président Pierre Buyoya parle de ce véritable génocide politique. Il s’agissait d’exterminer, cette nuit, tout un groupe politique spécifique pour la seule et unique raison de leurs options idéologiques. Cette tragédie historique du 21 Octobre tourne autour du président Pierre Buyoya. Tous ceux qui ont été cité de près ou de loin sont ces collaborateurs directs depuis des années au sein de l’armée, au sein de services de sécurité ou au sein de l’Uprona : le colonel Ningaba (ex Chef de Cabinet), le colonel Simbadugu (ex Haut gradé des Forces Armées et Police), le colonel Bikomagu (ex Haut gradé des Forces Armées et Polices), le ministre François Ngeze (ex Ministre de l’Intérieur), etc…

Sous Buyoya II, un simulacre de procès visant à poursuivre les auteurs de ce qui s’est produit le 21 Octobre 1993 a été organisé. Il s’est rapidement clôturé sur la condamnation de menus fretins tirés parmi les soldats et les sous-officiers. Ils ont écopé pour les vrais responsables qui courent toujours en toute impunité.

Nous devons faire en sorte qu’une commission vérité puisse voir le jour au Burundi dans les meilleurs délais. Elle devait avoir été installée déjà à l’époque de la Transition sous le président Domitien Ndayizeye selon le prescrit des Accords d’Arusha. Et cela n’a pas été fait. Elle aurait dû avoir été installée depuis longtemps sous Pierre Nkurunziza, cela n’a pas été fait. Pourquoi ce recul permanent? De quoi a peur la classe politique burundaise toutes ethnies confondues?

Une telle commission permettrait de tirer au clair toutes  ces périodes troubles de notre histoire que l’on a tendance à oublier, puis certains à falsifier pour se redonner une virginité politique à bon compte.

C’est gênant et c’est inadmissible.

Hon. Jean-Marie Ngendahayo

Le 5 Février 2009