TOUT VA VITE ! MAIS IL FAUT S’ADAPTER !

Par Salvator Nahimana

 

                Un Murundi,  qui a eu la chance d’être scolarisé, de travailler aussi bien à l’étranger qu’au Burundi a vu et entendu beaucoup de choses. Parmi celles-ci, il y en a à raconter et d’autres qui restent intimes.

En puisant dans mes souvenirs d’enfant,  je voyais chaque année tous les hommes de ma colline partir à Muramvya pour l’UMUGANURO. Ils nous disaient que c’était le jour de la bénédiction des récoltes par le Roi et de lancement de la culture du sorgho. Je me rappelle de tous ces hommes marchant en file indienne sur ces sentiers des collines en tenue d’IMBEGA avec une lance à la main. Nous accourrions les voir partir. Sur leur chemin, ils rivalisaient à tour de rôle de KWIVUGA AMAZINA.

Ils rentraient le soir, la nuit tombée, toujours gais en chantant IBICUBA. J’ai grandi dans cette ambiance où l’enfant appartenait « à tout le monde. » Pourtant, il y avait des familles dans lesquelles il ne fallait pas aller traîner ; sur la colline, les gens disaient de ces familles que “ BARATANGA ISHANO ”.

         Le lieu le plus loin où j’avais été se situait à 12 km de ma colline ! C’était à Bukeye ! Quand nous y allions, nous disions que nous nous rendions loin ! Que le monde était petit à cette époque !

Je me souviens de cette époque où les accouchements se faisaient à domicile, où les enfants étaient soignés par l’INGABURO.  La maman était à cette occasion entourée par d’autres mamans. On disait que ARI MU KIRIRI. C’était l’occasion de la choyer. Au septième jour, la famille organisait une fête : GUSOHORA UMUVYEYI. On rasait la petite tête du bébé : KUMWA IMVANDA et le cordon ombilical “ URUZOGI ” était tombé. C’est à partir de ce jour que la maman pouvait porter le nouveau-né sur le dos.

D’autres occasions témoignaient de la solidarité entre les gens de la colline : GUSANURA INZU, KUVA K-URUPFU, GUKWA, GUSHINGIZA, KWATIRWA, …

Chez nous, nous ne mangions la viande qu’une fois l’an : le 25 décembre. C’était aussi la date où les enfants espéraient recevoir un nouvel habit. A cette époque, on savait porter un short rapiécé, d’ailleurs nous parlions de culotte « ibutura »!

         Je me souviens d’une autre année où les maisons avaient brûlé à Busangana ; je ne savais même pas où c’était. Tous les hommes de ma colline avaient réuni femmes, filles, enfants et vieillards pour dire que dès qu’on apercevrait un étranger de crier pour qu’il ne brûle pas nos maisons. Cet étranger était quelqu’un qu’on  n'aurait jamais vu sur notre colline ! Heureusement, aucune maison n’a brûlé chez nous.

         En puisant encore dans mes souvenirs lointains, je me souviens du renversement de la monarchie. Quand tous ces hommes qui étaient fiers d’aller KU MUGANURO l’ont appris, ils nous ont dit que c’était la fin du monde : UMUHERO URASHITSE ! Cependant, notre vie d’enfants n’a pas été inquiétée. J’ai pourtant appris plus tard que sur ma colline il y a des hutu et des tutsi !

 

Depuis que j’ai mis les pieds à l’école, j’ai assisté à des dérèglements sociaux, économiques et politiques. Le monde s’est aussi élargi ! Il  y a certes eu certains progrès. Mais à quel prix ? Tout va à une grande vitesse et sans transition !!

 

L’exemple ne vient plus d’en haut !

 

 Depuis que le Burundi est république, il a connu des hauts et des bas. Certains seraient tentés de dire qu’il y a eu plus de bas que de hauts !

         A lire les médias de la fin du mois dernier, vous me permettrez de partager avec vos lecteurs mes sentiments et je vous en remercie par avance.

Cette actualité relate 1972 et l’emprisonnement de Monsieur Radjabu. Quel lien y-a-t-il entre les deux ? Le lien est que les deux se passent sous la république. Pourtant, la république est la forme de gouvernement dans laquelle le peuple exerce la souveraineté directement ou par l’intermédiaire de délégués élus. Si nous nous limitons à cette définition, la question est de savoir depuis quand le Burundi est république ! Laissons de côté ce raisonnement intellectuel et analysons les faits.

Un constat commence à se dégager : les espoirs que fait naître l’arrivée de chaque nouveau régime sont vite remplacés par les vieux démons que sont le régionalisme, l’ethnisme, le clanisme, …Aujourd’hui, il semblerait que les divisions à base de religion entreraient en scène. N’avons-nous pas entendu parlé par exemple ces jours de l’axe Gitega, …

Tous ces mots ont pour origine l’élite politique qui n’arrive pas à asseoir un système d’alternance politique conçu sur base de valeurs réellement démocratiques et de programmes de développement véritable. Cette même élite n’a pas la même lecture de l’histoire de leur pays.

Il faut oser dire les choses telles qu’elles sont : une partie de l’élite hutu ne s’émeut pas de ces tutsi morts dans les campagnes ou en milieux urbains. Il en est de même pour une partie de l’élite tutsi, elle ne s’émeut pas non plus de ces hutu morts dans les mêmes conditions que leurs voisins tutsi. Je dis bien «  UNE PARTIE » de ces élites parce que la globalisation est aussi un mal qui gangrène les esprits. L’article du site Burundiréalité « Le génocide de 1972 au Burundi : les silences de l’histoire »  précise : « …c’est pour dire que l’amalgame ethnique va à l’encontre des faits ; il voue à l’échec tout effort de réconciliation ».

Alors, pourquoi l’élite continue-t-elle à cultiver cet amalgame ?   S’il vous plaît, évitons cela. Tous les hutu n’ont pas tué, tous les tutsi non plus ! Cette globalisation n’honore pas nos morts. Pourquoi ne pas chercher les RESPONSABILITES INDIVIDUELLES dans les tragédies que le Burundi a connues ? Seule façon, à mon avis, de réconcilier les filles et les fils de ce pays. Dans un petit pays où tout le monde se connaît soit individuellement ou soit par personne interposée, il serait facile de démasquer les brebis galeuses.

Les citoyens, les associations civiles, les médias doivent conjuguer leurs forces et moyens pour sortir le Burundi de cet aveuglement pour bâtir sur de nouvelles bases. Il a été constaté  que les régimes ont du mal à engager des procédures judiciaires envers les pouvoirs qui les ont précédés. N’eût été le courage et la mise en place des lobbies, les descendants des déportés juifs n’auraient jamais obtenu gain de cause. Je pense que l’opinion burundaise est aujourd’hui mûre pour accepter  le jugement des personnes responsables des tragédies qu’a connues le Burundi, même par contumace ou à titre posthume.

Il est inconcevable de continuer à traîner cette injuste culpabilité collective qui poursuit même les enfants d’origine burundaise (hutu et tutsi) qui sont nés et/ou grandi en Belgique, en France, au Canada, … cette réconciliation avec la justice entraînera celle des Barundi.

 

         Si nous appartenons à un parti politique, soyons des militants clairvoyants. Ne couvrons plus l’inacceptable des responsables de nos partis.

La même rigueur doit être de mise dans l’administration. Le choix des responsables doit être judicieux. Il ne faut pas se voiler la face, le DERNIER MOT de ce choix appartient à l’autorité qui dispose du pouvoir de nomination ou de proposition de nomination. Aujourd’hui, c’est le président de la république et les ministres qui disposent de ces pouvoirs puisqu’ils leur appartiennent de signer conjointement les décrets de nomination. Ne nous trompons pas sur les responsabilités des uns et des autres lorsque nous constatons des nominations qui n’honorent ni les cadres compétents, ni les victimes des différentes tragédies.

Quant aux migrations politiques auxquelles nous observons de temps en temps, elles sont liées à la situation économique du Burundi. L’élite politique migrera encore dans les partis au pouvoir pour leur intérêt économique personnel.

         Je conclurai mon propos en insistant pour que les associations civiles, les médias éclairent nos concitoyens dans le choix des femmes et des hommes  politiques. Leur bulletin de vote doit aller dans l’urne de celles ou ceux qui lui auront indiqué clairement comment elles/ils vont améliorer son niveau de vie dans la justice et l’équité.

Parlant de 1972,  un ancien président de la république a dit : « Je me suis rendu compte des dangers d’avoir un Etat qui n’est pas là pour promouvoir le peuple mais pour le massacrer… ». Tous les Barundi,  en mesure d’éclairer les autres, doivent se lever, être solidaires et décrier l’Etat qui montrera des signes concrets qu’il n’est pas là pour promouvoir le Murundi mais pour le massacrer. Le développement  économique et démocratique du Burundi est à ce prix.