Le troisième mandat de Pierre Nkurunziza sera-t-il légal?

 Burundi news, le 22/07/2014

Par Pancrace Cimpaye

Au début du mois de juillet 2014, j’ai lu avec délectation un échange houleux entre le Dr.Stef Vandeginste et Monsieur Théophile Bamwumva au sujet du troisième mandat du Président sortant Pierre Nkurunziza. Bien entendu à la lecture de l’argumentaire du professeur Vandeginste  on ne peut pas arrêter de penser à un Président Nkurunziza en train de se frotter les mains et congratuler l’auteur de  cette plaidoirie providentielle !

En effet la lettre de cette plaidoirie qui est tombé au très mauvais moment semble donner bonne conscience au président Nkurunziza. Car à certains égards, selon le Dr. Vandeginste, ni la Commission Electorale nationale Indépendante ni la Cour Constitutionnelle n’a le droit de remettre en question ce troisième mandat. Rappelons à ce titre que lors de son dernier passage à Paris , le Président de la République burundais avait déclaré sans ambages que seules la CENI et  la Cour Constitutionnelle pouvaient arrêter sa course vers ce mandat de trop ! Au demeurant ceux qui en veulent à Vandeginste estiment qu’il y aurait eu une division du travail entre le Président  Nkurunziza et l’auteur de l’article ! A mon avis je ne pense pas que le professeur Vandeginste soit en service commandé ! Il a procédé à un exercice d’esprit, certes coupable, parce que susceptible de réconforter et d’encourager  le numéro un burundais dans son aventure de violer l’esprit et la lettre de l’idéal d’Arusha.

En effet on ne le dira jamais assez, la première ligne de La Loi no.1 /010 du 18 Mars 2005 Portant Promulgation de la Constitution de la République du Burundi est  libellée comme suit :

«  Vu l’Accord d’Arusha pour la Paix et la Réconciliation au Burundi ; »

 Sans être juriste, j’estime que cette phrase fait partie intégrante de cette loi. Or le contenu de  cet Accord en son article 7, rappelons-le, dispose que : «  Il (le Président de la République) est élu pour un mandat de cinq ans renouvelable une seule fois. Nul ne peut exercer plus de deux mandats présidentiels ». A ce niveau, il sied de préciser  que l’esprit de cet Accord d’Arusha n’autorise même pas le scénario à la Poutine(partir et revenir après) ; aucun burundais ne peut diriger le pays pendant plus de dix ans.

A ce titre ce pacte d’Arusha a bien identifié la nature du conflit burundais qui a endeuillé le pays pendant plusieurs décennies. Selon l’article4, alinéa b du Protocole1, il s’agit d’ « un conflit découlant d’une lutte de la classe politique pour accéder au pouvoir et/ou s’y maintenir ».  Pour ne plus retomber dans les travers du passé, l’esprit de cet Accord  d’Arusha limite à 10ans le nombre d’années qu’un chef d’Etat Burundais doit passer au pouvoir. Aller au delà de cette fourchette correspond à une violation  fragrante et dangereuse de l’esprit et de la lettre de ce  pacte d’Arusha.

En définitive si le Président Nkurunziza décidait de se représenter  aux élections présidentielles de 2015, il aura fait un coup d’Etat contre l’Accord d’Arusha et contre la Constitution burundaise. Dès lors il sera traité comme un putschiste ce qui risque d’ébranler la paix sociale et  replonger le pays dans le conflit qui a toujours meurtri le Burundi et que les négociateurs d’Arusha avaient conjuré à jamais. Et en vertu de l’article 117 de la loi fondamentale, il aura commis un acte de haute trahison et devra en assumer pleinement les conséquences.

En tout état de cause le Président Nkurunziza ne devrait pas s’engouffrer dans cette brèche décelée par le Dr. Stef Vandeginste. Il doit peser et sous peser les conséquences dramatiques que peut entraîner sa volonté de se maintenir au pouvoir de force. Car comme le prédit Colette Braeckman dans les colonnes du journal belge «  Le Soir » du 20 juillet 2014,le scénario est bien écrit d’avance : 

« … d’aucuns redoutent que les tenants de la majorité présidentielle recourent à la violence et à l’intimidation afin de persuader les électeurs à ne pas s’aventurer à « mal » voter ».

Quant à la communauté internationale  qui accompagne le Burundi dans ce processus électoral, elle  devrait éviter de se satisfaire de cette analyse du Dr. Stef Vandeginste. Et pour cause le peuple burundais meurtri par dix ans de dénuement total, qui n’a plus grand-chose à perdre, peut  décider d’enclencher un soulèvement populaire plutôt que de revivre un autre calvaire de cinq ans. Il n’y a rien de plus dangereux que de pousser à bout un peuple qui n’a plus rien à perdre ! Espérons que  la communauté internationale saura s’aligner à temps derrière cette position sage de l’ambassadeur suisse, Monsieur Pitteloud, qui recommande dans les colonnes d’IWACU  de «  perpétuer l’esprit et l’idéal d’Arusha ».

(Sé) Pancrace CIMPAYE, ce 22 juillet 2014.