Burundi news, le 04/08/2012

LE PRECURSEUR DE L'INDEPENDANCE DU BURUNDI : UNARU DE NTUNGUKA

 Par Gratien Rukindikiza

Comme toute histoire qui se respecte, il y a toujours une partie des évènements moins connus, ignorés même, qui font l'histoire. Les conditions objectives d'une révolution, d'un changement sont le fruit d'un processus d'au moins de quelques années. Le mouvement qui déclenche le changement se réfère souvent à ce travail fait en amont.

Au Burundi, contrairement aux idées reçues, la volonté de l'indépendance n'est pas née après le retour de Rwagasore au Burundi ou à la formation de l'UPRONA. Ayant été un parti unique depuis longtemps, l'UPRONA a caché une partie de l'histoire du pays pour garder le monopole de la lutte pour l'indépendance. Avant l'UPRONA, un autre parti existait et avait créé des conditions propices à la lutte pour l'indépendance.

D'un mouvement de protestation contre les spoliations des terre à la naissance des coopératives

Dès 1955, les paysans de Bulinga à Mpanda, se plaignaient de la spoliation de leurs terres. Le chef de Bulinga en la personne de Ntunguka était à la tête du mouvement de protestation. Après l'autorisation de protestation par des pétitions par les Nations Unies, Ntunguka fut le grand champion de ces pétitions, surtout lors des visites des diplomates de l'ONU. De ce mouvement de protestation, est née l'idée de l'indépendance. Ntunguka fut le premier à demander l'indépendance, non pas du Burundi seul mais du Ruanda Urundi avant même le retour de Rwagasore de la Belgique. Ntunguka avait d'abord créé l'association Ruzizi pour s'opposer à l'expropriation des terres.

Ntunguka et Bigiraneza ont créé des coopératives  du Ruanda Urundi en 1955. Ce sont ces coopératives qui seront les bases de la création du premier parti politique burundais.

C'est en 1957, que le Prince Louis Rwagasore emboîtera le pas de Ntunguka, avec lequel il échangeait beaucoup en créant une coopérative des commerçants du Burundi CCB. La CCB avait plusieurs boutiques. En 1958, les boutiques de la CCB étaient au bord de la faillite. Soucieux d'aider le Prince Louis Rwagasore, Ntunguka a pu obtenir des fonds de la part de Nyerere pour éviter la faillite de la CCB de Rwagasore.

Naissance de l'UNARU

L'Union Nationale du Ruanda Urundi (UNARU) a été agréée le 28/07/1959 mais ce parti existait depuis certaines années dans la clandestinité. Il a été fondé par :

 Ntunguka Barnabé, président

Masudi Siwatu, vice-président

Salum Hassani Mashangwa, secrétaire

Hamimu Musafiri, secrétaire adjoint

Shabani Himidi, trésorier

Membres du comité central : Antoine Bigiraneza, Hassan Ramadhani, Paul Mavungu, Kagimbi Mpaha, Mikidadi Baruwani, Saidi Ramadhani, Hussein Risasi, Rashidi Kabumbe et Ali Mchanga.

Il y a lieu de remarquer une prédominance des musulmans qui ont été les premiers combattants pour la liberté du Burundi. Certains étaient en même temps des cadres du parti de Nyerere comme Mashangwa.

Le parti comptait plus de 20 comités communaux.

Buts du Parti :

 

Art. 1. Le parti reconnaît les différences naturelles des hommes reconnus par Dieu.
Art. 2. Le parti respectera les deux Bami et leurs droits.
Art. 3. Le parti a pour but d’acheminer le Ruanda-Urundi vers son indépendance comme les autres pays libres tout en respectant néanmoins les institutions de chaque pays.
Art. 4. Le parti fera en outre son possible pour inculquer l’idée de Démocratie dans les têtes des habitants. Il luttera pour la disparition de toute discrimination raciale, tribale et querelle de religion. Il s’opposera à tout ce qui peut détériorer les relations entre habitants du Ruanda-Urundi, mais tout en favorisant une civilisation propre à chaque pays.
Art. 5. Le parti aidera ceux qui auront été choisis par le peuple à créer leurs partis politiques et à bien remplir les devoirs pour lesquels ils auront été choisis.
Art. 6. Le parti demandera au Gouvernement de faire ceci de toute urgence :
  1. Aider les Commerçants à fonder des Coopératives.
  2. Aider les agriculteurs et les éleveurs à faire progresser leurs entreprises et à avoir un bon prix pour leurs produits.
  3. Aider les Africains de tous les métiers à commencer leur travail personnel et commencer des écoles de métiers.
  4. Examiner les différents traitements pour voir si tous les employés sont payés équitablement.
  5. Rendre l’enseignement primaire obligatoire et multiplier les écoles secondaires.
Art. 7. Favoriser les relations amicales avec les pays étrangers et s’opposera contre toute interdiction de collaboration qui n’est pas voulu par les natifs du Ruanda-Urundi.
Art. 8. Régler la question d’accès de terre aux étrangers sans consentement des propres habitants du pays au sein des conseils démocratiquement élus.
Art. 9. Chercher à collaborer avec d’autres partis politiques Africains qui luttent pour l’Indépendance dans l’Union et la Paix.
Art. 10. L’UNARU est un mouvement d’opposition qui luttera dans la légalité jusqu’au moment où le Ruanda-Urundi seront indépendants et que chacun soit doté d’un Gouvernement propre.
Art. 11. Après le délai de l’Indépendance le parti sera divisé en deux de sorte que chaque pays ait son parti et son Comité directeur distinct.
 
Art. 31. Fonction d’Assemblée générale
3) Choisir les membres qui peuvent être des délégués au Conseil Supérieur du Pays et ceux qui peuvent être membres du Conseil Général.

 

Quelles relations entre Ntunguka et Rwagasore?

Ntunguka a été un précurseur de Rwagasore. Ce dernier a créé des coopératives en suivant l'exemple de Ntunguka et celui-ci l'a encouragé. Le Prince Louis Rwagasore a créé son parti après la naissance de l'UNARU.

Rwagasore a eu de longues discussions avec Ntunguka et son équipe. Ntunguka avait bien préconisé à Rwagasore de créer son propre parti politique pour demander l'indépendance. Ntunguka a refusé de jouer la concurrence et l'UNARU a été abandonnée et beaucoup de cadres de l'UNARU ont rejoint l'UPRONA. Les swahilis de Buyenzi de l'UNARU ont rejoint l'UPRONA de Rwagasore.

Ntunguka était une grande connaissance de Nyerere. Quand Rwagasore a commencé la politique, Ntunguka voulait le présenter à Nyerere. Mais ce dernier était réticent du fait que Rwagasore était le fils du Roi. Nyerere a fini par accepter.

Cependant, Ntunguka et Rwagasore s'opposaient sur le type d'indépendance à demander. Ntunguka était un partisan du fédéralisme entre le Rwanda et le Burundi et demandait l'indépendance du Burundi et du Rwanda aussi. C'est ainsi que son parti s'appelait UNARU. Or, Rwagasore ne voulait pas entendre parler d'une lutte commune. Il voulait l'indépendance du Burundi. Aux Rwandais de lutter pour leur indépendance et pour un Etat burundais et un Etat rwandais.

L'article 3 de l'UNARU spécifiait bien ceci : "Le parti a pour but d'acheminer le Ruanda- Urundi vers son indépendance comme les autres pays libres tout en respectant néanmoins les institutions de chaque pays".

Après cette différence de vue entre l'approche de l'UNARU et le Prince Louis Rwagasore, ce dernier a créé l'Union Nationale Progressiste qui est devenue après l'UPRONA.

Ntunguka dans le collimateur du colon belge

S'il y a des hommes qui n'ont pas eu de reconnaissance de la nation après une lutte difficile pendant laquelle il a failli perdre tout, Ntunguka en fait partie. Les malheurs que cet homme a connus ne l'ont pas dissuadé de sa volonté. Rares sont les Burundais qui pouvaient continuer leur lutte avec un tel châtiment.

Depuis sa lutte, Ntunguka alternait la prison, l'assignation à résidence et la liberté. Il arrivait que les policiers le ramenaient à la maison à Bulinga pour le faire repartir en prison à la même heure devant sa famille. Il avait refusé de se courber. Il a été dépouillé de ses vaches et aussi de sa terre. Les colons belges lui ont proposé de lui acheter une terre en Tanzanie ou en Ouganda et de l'accompagner avec un troupeau de bétails pour qu'il quitte le Burundi. Il a opposé un refus net tout en sachant qu'il s'exposait à de l'emprisonnement.

Ntunguka est resté un des ennemis pour les colons jusqu'à l'indépendance. En 1960, une équipe payée pour la besogne, a été recrutée en commune de Kayokwe, en province Mwaro, pour aller attaquer Ntunguka chez lui à Bulinga. La clôture a été mise par terre et sa maison est restée dans le désert. Il a été embarqué très violement devant ses enfants.

Jusqu'aujourd'hui, aucun régime n'a voulu rendre au moins une partie de la terre de Ntunguka. Un procès intenté par ses enfants se trouve dans les tribunaux burundais et ils ne sont pas sûrs de gagner. Après les colons, ce sont les nouveaux maîtres du pays qui ont repris et gardé les terres de Ntunguka.

Il était aussi en froid avec le chef Baranyanka  parce qu'il avait protesté après l'assassinat d'un fils de Baranyanka par les colons. En effet, Baranyanka avait refusé de protester en raison des circonstances de cette mort et elle ne laissait pas indifférent Ntunguka d'autant plus qu'elle était commise par un colon.

Le Burundi devrait un jour reconnaître ses héros, tous ces anonymes qui ont mené une bataille, négligeant parfois leurs intérêts propres au profit de la nation.